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28/11/2005 | LUXEMBOURG | N°19990

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2005, 19990


Tribunal administratif N° 19990 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juin 2005 Audience publique du 28 novembre 2005

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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19990 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 juin 2005 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Sabongeri (Kano State/Nigeria), de...

Tribunal administratif N° 19990 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juin 2005 Audience publique du 28 novembre 2005

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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19990 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 juin 2005 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Sabongeri (Kano State/Nigeria), de nationalité nigériane, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 2 février 2005, lui notifiée en mains propres le 12 avril suivant, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 24 mai 2005 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles litigieuses ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Philippe STROESSER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 16 août 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».Monsieur … fut entendu en date des 21 septembre et 20 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 2 février 2005 que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous seriez chrétien habitant à Sabongeri/Kano State et que vous auriez quitté Sabongeri à cause des conflits religieux. Depuis longtemps, des musulmans attaqueraient des églises, tueraient des gens et brûleraient des maisons. Le gouvernement nigérian serait intervenu à un moment donné et les combats auraient arrêté avant de reprendre en mai 2004. Vous ajoutez que des chrétiens auraient également attaqué des musulmans.

Le 17 mai 2004, lors d’une attaque contre les chrétiens, votre maison aurait été brûlée et vos frères y auraient péri. Vous même auriez réussi à vous échapper et vous auriez trouvé refuge dans une église où vous seriez resté un mois avec vos parents. Vous n’auriez pas demandé de protection au gouvernement nigérian, même si votre père serait fonctionnaire du Ministère des Transports. Vous dites que le gouvernement ne se serait pas soucié des conflits et qu’il serait impossible de trouver de protection. Il n’y aurait pas d’organisation pour protéger les chrétiens.

Par la suite vous auriez quitté Sabongeri pour Lagos en laissant vos parents. Le 16 juillet 2004 vous auriez pris un bus pour Lagos où deux jours après vous seriez monté dans un bateau grâce à l’aide d’une connaissance de votre patron, Monsieur Okafor qui travaillerait dans le bateau et qui aurait voyagé avec vous. Vous ignorez où le bateau aurait accosté après deux semaines de voyage. Une fois arrivé, Monsieur Okafor vous aurait présenté à un homme qui vous aurait emmené en voiture au Luxembourg où vous seriez arrivé le 5 août 2004. Le dépôt de votre demande d’asile date du 16 août 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Enfin, vous n’auriez pas eu d’autres problèmes au Nigeria et vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il est peu crédible que vous ne sachiez pas dans quel port européen vous auriez accosté alors que ce serait un ami de votre patron travaillant sur ce bateau qui vous aurait fait entrer dans le bateau et qui aurait été du voyage. Il est donc peu probable qu’à aucun moment vous ne sachiez où vous vous trouviez, d’autant plus qu’il vous aurait par la suite présenté un homme qui en voiture vous aurait emmené au Luxembourg.

Quoi qu’il en soit et même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. Le fait que lors d’une attaque de musulmans contre des chrétiens votre maison aurait été brûlée et vos frères tués ne saurait suffire pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique d’autant. A cela s’ajoute que ces musulmans ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, vous n’auriez pas demandé une protection aux autorités nigérianes ou plus précisément celles de Kano State, qui contrairement à vos dires ont appelé en mai 2004 aux arrêts des combats entre musulmans et chrétiens sans prendre position. Un couvre-feu a été imposé par la police qui a patrouillé dans les rues permettant ainsi de calmer la situation.

Des refuges ont également été installés dans des casernes militaires pour les chrétiens fuyant les combats. Il vous aurait donc été possible de demander une protection aux autorités nigérianes qui n’ont nullement soutenu ou toléré les agissements violents des musulmans ou chrétiens.

Vous n’apportez en l’espèce également aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer définitivement à Lagos ou au Sud du Nigeria peuplé majoritairement par des chrétiens.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 11 mai 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 24 mai 2005.

Par requête déposée le 22 juin 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 2 février et 24 mai 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, au motif que la situation générale ayant régné et régnant dans son pays d’origine, le Nigéria, serait instable et que sa situation y aurait été intolérable. Il aurait et risquerait toujours d’être persécuté en raison de son appartenance à la minorité chrétienne. Il fait encore état de l’impossibilité matérielle des autorités de son pays de garantir sa sécurité, de même qu’il relève une impossibilité de trouver refuge dans une autre partie de son pays.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même en admettant la véracité de l’ensemble de ses déclarations, c’est-à-dire en faisant abstraction d’une considération non relevée par l’autorité ministérielle ou le délégué du gouvernement, mais documentée par le dossier administratif, à savoir le fait - apparu au cours de l’instruction de la présente instance - que le demandeur est connu des autorités néerlandaises sous le nom de AROWOLO Michael, né le 7 août 1980 à Lagos (Nigeria), force est de constater que le demandeur n’a pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève, mais uniquement d’un sentiment général d’insécurité insuffisant pour lui reconnaître le statut revendiqué.

Ainsi, faisant état de sa crainte d’actes de persécution provenant de membres de la communauté musulmane de son pays, le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé qu’il ne s’est à aucun moment adressé aux autorités en place.

Par ailleurs, il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’une possibilité de fuite interne lui aurait été impossible, pareille possibilité de trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine, notamment dans les Etats du Sud du Nigeria majoritairement chrétiens, paraissant tout à fait possible, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 28 novembre 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19990
Date de la décision : 28/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-28;19990 ?

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