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16/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20290

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 novembre 2005, 20290


Tribunal administratif N° 20290 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 août 2005 Audience publique du 16 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20290 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 août 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et M...

Tribunal administratif N° 20290 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 août 2005 Audience publique du 16 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20290 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 août 2005 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 2 juin 2005 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 11 juillet 2005, suite à un recours gracieux du 6 juillet 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en ses plaidoiries à l’audience publique du 14 novembre 2005, Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK s’étant ralliée au mémoire de l’Etat.

Le 25 avril 2005, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut entendu le 11 mai 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 2 juin 2005, notifiée par courrier recommandé expédié le 3 juin 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 6 juillet 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision de refus confirmative de sa décision initiale le 11 juillet 2005.

Le 16 août 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre les prédites décisions de refus.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le demandeur fait exposer à l’appui de son recours qu’il appartiendrait à la minorité « vulnérable » du Kosovo et qu’il aurait été contraint de fuir son pays d’origine étant donné qu’il « estimait que sa vie était sérieusement menacée par les Albanais alors que ses droits les plus élémentaires ont été bafoués du seul fait de son appartenance ethnique et de ses activités politiques ».

Il précise avoir été membre actif du parti « BASDAK » et avoir en tant que tel assuré la protection du vice-président de ce parti ainsi que les fonctions de secrétaire et de représentant local du parti en question, ce qui lui aurait valu de nombreuses persécutions émanant d’Albanais.

Il critique à cet égard l’appréciation faite par le ministre tant de sa situation personnelle, le ministre se voyant reprocher de ne pas avoir tenu compte des pièces versées en cause par le demandeur, que de la situation au Kosovo où les minorités vivraient encore au quotidien une situation qualifiée de dramatique, les minorités se voyant en particulier exposées aux exactions des Albanais ainsi qu’entravées dans leur liberté de circulation et d’accès aux services publics.

En substance, il reproche au ministre d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

S’il se dégage en effet du rapport d’audition de Monsieur … du 11 mai 2005 ainsi que des documents versés en cause que le demandeur a été membre du parti BASDAK - parti de la minorité bochniaque du Kosovo - il résulte cependant des propres explications du demandeur que celui-ci a abandonné depuis 2004 toute activité politique.

Il résulte encore des déclarations du demandeur que si celui-ci avait fait l’objet d’une unique agression en 2003 - encore que la réalité de cette agression soit sujette à caution, le demandeur ayant dans un premier temps affirmé lors de son audition n’avoir pas personnellement ou spécialement subi de persécutions – il admet en revanche ne plus avoir été agressé depuis janvier 2003, les seules persécutions subies depuis cette date se limitant à des insultes et menaces de la part d’Albanais.

Force est dès lors de constater que le demandeur reste en défaut de relater un incident récent et précis laissant supposer un danger sérieux et spécifique pour sa personne, et qui justifierait sa fuite en avril 2005 - plus de 2 ans après l’unique agression physique prétendument subie, les seuls persécutions concrètes auxquelles il aurait été exposé se limitant à des reproches verbaux.

Il s’avère dès lors que sa fuite vers le Luxembourg en avril 2005 a été motivée par un sentiment général d’insécurité .

Or, concernant un tel sentiment d’insécurité, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bochniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant le rapport actualisé de l’UNHCR de juin 2004 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Bochniaques pendant la période observée s’étalant entre janvier 2003 et le 15 mars 2004 est restée stable. Ainsi il est relaté que « As in the previous reporting period, the security situation of Kosovo Bosniaks (…) remained stable with no major ethnically motivated incidents.1» et tout particulièrement: « In Mitrovice/a region, no further security incidents targeting Bosniaks were reported. In the urban Albanian-dominated south Mitrovice/a, Bosniaks were starting to speak their mother tongue when visiting municipal buildings and services although Bosniak being spoken in the streets was rarely heard, particularly in the south. There was a slight improvement in freedom of movement, notably as Bosniaks in the north started to travel to the south in private vehicles. Bosniaks both in the south and the north accessed basic services without any impediments. Bosniak children on both sides of the river continued to access education on their ‘side’2».

Quant à leur situation après les incidents ayant eu lieu entre le 15 et le 19 mars 2004, incidents mentionnés par le demandeur dans sa requête introductive d’instance pour étayer ses craintes, force est de constater que les Bochniaques n’étaient pas la cible directe des affrontements. En effet il est relaté dans la troisième partie du rapport intitulé « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in march 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence. … Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places3» et encore « The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities. Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events.4».

Enfin, dans son rapport intitulé « UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo » de mars 2005, l’UNHCR confirme encore cette évolution relativement positive, en soulignant le fait que la communauté bochniaque notamment, bénéficie d’une meilleure acceptation de la part de la population albanaise (« With regard to 1 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 24.

2 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 27.

3 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 31 et 32.

4 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p. 46.

Ashkaelia, Egyptian as well as Bosniak and Gorani communities these groups appear to be better tolerated »5).

Face à l’évolution somme toute positive ainsi tracée de la situation de la minorité bochniaque, malgré l’installation d’un sentiment général d’insécurité suite aux événements ayant eu lieu en mars 2004, un sentiment général d’insécurité trouvant son origine dans l’appartenance du demandeur à une minorité ethnique – en l’espèce celle des Bochniaques - ne peut être considéré comme fondant une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 novembre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, March 2005, p.4.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20290
Date de la décision : 16/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-16;20290 ?

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