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23/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20091

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 novembre 2005, 20091


Tribunal administratif N° 20091 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2005 Audience publique du 23 novembre 2005 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20091 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2005 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Biélorussie), de na...

Tribunal administratif N° 20091 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2005 Audience publique du 23 novembre 2005 Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20091 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2005 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Biélorussie), de nationalité biélorusse, et de son épouse, Madame …, née le … , demeurant actuellement ensemble à L- …, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 juin 2005, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Jeannot BIVER le 21 octobre 2005 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 21 novembre 2005, en présence de Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH, Maître Jeannot BIVER n’ayant été ni présent, ni représenté.

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Le 2 août 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-

York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève », tandis que son épouse, Madame …, déposa une demande identique auprès du même service en date du 4 novembre 2004.

Monsieur… fut entendu en date des 11 octobre, 21 octobre et 4 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demandes d’asile, Madame …, pour sa part, ayant été entendue le 16 novembre 2004.

Par décision du 6 juin 2005, notifiée par lettre recommandée expédiée le 10 juin 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Monsieur… et Madame … ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée par requête déposée en date du 12 juillet 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir à tort considéré qu’ils éprouvaient davantage un sentiment général d’insécurité qu'une crainte fondée de persécution et considèrent que l’instruction de leurs demandes d'asile aurait été « des plus bâclées et des plus lapidaires ».

Ils font plaider qu’il aurait appartenu au ministre de prendre sa décision sur une analyse concrète de la situation des requérants et particulièrement en toute connaissance des causes des documents lui remis.

Ils critiquent en particulier que le ministre aurait considéré que le récit de Monsieur… relativement à son adhésion aux deux partis, le « B.KH.K.» et le « BNF » serait flou, alors pourtant que le récit serait confirmé sur ce point par un certificat du parti BNF établi le 3 décembre 2003, certificat qui corroborait les dires de Monsieur…, notamment en ce qui concerne son appartenance à ce parti depuis 2000, sa participation active à plusieurs manifestations et les multiples arrestations dont il aurait été victime, pour en conclure que le ministre n’aurait apparemment pas analysé les documents qui lui avaient été remis.

Dans leur mémoire en réplique, improprement qualifié de « mémoire en réponse », ils précisent leurs critiques en reprochant au ministre de ne pas avoir pris en considération les documents remis par Monsieur… dans le cadre de son audition au motif que ces documents seraient illisibles. Ils estiment à ce sujet qu’il aurait appartenu au ministre, au cas où ces documents auraient été effectivement illisibles, d’en réclamer des copies lisibles.

Ils expliquent que la pression politique exercée sur Monsieur… l’aurait poussé à fuir vers la Russie où il n'aurait pas obtenu un certificat de résidence pour s'y établir.

Ils reprochent enfin au ministre d’avoir fait une mauvaise appréciation de la situation politique en Biélorussie, où le régime autoritaire du Président LOUKACHENKO bafouerait régulièrement les droits de l'homme, respectivement violerait le droit de ses opposants politiques.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit partant procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur (trib. adm. 13 novembre 1997, n° 9407 et 9806, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 40, p.185, et les autres références y citées).

Or, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la crédibilité des informations et documents fournis par les demandeurs à l’appui de leur demande, le tribunal retient, en ce qui concerne Monsieur…, que celui-ci a prétendu lors de son audition en date du 11 octobre 2004 être membre du parti BNF - à savoir le Front Populaire biélorusse, « Biełaruski Narodny Front Adradžeńnie » - depuis 2000 et avoir transporté et distribué des tracts pour ce parti, ainsi qu’avoir été observateur lors d’élections non autrement précisées. Il a encore affirmé ne pas avoir eu d’autres fonctions au sein de ce parti (« Non, quelles autres fonctions ? Non »).

Lors de son audition du 21 octobre 2004, le demandeur a affirmé être devenu membre du parti « BKH K » depuis avril 2000, et avoir participé comme simple membre de ce parti, sans fonctions spéciales, en tant qu’observateur aux élections présidentielles de 2001.

Enfin, lors de son audition du 4 novembre 2004, le demandeur a affirmé avoir été membre du parti « BKHK » d’avril 2000 à 2002, date à laquelle il aurait rejoint le parti « BNF ». Le demandeur a expliqué ne pas avoir été membre des deux partis en même temps, mais avoir quitté le « BKHK » parce que ce parti n’était à cette date plus actif (« Le BKHK n’avait plus d’activités, en tout cas le nombre des activités a penché vers zéro. Le BNF a repris de la force pendant ce temps-là »).

Au cours de cette même audition, Monsieur… a expliqué avoir transporté et distribué des tracts et des journaux pour les deux partis, avoir participé en 2001 à une manifestation pour compte du parti « BKHK » et avoir été « surveillant » lors d’élections en 2003 pour compte du parti « BNF ».

Il a encore relaté avoir été arrêté à deux reprises, à savoir en octobre 2002 et en septembre 2003, « après Toussaint », et ce chaque fois place Lénine à Vitebsk, et affirme avoir été battu à l’occasion de cette seconde arrestation.

Il aurait encore chaque fois été condamné à une amende.

Il ressort enfin de ces déclarations que le demandeur ne connaît manifestement pas avec précision les objectifs politiques et la nature des partis auxquels il aurait pourtant appartenu.

Il s’ensuit que le ministre a valablement pu estimer à l’étude des déclarations du demandeur que le récit de celui-ci est flou.

A l’appui de son récit, le demandeur verse cependant un certificat censé émaner du parti BNF, dont il ressort qu’il aurait été membre de ce parti depuis l’année 2000. Ce certificat renseigne encore que le demandeur aurait été l’un des initiateurs d’une campagne anti-

gouvernementale en 2000 et qu’il aurait joué un rôle important lors des élections présidentielles en 2001.

Ce certificat affirme encore que le demandeur aurait été arrêté pas moins de 6 fois par la police, à savoir le 10 septembre 2001, le 30 octobre « 2001/2002 », le 26 avril « 2002/2003 », le 27 juillet « 2002/2003 », le 30 septembre 2002 et le 2 mars 2003, et que le demandeur aurait été battu, voire même sévèrement blessé à l’occasion de quatre de ces arrestations, le demandeur ayant en particulier été « massacré » (« slaugthered ») le 2 mars 2003.

Il ressort encore de ce certificat que le demandeur aurait fait à ces différentes occasions l’objet de 3 procès différents Le tribunal constate dès lors que ce certificat se trouve sur certains points en contradiction flagrante avec les affirmations du demandeur, tandis que sur d’autres, et notamment en ce qui concerne le rôle joué par le demandeur au sein du parti BNF et les persécutions subies, et en particulier les arrestations et agressions, le certificat renseigne des faits totalement passés sous silence par le demandeur, pourtant censé avoir vécu ces persécutions.

Le demandeur verse encore des copies de procès-verbaux, consistant en des formulaires pré-imprimés remplis à la main, selon lesquels il aurait été appréhendé par la milice le 27 juillet 2002 place Lénine ainsi qu’à une date non indiquée, vraisemblablement en septembre 2003, place de la Liberté, pour avoir distribué des tracts, et qu’il aurait à chaque fois été condamné à une amende.

Outre que ces procès-verbaux n’emportent pas la conviction du tribunal, étant donné qu’ils pêchent par de nombreuses omissions (ainsi les indications relatives au casier judiciaire ne sont pas fournies, le montant de l’amende n’est pas indiqué, les indications relatives à la pièce d’identité du demandeur n’y figurent pas) force est de constater que les faits y retenus ne correspondent pas aux déclarations du demandeur, qui avait affirmé avoir été chaque fois arrêté place Lénine, et ce la première fois en octobre 2002, et non pas le 27 juillet 2002.

Enfin force est encore de constater que l’épouse du demandeur, Madame …, ne mentionne aucune des arrestations prétendument subies par son mari, mais se borne à affirmer qu’il aurait eu des « problèmes » non autrement précisés depuis 2001 et qu’il aurait été battu, sans autres détails, la demanderesse ne se rappelant par ailleurs plus la date de cette agression.

Il résulte de ce qui précède que le récit du demandeur, tel que résultant de ses déclarations faites lors de ses auditions, ensemble les pièces versées en cause, est à qualifier d’incohérent, vague et contradictoire, de sorte que ce récit n’emporte pas la conviction du tribunal quant aux persécutions ou craintes de persécutions alléguées.

En ce qui concerne les persécutions subies par la demanderesse, il y a de prime abord lieu de retenir que le défaut de crédibilité affectant le récit de son mari affecte de même le récit de la demanderesse, étant donné que celle-ci situe l’origine de ses propres problèmes directement dans les problèmes rencontrés prétendument par son mari.

Le tribunal retient encore que la demanderesse prétend d’abord au cours de son audition avoir fui la Biélorussie à cause d’appels anonymes qu’elle aurait reçus, mais qu’elle affirme ne craindre personne, pour ensuite, en réponse aux questions précises de l’agent du ministère, affirmer avoir été agressée début août 2004, et plus loin affirmer encore avoir été agressée une seconde fois, à savoir le 14 septembre 2004. Cette « évolution » des déclarations de la demanderesse laisse cependant le tribunal sceptique, étant donné que le tribunal peut raisonnablement attendre d’un demandeur d’asile qu’il indique immédiatement les raisons dirimantes l’ayant contraint à fuir son pays d’origine, et non qu’il se remémore manifestement au fur et à mesure de son audition des raisons l’ayant poussé à quitter son pays.

Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas fait état, de façon crédible, de persécutions vécues ou de craintes au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 mars 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20091
Date de la décision : 23/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-23;20091 ?

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