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23/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20048

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 novembre 2005, 20048


Numéro 20048 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2005 Audience publique du 23 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20048 du rôle, déposée le 4 juillet 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à

la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né...

Numéro 20048 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2005 Audience publique du 23 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 20048 du rôle, déposée le 4 juillet 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 avril 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 2 juin 2005 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2005 au nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 21 novembre 2005, Maître Nicky STOFFEL, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH s’étant rapportés aux écrits respectifs de leur partie.

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Le 18 mars 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 6 septembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », l’informa par décision du 28 avril 2005, notifiée par courrier recommandé du 3 mai 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que votre maison aurait été brûlée avec votre mère à l’intérieur. En effet, les itsékiris, membres de l’éthnie adverse à la vôtre (vous seriez ijaw), auraient brûlé plusieurs maisons. Les deux ethnies seraient en conflit pour la propriété du pétrole, de même qu’elles se disputeraient le gouvernement local. Les ijaws vous auraient demandé de les joindre pour vous battre contre les itsékiris, mais vous auriez refusé. Vous auriez par la suite appris par un ami qu’ils souhaitaient vous tuer en raison de ce refus et parce qu’ils penseraient que vous auriez révélé des secrets à l’ethnie adverse. Vous vous seriez aussitôt enfui chez un ami de votre mère qui vous aurait conduit à Port Harcourt chez une autre personne. Vous auriez séjourné à cet endroit durant 4 mois avant de monter dans un bateau en direction de l’Europe.

Vous précisez avoir peur des membres de votre ethnie, peur qu’ils vous tuent en cas de retour.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est cependant de constater qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il ressort du rapport d’audition une forte hésitation de votre part à répondre à maintes questions, ce qui tend à rendre votre récit très peu convaincant. De plus, notons que vous êtes dans l’incapacité de donner votre date de naissance complète. Aussi, vous prétendez ne pas être allé à l’école, alors que vous savez lire et écrire. Ces remarques entraînent des doutes quant à l’authenticité de votre récit.

Par ailleurs les faits allégués ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, le fait de craindre la vengeance d’un groupe de personnes, en raison d’une divulgation de secrets ou d’un refus de combattre, ne correspond à aucun des critères de fond de la prédite Convention.

Aussi, il ressort du rapport d’audition que vous n’avez subi aucune persécution, ni mauvais traitement. En l’espèce, votre crainte des membres de votre ethnie traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que ces personnes ne sauraient constituer des agents de persécution.

D’ailleurs vous ne mentionnez pas avoir requis la protection des autorités, il n’est ainsi pas démontré que les autorités auraient été dans l’impossibilité de vous protéger ou qu’elles auraient refusé de le faire.

Enfin, à la question d’une possibilité de fuite interne, vous n’apportez en l’espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine. Bien au contraire, il s’avère que vous avez vécu quatre mois à Port Harcourt sans invoquer un quelconque problème. Par conséquent, vous n’étiez pas dans l’impossibilité de vous installer à cet endroit ou même dans une autre région du Nigeria et ainsi bénéficier d’une possibilité de fuite interne.

Il convient en outre de relever que selon nos renseignements vous avez quitté le territoire luxembourgeois de manière totalement illégale pour vous rendre en Angleterre muni du passeport d’une tierce personne. Par conséquent, un tel comportement doit être considéré comme une omission flagrante de vous acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 30 mai 2005 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 2 juin 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 28 avril 2005 et confirmative du 2 juin 2005 par requête déposée 4 juillet 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur explique qu’il appartient à l’ethnie des ijaws et que cette ethnie « se livre à des conflits réguliers avec une ethnie adverse appelée itsékiris ». Il fait valoir que lors d’un affrontement entre les deux ethnies, sa maison aurait été incendiée et que sa mère y aurait trouvé la mort. Il soutient que les ijaws, qui seraient un groupement très brutal, l’auraient contacté pour qu’il participe à ces affrontements dont le but serait « d’acquérir la propriété du pétrole et le pouvoir au gouvernement local ». Il n’aurait cependant pas voulu adhérer à ce mouvement et ce refus aurait été « très mal pris par l’ethnie du requérant qui tente actuellement de le tuer ». Il reproche ainsi au ministre une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en rejetant sa demande d’asile.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 6 septembre 2004, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit du demandeur est extrêmement vague, non autrement documenté et partant difficilement crédible. Ainsi, c’est à juste titre que la décision ministérielle litigieuse du 28 avril 2005 relève que le demandeur a exprimé de fortes hésitations avant de répondre aux questions qui lui étaient posées, qu’il n’était pas à même d’indiquer sa date de naissance et que durant l’instruction de sa demande d’asile, il avait quitté le territoire luxembourgeois pour se rendre à Londres en utilisant un passeport d’une tierce personne et qu’un tel comportement constitue à lui seul une omission flagrante de s’acquitter de ses obligations lui imposées en tant que demandeur d’asile.

S’y ajoute que le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant.

Par ailleurs, il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’il lui aurait été impossible de trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Par conséquent, il convient de retenir que le demandeur n’a pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 novembre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20048
Date de la décision : 23/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-23;20048 ?

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