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28/11/2005 | LUXEMBOURG | N°19994

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2005, 19994


Tribunal administratif N° 19994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2005 Audience publique du 28 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … , contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19994 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalitÃ

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Tribunal administratif N° 19994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2005 Audience publique du 28 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … , contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19994 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 9 mai 2005 par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié fut rejetée comme étant non fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 2 juin 2005 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2005 au nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 21 novembre 2005, Maître Radu DATU, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH s’étant référés aux écrits respectifs de leur partie.

En date du 22 juin 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducal sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Le 6 juillet 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

En date du 30 septembre 2004, les autorités belges formulèrent une demande de prise en charge dans le cadre du règlement 343/2003 du Conseil de l’Union Européenne (Dublin II) du 18 février 2003 auprès des autorités luxembourgeoises en vue du transfert au Luxembourg de Monsieur …, né le …, alias , …, né le … qui se trouve en séjour irrégulier en Belgique depuis le 23 septembre 2004.

Par décision du 18 octobre 2004, les autorités luxembourgeoises ont donné leur accord en vue du transfert du demandeur, alors que conformément aux dispositions de l’article 16§1c du règlement précité, l’examen de la demande d’asile relève du Grand-

Duché de Luxembourg.

Par décision du 9 mai 2005, envoyée par lettre recommandée le 10 mai 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … que sa demande avait été refusée comme non fondée en constatant que le récit présenté par Monsieur … présenterait différentes contradictions et invraisemblances entachant sa crédibilité et que de toute façon, même à supposer les faits par lui allégués comme étant établis, ils ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Le ministre a retenu finalement qu’il se serait rendu en Belgique où il aurait été arrêté le 23 septembre 2004 pour séjour illégal, sous une autre identité, de sorte que non seulement des doutes devraient être émis au sujet de son identité réelle, mais que le fait de se rendre en dehors du territoire luxembourgeois de manière illégale devrait être considéré comme omission flagrante de l’acquittement des obligations imposées par les dispositions régissant la procédure d’asile.

Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 30 mai 2005 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 9 mai 2005 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 2 juin 2005, il a fait introduire, par requête déposée en date du 24 juin 2005, un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles prévisées des 9 mai et 2 juin 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant été introduit, par ailleurs, dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … fait exposer qu’il serait de confession protestante et qu’il aurait été pasteur dans son pays d’origine où il aurait prêché dans de nombreuses églises. En août 2001, il aurait décidé de se consacrer pleinement à la vie religieuse et de combattre les religieux fanatiques traditionnels de la secte OPC qui par leurs actions nuiraient à la foi chrétienne et contribueraient à instaurer un climat « d’obscurantisme religieux ». Il affirme que les adeptes de la secte OPC l’auraient haï et l’auraient considéré comme un ennemi. Pour cette raison, ils l’auraient accusé à tort d’avoir détruit leur lieu de culte et ils l’auraient dénoncé à la police pour que cette dernière diligente des poursuites à son encontre. Il soutient encore qu’il aurait été kidnappé en mars 2003 par des membres de la secte qui l’auraient torturé et amené à manger de la chaire humaine, ce qu’il aurait néanmoins refusé. Pendant la nuit, il aurait rêvé de la vierge Marie qui lui aurait dit de quitter le pays. Grâce à la compassion d’un de ses « tortionnaires », il aurait pu s’enfuir et quitter le pays. Le demandeur soutient en outre qu’il serait également poursuivi par sa belle-famille, qui, bien que n’étant pas de pratiquants musulmans, ne tolérait pas qu’il soit un chrétien pratiquant et l’aurait forcé à divorcer. Le demandeur conclut que sa vie serait gravement menacée en cas de retour dans son pays d’origine, alors que les autorités de son pays ne seraient pas en mesure de protéger les minorités religieuses et d’empêcher les massacres à leurs égards par les autres sectes, notamment la secte OPC. Au vu de la situation régnant actuellement dans son pays d’origine, le demandeur estime devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que le demandeur n’a pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève, le récit du demandeur restant extrêmement vague, voir contradictoire, tel que relevé dans la décision ministérielle de refus, mais surtout, même à supposer les faits établis, comme l’a relevé à juste titre le délégué du Gouvernement, les actes de persécution qu’il craint proviennent de personnes privées, à savoir les membres de la secte OPC ainsi que de sa belle-famille, et non pas des autorités publiques. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités en place encourageraient, sinon toléreraient de tels actes. Au contraire, il ressort du rapport d’audition du demandeur que les autorités de son pays combattent la secte OPC, qui serait illégale et non autorisée par le gouvernement.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à Lagos, et il ne saurait être suivi en ce qu’il allègue sommairement que toute possibilité de fuite interne, dans une autre partie du Nigeria, serait à l’heure actuelle exclue dans son chef, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.

trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

A titre surabondant, il convient de relever que c’est encore à bon droit que le ministre a retenu dans sa décision du 9 mai 2005 que non seulement des doutes doivent être émis au sujet de l’identité réelle du demandeur, ainsi que sur la crédibilité de son récit, mais encore que le fait de se rendre en dehors du territoire luxembourgeois sous une autre identité doit être considéré comme omission flagrante de l’acquittement des obligations imposées par les dispositions régissant la procédure d’asile.

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 novembre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19994
Date de la décision : 28/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-28;19994 ?

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