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28/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20095

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2005, 20095


Tribunal administratif N° 20095 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juillet 2005 Audience publique du 28 novembre 2005

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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20095 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juillet 2005 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au table

au de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Nanka Tonkono (Nigeria), de ...

Tribunal administratif N° 20095 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juillet 2005 Audience publique du 28 novembre 2005

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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20095 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juillet 2005 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Nanka Tonkono (Nigeria), de nationalité nigériane, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 9 mai 2005, lui notifiée en mains propres le 26 mai suivant, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 24 juin 2005 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles litigieuses ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Philippe STROESSER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 18 août 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu en date du 3 mai 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 9 mai 2005 que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Le 29 novembre 2004 vous avez été condamné par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle à une peine d’emprisonnement de 4 ans et à une amende de 5000 euros pour infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie et au règlement grand-

ducal du 26 mars 1974.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 20 août 2004 que vous auriez quitté le Nigeria par bateau pour le Kenya où vous seriez resté trois mois avant de prendre un autre bateau pour la Belgique. Vous y auriez pris un train pour le Luxembourg où le 18 août 2004 vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié politique. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez né à Nanka Tonkono, Anambra State au Sud du Nigeria. Alors que vous auriez encore été petit, vous auriez déménagé à Kanu State au Nord du Nigeria où en tant que chrétien vous auriez eu des problèmes avec les musulmans.

En mars 2004, il y aurait eu des affrontements entre chrétiens et musulmans. Le magasin de votre mère aurait brûlé et vous auriez décidé de vous enfuir pour échapper à la crise. Vous ne faites pas état de persécutions personnelles, vous n’auriez été recherché ni par la police, ni par des musulmans. Vous ne faites pas état d’autres problèmes et vous ne seriez pas membre d’un parti politique.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il y a lieu de constater que votre récit contient quelques contradictions et incohérences, de sorte que des doutes quant à la véracité de vos dires doivent être émis. Ainsi, vous avez déclaré lors du dépôt de votre demande auprès de la police judiciaire que vous auriez quitté le Nigeria par bateau pour le Kenya où vous seriez resté trois mois avant de prendre un autre bateau pour la Belgique. Or, en audition vous dites être allé au Niger et d’y avoir pris un bateau pour la Belgique. Ces déclarations sont contradictoires. A cela s’ajoute qu’aussi bien le trajet en bateau du Nigeria au Kenya puis en Belgique, que du Niger en Belgique est peu convaincant et probable. Enfin, vous n’avez que des faibles, voire fausses connaissances sur le Nigeria.

Quoi qu’il en soit et même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions ou de craintes de persécutions dans votre pays d’origine du fait de votre race, religion, nationalité appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. En effet, vous dites avoir fui le Nord du Nigeria à cause de la crise opposant les musulmans aux chrétiens sans faire état de persécutions quelconques. Le fait que le magasin de votre mère aurait été brûlé ne saurait suffire et n’est pas d’une gravité telle pour fonder à lui seul une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine. A cela s’ajoute que ces musulmans ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, vous n’auriez pas demandé une protection aux autorités nigérianes et il ne ressort pas de votre dossier que les autorités nigérianes auraient refusé ou seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection quelconque.

Enfin et surtout vous n’apportez également aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer au Sud du Nigeria majoritairement peuplé par des chrétiens où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour ces derniers et où vous seriez né. Le fait que vous n’y connaîtriez personne ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique, car il ne rentre pas dans le cadre de la Convention de Genève.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 17 juin 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 24 juin 2005.

Par requête déposée le 13 juillet 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 9 mai et 24 juin 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, au motif que son récit serait parfaitement cohérent, précis et plausible et qu’il s’en dégagerait que sa situation a été intolérable dans son pays d’origine, le Nigeria, où il risquerait d’être persécuté en raison de son appartenance à la minorité chrétienne. Il fait encore état de l’impossibilité matérielle des autorités de son pays de garantir sa sécurité, de même qu’il soutient ne pas pouvoir trouver refuge dans une autre partie de son pays.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même en admettant la véracité de l’ensemble de ses déclarations, c’est-à-dire en faisant abstraction des contradictions relevées par le ministre compétent, force est de constater que le demandeur n’a pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève.

Ainsi, faisant état de sa crainte d’actes de persécution provenant de membres de la communauté musulmane de son pays, le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités nigérianes chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé qu’il ne s’est à aucun moment adressé aux autorités en place.

Par ailleurs, il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’une possibilité de fuite interne lui aurait été impossible, pareille possibilité de trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine, notamment dans les Etats du Sud du Nigeria majoritairement chrétiens, paraissant tout à fait possible, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 28 novembre 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20095
Date de la décision : 28/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-28;20095 ?

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