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28/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20050

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2005, 20050


Numéro 20050 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juillet 2005 Audience publique du 28 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20050 du rôle, déposée le 5 juillet 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert MORO, avocat

à la Cour, assisté de Maître Stefanie FERRING, avocat, les deux inscrits au tableau de l...

Numéro 20050 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juillet 2005 Audience publique du 28 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20050 du rôle, déposée le 5 juillet 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Albert MORO, avocat à la Cour, assisté de Maître Stefanie FERRING, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1er mars 2005 ordonnant son expulsion du territoire luxembourgeois;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2005;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Stefanie FERRING et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 novembre 2005.

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La demande en reconnaissance du statut de réfugié présentée le 2 juin 1999 par Monsieur …, préqualifié, fut déclarée manifestement infondée par décision du ministre de la Justice du 31 mai 2000. Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de cette décision ministérielle fut rejeté comme non fondé par jugement du tribunal administratif du 23 août 2000 (n° 12210 du rôle).

Par courrier du 17 janvier 2001, le ministre de la Justice invita Monsieur … à quitter le territoire dans le mois, faute de quoi il serait procédé à son éloignement forcé.

Par arrêté du 21 avril 2004, le ministre de la Justice refusa l’entrée et le séjour à Monsieur … aux motifs qu’il était dépourvu du visa requis, qu’il ne disposait pas de moyens d’existence personnels et qu’il se trouvait en séjour irrégulier au pays. Cet arrêté fut notifié à Monsieur … le 3 septembre 2004, date à laquelle il fit également l’objet d’une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière jusqu’à son rapatriement qui eut lieu le 5 octobre 2004.

En date du 1er mars 2005, Monsieur … fut placé sous mandat de dépôt au Centre Pénitentiaire de Schrassig du chef de vol avec effraction et de vol simple. Le même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté à travers lequel il ordonna son expulsion du Grand-

Duché de Luxembourg et lui enjoignit de quitter le pays immédiatement après la mise en liberté. Cet arrêté est fondé sur les motifs suivants :

« Vu l’article 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le jugement du 8 mai 2003 rendu par la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg condamnant l’intéressé à une peine d’emprisonnement de trente mois ainsi qu’à une amende de 2.000 euros ;

Vu l’arrêté de refus d’entrée et de séjour pris par le ministre de la Justice en date du 21 avril 2004 lui notifié en date du 6 octobre 2004 ;

Attendu que l’intéressé est retourné au Luxembourg malgré cet arrêté de refus d’entrée et de séjour ;

Attendu que l’intéressé est susceptible de compromettre l’ordre public ».

Son recours gracieux à l’encontre de l’arrêté ministériel d’expulsion formé par courrier de son mandataire du 25 mars 2005 étant resté sans réponse de la part du ministre, Monsieur … a fait introduire, par requête déposée le 5 juillet 2005, un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation dudit arrêté ministériel d’expulsion du 1er mars 2005.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni une autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière d’expulsion, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Par contre, le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur affirme que l’arrêté critiqué serait en fait basé exclusivement sur sa condamnation pénale antérieure, de manière qu’il s’analyserait en une seconde condamnation pour la même infraction, mais qu’une condamnation pénale ne justifierait pas de plein droit une mesure de police à l’égard d’un étranger condamné.

Ce moyen est cependant à rejeter, étant donné qu’il se dégage clairement de l’arrêté ministériel litigieux du 1er mars 2005, ensemble les développements complémentaires produits par le délégué du gouvernement à travers son mémoire en réponse, qu’il est fondé essentiellement sur le fait que le demandeur est retourné au Luxembourg malgré l’existence de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour du 21 avril 2004, de manière qu’aucune illégalité découlant de l’exclusivité du motif tiré de condamnations pénales antérieures ne saurait être utilement alléguée en l’espèce.

Le demandeur conteste ensuite le bien-fondé de l’arrêté critiqué en renvoyant aux conséquences inhumaines et cruelles d’une exécution à travers son rapatriement vers son pays d’origine. Il expose à cet égard qu’il aurait toutes ses attaches affectives et amicales au Luxembourg, étant donné que tant des membres de sa famille, en l’occurrence sa tante, sa sœur, son oncle et deux de ses cousins, que sa compagne avec leur enfant commun âgé de 2 ans et demi vivraient au Luxembourg. Alors même que ses parents vivraient encore en Serbie-Monténégro, le demandeur souligne qu’il n’aurait plus aucun lien avec eux et qu’il « éprouve une peur panique à l’égard de son père, ce dernier ayant menacé de le tuer après avoir appris que le requérant avait été incarcéré au Luxembourg pour les faits pour lesquels il a été jugé en date du 8 mai 2003 ». Dans la mesure où il souhaiterait vivre près de sa compagne et de son fils unique pour le voir grandir et contribuer à son éducation et à son entretien, le demandeur considère que la mesure d’expulsion serait disproportionnée par rapport à sa situation personnelle et il se réfère à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, en abrégé « CEDH », pour conclure, sur base des mêmes faits, que la mesure d’expulsion porterait une atteinte à son droit à la vie familiale non justifiée par l’un des motifs visés par cette disposition. Le demandeur s’empare finalement de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 pour soutenir que la mesure d’expulsion litigieuse ferait échec à tout contact intime de sa part avec son fils dans la mesure où celui-ci ne pourrait pas aller lui rendre visite dans son pays d’origine au vu de son jeune âge et où « il serait cruel de priver ce petit garçon innocent de son père ».

Aux termes de l’article 9 de la loi prévisée du 28 mars 1972, « peuvent être expulsés du Grand-Duché, même s’ils ont été autorisés à s’y établir, tant que leur extradition n’est pas demandée :

1) les étrangers visés à l’article 6 de la présente loi ;

2) ceux qui continuent à séjourner dans le pays après qu’ils auront été dûment avertis que l’entrée et le séjour ou l’établissement dans le Grand-Duché leur ont été refusés ou après qu’une décision de refus de renouvellement ou de retrait de la carte d’identité leur a été notifiée ;

3) ceux qui après avoir été renvoyés ou reconduits à la frontière, soit en vertu de l’article 12 de la présente loi, soit en vertu de l’article 346 ou de l’article 563, 6° du code pénal, réapparaissent dans le pays endéans les deux années ».

Etant donné qu’il est constant en cause que le demandeur a fait l’objet d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour du 21 avril 2004, qu’il a été reconduit dans son pays d’origine le 5 octobre 2004 et qu’il a réapparu au pays au moins le 1er mars 2005, donc avant l’écoulement d’un délai de 2 ans, il se trouve visé par le numéro 3) de l’article 9 précité, de manière que le ministre pouvait en principe valablement ordonner l’expulsion du demandeur sur le fondement de cette disposition légale.

Pour conclure néanmoins à l’illégalité de l’arrêté d’expulsion critiqué du 1er mars 2005, le demandeur se prévaut d’une erreur manifeste dans l’appréciation relaissée au ministre par l’article 9 précité et du non-respect de l’article 8 CEDH en renvoyant à la présence au Luxembourg de membres de sa famille, de sa compagne et de son enfant en bas âge.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite Convention.

La notion de vie familiale au sens de l’article 8 CEDH étant susceptible de couvrir le cas de couples non mariés, il y a dès lors lieu de vérifier d’abord si le demandeur peut se prévaloir d’une vie familiale préexistante et effective, caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites ainsi que de vérifier, dans l’affirmative, si la décision d’éloignement litigieuse a porté une atteinte injustifiée à cette vie familiale devant, le cas échéant, emporter son annulation pour cause de violation de l’article 8 CEDH.

A partir des éléments présentés en cause par le demandeur, il y a lieu d’admettre qu’une vie familiale effective a commencé à s’établir dans un passé récent entre le demandeur et Madame …, ainsi que dans la suite avec leur enfant commun sur le territoire luxembourgeois. Le demandeur a également indiqué la présence au Luxembourg d’une certaine unité familiale, en l’occurrence sa tante, sa sœur, son oncle et deux de ses cousins.

Force est cependant de constater que si la décision d’expulsion litigieuse porte certes atteinte à cette vie familiale en ce sens que sa poursuite au Grand-Duché de Luxembourg s’en trouve compromise dans l’immédiat, cette atteinte ne saurait pas pour autant être qualifiée d’excessive en l’espèce.

En effet, dans le cadre du contrôle de proportionnalité à effectuer dans ce contexte, il importe de relever que l’article 8 CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis et que le demandeur et Madame …, lorsqu’ils ont noué leur relation amoureuse, n’étaient pas sans ignorer la relative précarité de la situation du demandeur en tant que demandeur d’asile débouté. S’il est en effet certes constant qu’un demandeur d’asile débouté demeurant sur le territoire luxembourgeois peut alléguer qu’une mesure d’éloignement constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale, il importe néanmoins de relever que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité de la mesure restrictive avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8. La Cour européenne des droits de l’homme n’accorde en effet qu’une faible importance aux événements de la vie d’immigrants qui se produisent durant une période où leur présence sur le territoire est contraire à la loi nationale, voire couverte par un statut de séjour précaire (Revue trimestrielle des droits de l’homme (60/2004), p. 926).

En l’espèce, compte tenu du caractère somme toute récent de la relation entre Madame … et le demandeur, ainsi que du fait que ce dernier a uniquement séjourné à titre précaire au pays, un non-respect du principe de proportionnalité entre la mesure d’expulsion et la situation familiale du demandeur ne peut être déduit des éléments de fait soumis au tribunal. Cette conclusion n’est pas énervée par la présence de plusieurs membres de la famille du demandeur sur le territoire national qui, même si elle est à prendre en considération dans le présent cadre, ne pèse pas autant que la présence d’un enfant mineur procréé par le demandeur et de sa mère.

En outre, eu égard à la situation personnelle et familiale du demandeur et aux antécédents relatifs à son séjour, les éléments en cause ne dénotent pas un usage par le ministre du pouvoir d’appréciation lui conféré par la loi prévisée du 28 mars 1972 qui ne serait pas en conformité avec les finalités de cette loi.

Par voie de conséquence, le moyen du demandeur tiré du caractère disproportionné de la mesure d’expulsion litigieuse et du non-respect de l’article 8 CEDH laisse d’être fondé.

Quant au moyen du demandeur fondé sur la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, force est de constater que le principe de la non-

séparation des enfants de leurs parents contre leur gré n’est pas énoncé de façon absolue.

L’article 9.1. autorise la séparation, décidée par les autorités compétentes, nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant et l’article 9.4. reconnaît les séparations résultant des mesures étatiques telles que la détention, l’emprisonnement, l’exile, l’expulsion ou la mort des parents ou de l’un d’eux, voire de l’enfant lui-même. Dès lors, une mesure d’expulsion légalement prise par un Etat partie ne saurait constituer une séparation prohibée au titre de l’article 9 de la Convention (trib. adm. 21 avril 1997, n° 9459, confirmé par Cour adm. 23 octobre 1997, n° 10040C, Pas. adm. 2004, v° Droits de l’homme, n° 51).

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et est à rejeter comme non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 28 novembre 2005 par le premier juge en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE SCHROEDER 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20050
Date de la décision : 28/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-28;20050 ?

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