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28/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20032

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2005, 20032


Numéro 20032 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2005 Audience publique du 28 novembre 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20032 du rôle, déposée le 1er juillet 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, né...

Numéro 20032 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2005 Audience publique du 28 novembre 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20032 du rôle, déposée le 1er juillet 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Saïda (Liban), de nationalité palestinienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 11 avril 2005 par laquelle elle a été exclue du champ d’application de la Convention de Genève par application de son article 1er D, telle que confirmée par une décision du même ministre du 31 mai 2005 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2005 par Maître Edmond DAUPHIN pour compte de Madame …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 novembre 2005.

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Le 17 mars 2005, Madame …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Elle fut entendue en date du 30 mars 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 11 avril 2005, notifiée par courrier recommandé du 13 avril 2005, qu’elle a été exclue de la procédure d’asile aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition de l’agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 30 mars 2005.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Liban fin février ou début mars pour aller d’abord à Chypre et ensuite sur le continent européen. Vous seriez venue au Luxembourg en voiture mais vous ne pouvez donner aucun détail sur votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 17 mars 2005.

Vous exposez que vous seriez née et que vous auriez grandi dans un camp palestinien de l’UNRWA au Liban. Vous y auriez fait vos études et vous y auriez travaillé. Votre père aurait disparu quand vous étiez enfant et votre mère serait décédée il y a un an. Vous auriez à ce moment-là pris la décision de quitter le Liban. Vous dites être chrétienne, ce qui n’aurait pendant longtemps pas posé de problèmes particuliers. Mais des attentats auraient ravivé la haine pour les chrétiens et des jeunes gens auraient tenté de vous agresser sur le chemin de votre maison. Vous vous en seriez plainte auprès des autorités de l’ONU mais cela n’aurait pas eu de suite. Vous ajoutez qu’à la mort de votre mère, vous vous seriez trouvée devant des difficultés financières et vous auriez dû commencer à travailler au lieu de finir vos études. Finalement, vous dites qu’il serait impossible de pratiquer le culte chrétien dans le camp puisqu’il n’y a pas d’église.

Je constate d’abord que vous aviez dans vos bagages un ticket de métro londonien dont vous avez prétendu qu’il ne vous appartenait pas. Votre explication de la provenance de ce ticket est cependant peu crédible. Il n’est pas exclu que vous ayez séjourné en Angleterre avant de venir au Luxembourg, ceci d’autant plus que vous ne pouvez pas donner de détails précis quant à votre trajet.

Je relève ensuite que vous auriez vécu toute votre vie dans un camp de l’UNRWA près de Saïda. Vous y auriez été scolarisée presque jusqu’au baccalauréat et ce n’est que pour des raisons financières que vous auriez interrompu vos études. Vous dites craindre les musulmans du fait de votre appartenance à la religion chrétienne mais, du vivant de votre mère, vous n’auriez eu aucun problème.

Même si je conçois que vivre sans famille soit pénible, je relève que dans le camp où vous viviez, de nombreuses ONG sont actives, notamment dans le domaine de la scolarisation. Des programmes spéciaux pour les femmes ont été mis au point par ces ONG et les habitants du camp bénéficient d’un revenu minimum garanti. Vous auriez aussi vécu plusieurs mois chez des musulmans chiites qui s’occupaient de vous, ce qui prouve que tous les rapports chrétiens/musulmans ne sont pas tendus. Le fait d’avoir été presque agressée par des jeunes gens relève du délit de droit commun et le fait que vos agresseurs n’aient pas été sanctionnés ne prouve pas que les autorités soient dans l’impossibilité de vous protéger. Je note aussi que vous invoquez des difficultés financières et il n’est pas exclu que des motifs économiques sous-tendent votre demande d’asile.

Quoi qu’il en soit, je vous informe que l’article 1er D de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 dispose que : « Cette Convention ne sera pas applicable aux personnes qui bénéficient actuellement d’une protection ou d’une assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations Unies autre que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés ». Il en résulte que les ressortissants palestiniens se trouvant dans les zones de protection de l’UNRWA ne peuvent invoquer la protection de ladite Convention.

Par conséquent, vous êtes exclue de la procédure prévue par la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 1er juin 2005 n’ayant pas fait l’objet d’une décision expresse, Madame … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle initiale du 11 avril 2005 par requête déposée le 1er juillet 2005.

Etant donné qu’aucun recours au fond n’est prévu en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions déférées.

Par contre, le recours en annulation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose que la découverte d’un billet du métro londonien dans ses bagages ne saurait affecter la crédibilité de son récit, au motif que ledit billet se serait trouvé dans une boîte métallique dont l’un de ses compagnons de voyage lui aurait fait cadeau pour y déposer ses bijoux et que, si elle était passée par l’Angleterre, « elle aurait pu identifier ce fameux ticket de métro et ne l’aurait pas gardé ». Quant à l’article 1er D, alinéa 1er de la Convention de Genève, la demanderesse fait valoir que l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-

Orient (UNRWA) n’aurait pas pour mission de protéger tous les réfugiés palestiniens et que ledit Office aurait élaboré sa propre définition des réfugiés palestiniens visant les seules personnes ayant résidé en Palestine entre juin 1946 et mai 1948 ayant perdu leur domicile et leurs moyens de subsistance à la suite du conflit israélo-arabe de 1948 et enregistrés auprès de l’UNRWA, ainsi que les descendants de ces personnes. Elle affirme dans ce cadre qu’aucun de ses ascendants n’aurait vécu, préalablement à la disparition de son père, dans un camp de réfugiés palestiniens, mais que sa famille aurait vécu à l’époque chez des amis libanais et que, suite à l’interdiction par les autorités libanaises à leurs nationaux d’accueillir des palestiniens, sa mère et elle-même auraient ultérieurement trouvé refuge dans le camp d’Ain El-Hilweh, de manière qu’elle n’aurait jamais bénéficié du statut de réfugié de l’UNRWA et que la Convention de Genève devrait trouver application à sa demande d’asile. Elle critique que les considérations mises en avant par le ministre pour justifier ses doutes sur ses motivations réelles seraient des « affirmations gratuites et non prouvées », alors que de nombreux extraits de la presse feraient état de violences et que la situation des réfugiés palestiniens au Liban serait déplorable.

Le délégué du gouvernement rétorque que l’article 1er de la Convention de Genève viserait clairement deux organisations internationales, à savoir l’Agence des Nations Unies pour le relèvement de la Corée (UNKRA) et l’UNRWA et que ce dernier, le seul encore opérationnel actuellement, apporterait aide et protection à plus de 4 millions de personnes. Le représentant étatique souligne encore que la demanderesse aurait indiqué lors de son audition qu’elle serait née au camp de Saïda el-Hilweh et qu’elle y aurait toujours vécu jusqu’après le décès de sa mère, de sorte qu’il faudrait en déduire que ses parents s’y seraient trouvés au moment de sa naissance. Il ajoute que la demanderesse reconnaîtrait qu’elle n’aurait subi aucune persécution caractérisée et qu’elle craindrait essentiellement des bandes de jeunes gens circulant dans le camp, crainte s’analysant en sentiment d’insécurité ne pouvant être considéré comme persécution au sens de la Convention de Genève. Le délégué du gouvernement soutient finalement que les explications de la demanderesse concernant la provenance du ticket du métro londonien ne seraient pas vraiment convaincantes.

La demanderesse réplique que l’UNRWA n’aurait qu’une mission d’assistance aux réfugiés palestiniens sans être responsable de leur protection et que l’ordre serait en fait assuré par les factions militantes islamistes opérant dans les camps de réfugiés. Elle estime dès lors qu’en tant que jeune fille de foi chrétienne sans aucun lien familial, elle se verrait exposée à un risque substantiel pour sa sécurité et sa vie dans le camp d’Ain el-Hilweh ne comportant aucune communauté chrétienne, dominé par les islamistes et abritant de nombreux terroristes islamistes. Elle fait valoir qu’elle serait née dans la ville-même de Saïda, que le camp d’Ain el-Hilweh se trouverait implanté dans la région de cette ville et que le nom de Saïda el-Hilweh indiqué par le délégué du gouvernement comme son lieu de naissance n’existerait tout simplement pas. La demanderesse renvoie finalement à une recommandation du Conseil de l’Europe à l’adresse du Conseil des Ministres du Conseil de l’Europe faisant appel aux Etats membres d’accorder aux réfugiés palestiniens un statut juridique reconnu et d’en accepter un certain nombre sur leur territoire.

Le délégué du gouvernement renvoie en termes de duplique aux déclarations de la demanderesse lors de son audition pour réitérer son argumentation quant au lieu de naissance et de résidence de la demanderesse.

L’article 1er, D de la Convention de Genève dispose comme suit :

« Cette Convention ne sera pas applicable aux personnes qui bénéficient actuellement d’une protection ou d’une assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations Unies autre que le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés.

Lorsque cette protection ou cette assistance aura cessé pour une raison quelconque, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé, conformément aux résolutions y relatives adoptées par l’assemblée générale des Nations Unies, ces personnes bénéficieront de plein droit du régime de cette Convention ».

Cette disposition spécifique d’exclusion vise notamment les personnes tombant dans le champ d’action de l’assistance fournie par l’UNRWA. Cette agence accepte comme réfugiés palestiniens enregistrés pouvant bénéficier de son assistance les personnes ayant perdu leur domicile et moyens d’existence sur le territoire israélien suite au conflit de 1948, les personnes déplacées et se trouvant dans le besoin d’assistance suite au conflit de juin 1967 et aux conflits subséquents, ainsi que les descendants de ces personnes. Pour le surplus, il n’est pas contesté en cause que le camp d’Ain el-Hilweh bénéficie actuellement encore de la protection respectivement de l’assistance de l’UNRWA.

Il ressort du procès-verbal d’audition de la demanderesse du 30 mars 2005, lu et signé par la demanderesse et son mandataire, qu’elle a déclaré être née et avoir passé toute sa vie dans le camp de réfugiés d’Ain el-Hilweh pour ne l’avoir quitté que pour venir au Luxembourg.

Sur base de ces déclarations et de la déduction logique en résultant que les parents de la demanderesse ont nécessairement été admis au camp d’Ain el-Hilweh avant la naissance de la demanderesse, le ministre a valablement pu conclure que la demanderesse bénéficiait de l’assistance de l’UNRWA et faire application de l’article 1er, D de la Convention de Genève.

A cet égard, il y a lieu de relever que les dispositions prérelatées de l’article 1er, D de la Convention de Genève énoncent le bénéfice d’une protection ou d’une assistance comme critère de la non-applicabilité de la Convention sans conférer une quelconque marge d’appréciation relativement à la situation de sécurité générale des personnes concernées, de manière à ériger l’exclusion de la Convention en un quasi-automatisme à partir du moment où un mandat de protection ou d’assistance existe et continue d’être exercé.

S’il est vrai que la demanderesse conteste actuellement cette présentation des faits en faisant valoir qu’elle aurait vécu au Liban en dehors du camp d’Ain el-Hilweh chez des amis libanais et que, suite à l’interdiction par les autorités libanaises à leurs nationaux d’accueillir des palestiniens, sa mère et elle-même auraient ultérieurement trouvé refuge dans ledit camp, il n’en reste pas moins que la demanderesse reste en défaut de prouver concrètement la réalité de ces assertions et d’ébranler ainsi la crédibilité de ses déclarations antérieures faites lors de son audition, de manière que le tribunal ne saurait être amené à constater une application erronée des dispositions internationales applicables par le ministre à travers les décisions critiquées.

Les conditions d’application de la clause d’exclusion de l’article 1er, D de la Convention de Genève devant ainsi être considérées comme se trouvant réunies en l’espèce, il n’y a pas lieu d’examiner plus en avant les moyens de la demanderesse ayant trait à la situation générale de sécurité prévalant à l’heure actuelle sur place, les termes de la Convention ne permettant pas d’engager un débat utile à ce sujet.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 28 novembre 2005 par le premier juge en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE SCHROEDER 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20032
Date de la décision : 28/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-28;20032 ?

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