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28/11/2005 | LUXEMBOURG | N°19826

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2005, 19826


Numéro 19826 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2005 Audience publique du 28 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19826 du rôle, déposée le 18 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la C

our, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … ...

Numéro 19826 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2005 Audience publique du 28 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19826 du rôle, déposée le 18 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bamako (Mali), de nationalité guinéenne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 février 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 14 avril 2005 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2005;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie ADLOFF, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 octobre 2005.

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Le 8 octobre 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 19 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », l’informa par décision du 28 février 2005, notifiée par courrier recommandé du 2 mars 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 8 octobre 2004 que vous auriez quitté la Guinée au mois de mai 2004 en direction de Casablanca/Maroc. Vous y seriez resté jusqu’à fin septembre 2004, date à laquelle vous auriez pris un bateau de cargaison pour arriver quelque part en Europe, vous pensez en Belgique. Par la suite, vous auriez pris place dans un camion qui vous aurait emmené au Luxembourg, voyage qui aurait duré cinq heures. Vous y seriez arrivé le 7 octobre 2004 et votre demande en obtention du statut de réfugié date du 8 octobre 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Vous déclarez que vous auriez été choisi comme représentant des étudiants du groupe géographie-physique à l’université Gamal Abdel Naser de Conakry. Vous auriez fait partie de l’organisation d’une grève d’étudiants ayant eu lieu le 7 mai 2004 à l’université pour manifester contre les mauvaises conditions des étudiants et l’inflation du franc guinéen. Durant cette grève des militaires seraient intervenus dans le campus et auraient arrêté certains des étudiants dont vous-

même. Vous auriez été conduit au camp militaire Samory à Conakry. Un lieutenant, un dénommé Omar Yongbuno, ami de votre père, vous aurait aidé à vous enfuir encore la même nuit de votre arrestation. Il vous aurait fait sortir de cellule et vous auriez escaladé un mur de prison. Le lieutenant vous aurait ramené chez un ami où vous seriez resté pour la nuit.

Le lendemain du 7 mai 2004 vous seriez allé à Bamako/Mali chez des connaissances de votre mère, originaire du Mali. Par la suite, vous vous seriez rendu en Algérie où vous seriez resté un jour à Alger avant de vous rendre au Maroc. Vous y seriez resté quatre mois en attendant l’occasion pour pouvoir partir en Europe.

Enfin, vous ne faites pas état d’autres problèmes et vous ne seriez pas membre d’un parti politique. Vous dites ne pas pouvoir retourner en Guinée parce que vous risqueriez d’être emprisonné et condamné. Vous ajoutez que votre père décédé durant le coup d’Etat en février 1996 aurait fait partie d’un groupe opposant.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Même à supposer votre emprisonnement d’un jour comme établi, alors que vous n’apportez aucun élément de preuve de celui-ci, il ne saurait, en lui-même, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’il ne peut, à lui seul, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. Vous auriez été libéré grâce à l’intervention d’un ami militaire de votre père. Vous n’établissez pas en quoi le fait que votre père tué lors d’un coup d’Etat en 1996 aurait empiré votre situation en Guinée. Vous ne faites pas état d’autres problèmes. Votre peur traduit plutôt l’expression d’un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous n’auriez pas été en mesure de vous installer au Mali où vous auriez vécu chez des connaissances de votre mère, originaire de ce pays.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est manifestement pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 1er avril 2005 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 14 avril 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 28 février 2005 et confirmative du 14 avril 2005 par requête déposée le 18 mai 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il aurait eu des responsabilités dans le groupe social des étudiants à l’université de Conakry, qu’il aurait été emprisonné en raison de ces activités et que la brièveté de cet emprisonnement serait seulement due à la promptitude d’une évasion facilitée par une complicité trouvée sur place. Il ajoute qu’il serait le fils d’un opposant au régime décédé durant le coup d’Etat de 1996, ce qui « le place plus que tout autre en ligne de mire des autorités soucieuses de contenir toute nouvelle opposition ». Le demandeur estime également que la possibilité d’une fuite vers le Mali ne serait pas plus appropriée en raison de la proximité de ce pays et de ses possibles liens familiaux vers ce pays, de manière à y être recherché en premier lieu. Il affirme être en péril dans son pays d’origine en raison de ses opinions politiques et avoir la « quasi-certitude » de son emprisonnement en cas de retour.

Le représentant étatique rétorque que de forts doutes devraient être émis quant au récit du demandeur en se prévalant d’un procès-verbal du service de police judiciaire, section stupéfiants de la police grand-ducale du 11 mars 2005 dont il ressortirait que le demandeur aurait séjourné en Suisse en 2002 sous une autre identité, à savoir celle de …. Il ajoute que, même à supposer les faits allégués établis, le simple fait d’être représentant d’un groupe d’étudiants ne saurait constituer à lui seul un motif suffisant de reconnaissance du statut de réfugié.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 19 octobre 2004, telles que celles-ci ont été relatéesdans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à fonder dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le tribunal tient à relever à titre liminaire qu’il ressort tant du mémoire en réponse de la partie étatique que du dossier administratif, et plus particulièrement d’un procès-verbal n° 17-198 du service de police judiciaire, section stupéfiants de la police grand-

ducale du 11 mars 2005, basé sur des recherches INTERPOL, que le dénommé … avait déjà séjourné en Suisse sous l’identité de …, né le … en Guinée, et qu’il fut connu des autorités suisses (« in Erscheinung getreten ») depuis le 10 décembre 2002 à Zurich pour trafic de drogues.

Force est cependant au tribunal de constater que le demandeur se prévaut, tant dans le cadre de la procédure administrative que dans celui de la procédure contentieuse, de faits, qualifiés de persécutions au sens de la Convention de Genève, qu’il aurait vécus en Guinée au mois de mai 2004, faits qui auraient justifié sa fuite immédiate vers l’Europe, et plus précisément le Luxembourg, où il serait arrivé en octobre 2004. Il y a encore lieu de constater que le demandeur a affirmé au cours de son audition ne jamais avoir précédemment séjourné dans un autre pays européen.

Il est encore constant que le demandeur, confronté au rapport précité, n’a fourni d’explications y relatives ni par écrit, dans le cadre d’un mémoire en réplique, ni oralement lors de l’audience publique du 24 octobre 2005.

Or, il appartient à un demandeur d’asile, à défaut de pièces, de présenter du moins un récit crédible et cohérent. En l’espèce cependant, les faits tels que relatés par le demandeur en vue de l’obtention de la protection prévue par la Convention de Genève doivent être écartés comme étant en contradiction avec des éléments avérés en possession du tribunal, et partant comme constitutifs de fausses déclarations.

Il s’ensuit qu’à partir des éléments ci-avant relatés, à savoir du caractère manifestement incrédible du récit du demandeur, le tribunal est amené à constater que la décision litigieuse est a fortiori justifiée dans son résultat en ce qu’elle n’a pas accordé le statut de réfugié sur base de la Convention de Genève.

Par ailleurs, même en admettant la réalité des faits avancés par le demandeur, il y a lieu de constater qu’ils ne revêtent pas une gravité suffisante pour faire admettre que la vie lui était devenue intolérable dans son pays d’origine. En outre, le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit la subsistance d’un risque concret de subir à l’heure actuelle des actes de persécution au sens de la Convention de Genève en cas de retour dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 28 novembre 2005 par le premier juge en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE SCHROEDER 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19826
Date de la décision : 28/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-28;19826 ?

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