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21/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20224

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 novembre 2005, 20224


Tribunal administratif N° 20224 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2005 Audience publique du 21 novembre 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20224 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 août 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Shkoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant ...

Tribunal administratif N° 20224 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 août 2005 Audience publique du 21 novembre 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20224 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 août 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Shkoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 3 juin 2005 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre en date du 1er juillet 2005 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Radu DUTA, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 17 janvier 2005, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu en date des 18 et 25 février 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 3 juin 2005, envoyée le 7 juin suivant par lettre recommandée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour ainsi que les rapports d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration des 18 et 25 février 2005.

Vous auriez quitté Shkoder le 10 janvier 2005 et vous seriez venu au Luxembourg en camion. Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 17 janvier 2005.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire. Vous n’auriez jamais travaillé en Albanie. Vous seriez membre du Parti Démocratique depuis 1997. Le 20 octobre 2003, vous auriez été observateur des élections. Vous dites avoir été président de la Commission électorale. Le président du Parti Socialiste local aurait tenté de manipuler les votes et vous vous y seriez opposé. La police vous aurait emmené et vous auriez été frappé. En 2004, vous auriez été arrêté et frappé, puis mis en garde-à-vue pendant deux ou trois jours, comme d’autres anti-communistes. Par la suite, les socialistes vous auraient enjoint de quitter le pays pour que vous ne puissiez plus présider la Commission électorale en 2005 ou en 2006.

Hormis cette fonction de Président de la Commission électorale, vous auriez été un simple membre de votre parti qui participait à ses activités et à ses manifestations. Auparavant, en 1998, vous auriez été arrêté par la police pour avoir participé à une manifestation du Parti Démocratique.

Vous ajoutez que vous feriez partie d’une famille de persécutés et qu’on vous aurait empêché de faire des études. De plus, la situation serait peu sûre en Albanie.

Il résulte des renseignements en notre possession que vous avez déposé une demande d’asile en Allemagne en 1998 sous une autre identité. Ensuite, vous avez déposé une demande d’asile au Luxembourg sous l’identité de Dritan Bajrami le 5 mai 1999. Vous avez été entendu le 6 mai 1999 et une décision négative fut prise le 16 août 1999. Comme vous ne vous étiez plus présenté au Bureau pour demandeurs d’asile, cette décision n’a pas pu vous être notifiée. En effet, après le Luxembourg, vous étiez parti en Belgique où vous avez aussi déposé une demande d’asile.

Il convient de relever que lors de votre audition en 1999, vous aviez affirmé n’être pas membre d’un parti politique ; interrogé sur cette contradiction avec votre audition de 2005, vous avez affirmé que des Albanais vivant au Luxembourg vous aurait conseillé cette omission. Cette explication reste cependant peu convaincante. Ceci d’autant plus qu’en Allemagne, vous n’aviez pas parlé de cette affiliation non plus, puisque vous vous étiez fait passer pour un Albanais du Kosovo.

Tout ce qui précède jette un sérieux doute sur la véracité de votre récit.

Quoiqu’il en soit, je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

En ce qui concerne votre récit proprement dit, je relève d’abord que vos problèmes avec la police en 1998, à les supposer établis, alors que vous étiez en Allemagne et au Luxembourg à cette époque, sont trop anciens pour qu’on les prenne en compte en 2005.

Pour ce qui est de vos activités au sein du Parti Démocratique, il est curieux que vous ignoriez le nombre de membres du Parti Démocratique dans votre propre section et la représentation de ce parti au Parlement. Ici aussi votre récit manque de crédibilité.

En ce qui concerne les élections que vous mentionnez, celles d’octobre 2003, le rapport de l’OSCE les décrit comme calmes, dans une atmosphère pacifique, sans notable incident de violence, sans manipulation des votes et dans le respect du nouveau code électoral.

De façon générale, la situation politique en Albanie s’est considérablement stabilisée.

Depuis 2002, le dialogue est ouvert entre le Parti Socialiste et les démocrates. De plus, ce pays se trouve, depuis des années, placée sous la surveillance de l’OSCE. Il résulte d’un rapport dressé en février 2004 par l’OSCE que, si de nombreux problèmes subsistent en Albanie, les réformes progressent et la protection des droits de l’homme s’améliore. Ce rapport ne fait pas état d’actions de nature politico-criminelle contre lesquels le pouvoir en place refuserait d’intervenir ou serait dans l’impossibilité d’intervenir. La Fédération des Droits de l’Homme d’Helsinki insiste aussi sur l’importance des réformes législatives faites en 2004 pour rejoindre les standards européens. L’adoption du nouveau Code Pénal et du nouveau Code de Procédure criminelle facilite le combat contre le crime organisé. Notons aussi que la Suisse considère maintenant l’Albanie comme un pays sûr.

Tout au plus peut-on déduire de vos dires que vous éprouvez un sentiment d’insécurité et non une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous étiez aussi sans travail en Albanie et il n’est pas exclu que des motifs économiques fondent votre demande d’asile. De tels motifs n’entrent pas dans le cadre de la Convention de Genève.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 28 juin 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 1er juillet 2005.

Par requête déposée le 2 août 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 3 juin et 1er juillet 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de sa demande, le demandeur, originaire de la ville de Shkoder en Albanie, soutient remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’il aurait été membre actif du parti démocratique depuis 1997 et aurait fait l’objet de menaces en raison de son appartenance à cette organisation politique. Dans ce contexte, il relève plus particulièrement qu’il aurait été vice-président de la commission de surveillance des opérations de vote lors des élections d’octobre 2003, qu’il aurait voulu empêcher des manipulations de vote, que la police l’aurait emmené, frappé et menacé de mort, qu’il aurait encore dû subir une garde à vue de 2 ou 3 jours en « mars-avril 2004 » et que par la suite les autorités au pouvoir lui aurait enjoint de quitter le pays. Le demandeur précise finalement qu’il serait issu d’une famille de persécutés, étant donné que son arrière grand-père aurait été fusillé par les communistes en 1943 et que son père aurait été emprisonné en 1990-1991 pour avoir renversé un buste de Staline.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre compétent a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours. Il ajoute encore que les déclarations du demandeur seraient sujettes à caution, étant donné que le demandeur aurait déjà utilisé à deux reprises des identités différentes que celle donnée au ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration dans le cadre de la présente demande d’asile.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Force est de constater en premier lieu que la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont sérieusement ébranlées par le fait qu’il avait déjà antérieurement au dépôt de la demande d’asile sous examen présenté pas moins de 3 demandes d’asile sous une autre identité dans 3 pays différents, à savoir en Allemagne, au Luxembourg et en Belgique.

S’il est vrai que des contradictions et mensonges ne sont pas décisifs à eux seuls pour justifier un refus d’une demande d’asile, pareilles contradictions ébranlent cependant la crédibilité d’un demandeur d’asile (cf. trib. adm. 17 octobre 2001, n° 12930 du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 45).

Or, même abstraction faite de cette constatation, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Il convient en premier lieu de rappeler que la simple appartenance du demandeur à un mouvement ou parti politique, sans qu’il n’ait exercé une fonction ou un activisme particulier au sein dudit parti, ne saurait justifier, à elle seule, une persécution vécue ou une crainte de persécution.

En outre, s’il est vrai que les actes de persécution invoqués par le demandeur émanent en partie de personnes relevant de l’Etat, à savoir des policiers, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait être admise dès la commission d’un acte de persécution de la part d’une personne au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécution commis soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de personnes au service de l’Etat.

Dans les deux hypothèses, il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution de ce type.

En l’espèce, force est de constater que les éléments du dossier ne permettent de retenir à suffisance de droit ni que le demandeur ait concrètement recherché la protection des autorités en place dans son pays d’origine, ni l’incapacité de ces dernières pour lui assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à son encontre.

A cela s’ajoute qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. En ce qui concerne cette situation actuelle, s’il est vrai que des tensions, notamment politiques persistent en Albanie, il est cependant vrai aussi que depuis l’année 2002, la situation générale s’est stabilisée et la situation politique y a favorablement évolué, étant relevé plus particulièrement qu’il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis en cause que les autorités qui sont actuellement au pouvoir en Albanie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre des membres du parti démocratique.

Partant, les craintes exprimées par le demandeur s’analysent en substance en l’expression d’un sentiment général d’insécurité, le demandeur n’ayant pas fait état de circonstances permettant de retenir que la vie lui aurait été ou serait intolérable dans son pays d’origine, les prétendues arrestations subies par lui ne suffisant pas à elles seules pour permettre d’en tirer pareille conclusion.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 21 novembre 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20224
Date de la décision : 21/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-21;20224 ?

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