La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20047

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2005, 20047


Tribunal administratif N° 20047 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2005 Audience publique du 28 novembre 2005

================================

Recours introduit par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

-----------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20047 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juillet 2005 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’O

rdre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Cabinda (Angola), de nationalité angolais...

Tribunal administratif N° 20047 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2005 Audience publique du 28 novembre 2005

================================

Recours introduit par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

-----------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20047 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juillet 2005 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Cabinda (Angola), de nationalité angolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 21 avril 2005, lui notifiée le 25 avril suivant, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle litigieuse ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 15 avril 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg. Il fut entendu en date des 7 septembre, 21 octobre 2004 et 2 mars 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 21 avril 2005 que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 20 avril 2004 que vous auriez quitté Cabinda vers février-mars 2004 pour Pointe-Noire/Congo-Brazzaville où vous seriez resté pendant une semaine. Un prêtre vous y aurait mis en contact avec un commerçant qui aurait organisé votre voyage en Europe. Le 13 mars 2004, vous auriez pris un avion à Brazzaville pour Paris. Une autre personne vous aurait emmené en voiture au Luxembourg où vous seriez arrivé le 14 mars 2004. Vous n’auriez rien payé pour votre voyage en Europe.

Le dépôt de votre demande d’asile date du 15 avril 2004.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez séjourné au Congo-Brazzaville de 1966 à 2000. Vos parents seraient retournés à Cabinda déjà en 1980. Vous serez retourné à Cabinda début 2000 en espérant y trouver du travail. De 2002 à 2003, vous auriez habité à Tchiowa, puis en 2003 vous seriez retourné à Pointe-Noire.

Vous dites que pendant votre séjour au Congo-Brazzaville vous auriez eu des contacts avec le mouvement de libération du Cabinda, le FLEC. En mai 2000, vous seriez devenu membre. Plus tard, vous dites que vous seriez seulement sympathisant et ceci depuis 1999.

Vous dites dans un premier temps que vous auriez eu des problèmes à cause de cette sympathie, puis vous dites finalement que vous n’auriez pas encore eu des problèmes.

D’autres personnes auraient eu des problèmes et seraient parties. Vous dites que vous auriez suivi le groupe. Vous auriez peur des forces gouvernementales angolaises. Vous dites également avoir eu des problèmes parce que vous parleriez le français.

En décembre 2002, vos parents et un de vos frères auraient été massacrés à Belize par l’armée gouvernementale. Vous même n’auriez pas été à la maison, mais à une réunion du FLEC à Tchiowa.

Enfin, vous admettez ne pas avoir subi de persécutions et que l’insécurité générale vous aurait fait quitter votre pays d’origine. Par ailleurs, vous seriez malade et désireux de vous faire soigner au Luxembourg. Vous auriez également voulu trouver du travail en Europe. Finalement, vous dites que vous voudriez retourner en Afrique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Il y a d’abord lieu de relever que vous avez fait plusieurs déclarations contradictoires. Ainsi, dans un premier temps vous avez indiqué que vous seriez membre du FLEC depuis mai 2000. Puis, vous dites que vous seriez simple sympathisant du mouvement depuis 1999. Cette adhésion ou sympathie vous aurait d’abord entraîné des problèmes, puis vous admettez qu’en fait, vous n’en auriez pas eu. Vous avez également déclaré auprès de la police judiciaire que vous auriez quitté Cabinda pour Pointe-Noire vers février-mars 2004.

En audition, vous dites pourtant que vous seriez parti au Congo-Brazzaville déjà en 2003.

Par ailleurs, vous avez indiqué lors du dépôt de votre demande d’asile que vous auriez pris un avion pour l’Europe le 13 mars 2004. En audition, vous auriez pris cet avion le 12 avril 2004. Il est également peu probable que vous n’auriez rien payé pour votre voyage en Europe et qu’en tant que congolais du Cabinda vous seriez d’après vos propres propos « nul » en portugais, langue officielle de l’Angola, l’audition s’ayant par ailleurs faite entièrement en français. A cela s’ajoute que vous présentez un acte de naissance établi à Luanda le 28 décembre 1998. Or, des doutes quant à l’authenticité de cette pièce doivent être émis. En effet, l’acte en question ne comporte ni timbre fiscal, ni numéro du fichier et ni de numéro de registre.

Enfin, notons également que le 15 février 2005 vous avez appelé le Service des Réfugiés pour vous excuser de ne pas pouvoir vous présenter à l’audition prévue pour le lendemain étant donné que vous seriez malade. Vous n’avez jamais apporté de certificat médical. Le 24 février 2005, vous avez déclaré avoir appelé d’une cabine téléphonique installée à Kaundorf. Or, l’agent ayant reçu votre appel téléphonique en date du 15 février 2005 a constaté que le numéro de l’appelant affiché sur l’écran téléphonique correspondait à un numéro de téléphone bruxellois. A la question si vous connaissez quelqu’un à Bruxelles, vous répondez que le numéro en question viendrait d’un service de téléphone discount sis rue Joseph Junck, et que par conséquent vous n’auriez donc pas appelé d’une cabine téléphonique de Kaundorf.

Il s’ensuit que ces constatations entachent sérieusement la véracité et la crédibilité de vos autres déclarations.

Quoi qu’il en soit, et même en faisant abstraction des constatations susmentionnées, et en supposant vos dires comme étant vrais, force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions en Angola au sens de la Convention de Genève. Vous admettez vous même ne pas avoir subi de persécutions et que vous auriez quitté votre pays d’origine à cause de l’insécurité générale. Le fait que vos parents auraient été tués lors d’un massacre en décembre 2002 ne saurait, en lui-même, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’il ne peut, à lui seul, suffire pour fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. Vos motifs et votre peur du MPLA traduisent donc plutôt un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue par une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, le fait que vous désirez retourner en Afrique montre que vous n’y faites pas état de persécution.

Même à supposer que vous seriez membre ou sympathisant du FLEC, étant donné que vous restez en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif, ce fait n’est pas suffisant pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique et que vous n’auriez pas eu de problèmes à cause de cette sympathie.

Des raisons économiques ou de santé ne sauraient davantage fonder une demande en obtention du statut de réfugié car elles ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 19 mai 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 1er juin 2005, la même décision ministérielle répondant négativement à une demande non autrement précisée de l’intéressé de se voir accorder un permis de séjour au Grand-Duché de Luxembourg pour « raisons humanitaires ».

Par requête déposée le 4 juillet 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la seule décision initiale du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 21 avril 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur fait état de ce qu’il serait originaire du Cabinda, ancien protectorat portugais, qui serait occupé par les Angolais. Le demandeur insiste sur ce que les autorités et troupes angolaises y appliqueraient une politique d’extermination et de purification ethnique dirigée contre la population originaire et que ses père et mère, ainsi qu’un de ses frères auraient été tués à Belize par l’armée angolaise.

Sur ce, pour le cas où cet état des choses ne devait pas suffire pour faire admettre que sa situation serait intolérable en cas de retour dans son pays, le demandeur sollicite la reconnaissance d’un « statut particulier ». Dans ce contexte, il se réfère à une « proposition de directive du 12 septembre 2001, établissant des normes minimales relatives aux conditions d’obtention d’une protection subsidiaire de celle de la convention de Genève » et il soutient remplir les conditions pour bénéficier de pareille protection subsidiaire.

Dans un ordre encore plus subsidiaire, le demandeur sollicite la reconnaissance du statut de réfugié « pour des raisons humanitaires, en faisant référence à son état de santé très déficitaire ».

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les craintes de persécutions alléguées ne constituent que l’expression d’un sentiment général d’insécurité, respectivement ne sont basées que sur des motifs économiques ou des raisons de santé, qui à eux seuls ne sauraient suffire pour reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Le demandeur n’a en effet pas fait état d’une quelconque raison personnelle suffisante justifiant la reconnaissance du statut revendiqué, le fait que ses père et mère, de même qu’un frère auraient été tués par des troupes angolaises, à le supposer établi, n’étant pas un fait personnel et il n’est pas établi que le demandeur risquerait de subir un sort identique. - Cette conclusion est confirmée par les propres déclarations du demandeur qui, lors de son audition du 2 mars 2005, a déclaré « (…) je vous l’ai déjà admis qu’à proprement parlé je n’ai pas été persécuté et que c’est plutôt l’insécurité qui m’a fait partir et comme je croyais que le massacre de mes parents pourrait me donner droit à l’asile politique j’ai tenté le coup et … bon…vous savez mon état de santé…et je voudrais pas mourir en Europe. Je ne me sens pas à l’aise [sic] ».

Par conséquent, il convient de retenir que le demandeur n’a pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève.

En ce qui concerne les demandes et développements en vue de la reconnaissance d’un statut de protection subsidiaire dans le cadre de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, il convient de suivre le délégué du gouvernement en ce qu’il soutient qu’ils laissent d’être fondés, étant donné qu’une proposition de directive européenne n’a pas d’effet contraignant et que la législation interne ne prévoit pas de régime de protection subsidiaire dans le cadre d’une demande d’asile au sens de la Convention de Genève.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 28 novembre 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20047
Date de la décision : 28/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-28;20047 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award