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14/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20328

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2005, 20328


Tribunal administratif N° 20328 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2005 Audience publique du 14 novembre 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de police des étrangers

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J U G E M E N T Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2005 par Maître Filipe VALENTE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie

ur …, né le … (Portugal), de nationalité portugaise, déclarant demeurer à L-…, tendant à l’a...

Tribunal administratif N° 20328 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2005 Audience publique du 14 novembre 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de police des étrangers

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J U G E M E N T Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2005 par Maître Filipe VALENTE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Portugal), de nationalité portugaise, déclarant demeurer à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 12 juillet 2005 lui refusant l'entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et l'invitant à quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 août 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Filipe VALENTE et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 novembre 2005.

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Par arrêté du 12 juillet 2005, notifié le 28 juillet 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, constatant que Monsieur …, de nationalité portugaise, est susceptible au vu de ses antécédents judiciaires de compromettre la sécurité et l'ordre publics, refusa l'entrée et le séjour à l'intéressé tout en l'invitant à quitter le territoire dans un délai de 30 jours après la notification dudit arrêté et en cas de détention, dans un délai de 30 jours après la mise en liberté.

Par requête déposée le 23 août 2005, inscrite sous le numéro 20328 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle du 12 juillet 2005.

A l’appui de son recours il fait valoir qu'il serait arrivé au Luxembourg une première fois en 1987, qu’il serait retourné au Portugal à la fin de l’année 2001 pour revenir ensuite au Luxembourg au courant de l'année 2004, s’inscrivant le 2 juillet 2004 auprès de l’administration communale de Bettendorf et le 27 mai 2005 auprès de l’administration communale de Preizerdaul. Il fait ajouter qu’il occuperait un emploi salarié au Luxembourg et que toute sa famille, en l’occurrence sa mère, son père étant décédé, sa sœur et son frère, ainsi que ses oncles, tantes et cousins, résiderait au Luxembourg depuis de nombreuses années.

Il est d'avis que l'arrêté ministériel du 12 juillet 2005 serait entaché d’illégalité au motif, d’une part, qu’il a été pris sans que préalablement l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers ait été pris, comme l’exigerait pourtant l’article 1er du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers et, d’autre part, qu’il aurait été pris par une autorité incompétente, en ce que l’article 11 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère conférerait compétence exclusive au ministre de la Justice pour refuser à des étrangers l’entrée et le séjour au Grand-

Duché.

Il critique la motivation de l’arrêté litigieux en ce qu’il s’appuierait exclusivement sur ses antécédents judiciaires, sans préciser en quoi son comportement dégagerait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public telle qu’exigée par la jurisprudence européenne, et cela d’autant plus qu’aux termes de l’article 9 du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales « … la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures … ». De plus, il conteste que son comportement constituerait actuellement un risque pour l'ordre public, au motif que depuis 2001, il n’aurait plus commis aucune infraction, les faits pour lesquels il aurait été condamné se situant tous entre 1999 et 2001.

Il est encore d’avis que l’arrêté en question mettrait en danger sa vie familiale protégée par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et en ordre subsidiaire qu’il violerait le principe de proportionnalité.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’avis de la commission consultative ne serait pas obligatoire en présence de la situation d’un étranger qui à l’intention de séjourner au Luxembourg et qui se voit refuser le droit au séjour. Il se réfère ensuite à la jurisprudence en la matière concernant le moyen de l’incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration pour prendre la décision litigieuse. Quant à l’absence alléguée de risque de compromettre la sécurité et l’ordre publics, il souligne que Monsieur … a commis onze infractions qui ont fait l’objet de plusieurs condamnations et que, contrairement à sa déclaration, il ne serait pas revenu au Luxembourg en 2004 mais en 2003, ainsi qu’en témoignerait sa présence lors de trois audiences du tribunal correctionnel de Luxembourg en 2003, de sorte qu’il se serait trouvé en séjour irrégulier au pays pendant environ une année. Il souligne encore que le demandeur n’est pas marié et n’a pas d’enfants et qu’il ne lui serait pas impossible de vivre loin de sa famille, soutenant que le concept de vie familiale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme viserait la famille au sens strict, à savoir les parents et leurs enfants mineurs.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au moyen tiré de l'omission par l’autorité ministérielle de solliciter l'avis de la commission consultative pour les étrangers instituée par l'article 16 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, l’article 1er du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers dispose que « l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers sera, sauf urgence, obligatoirement pris avant toute décision portant 1° refus de renouvellement de la carte d’identité d’étranger ; 2° retrait de la carte d’identité ; 3° expulsion du titulaire d’une carte d’identité valable ; 4° révocation de l’autorisation temporaire de séjour ; 5° éloignement d’un réfugié reconnu au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ou d’un apatride au sens de la Convention de New York du 28 septembre 1954 se trouvant régulièrement au pays ».

Force est de constater en l’espèce que la décision litigieuse s’analyse en une décision de refus d’entrée et de séjour, non visée en tant que telle au titre de l’une des cinq hypothèses énumérées de façon limitative par l’article 1er du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 précité, de sorte que la prise d’un avis de ladite commission n’était pas obligatoire et que le moyen afférent laisse partant d’être fondé (cf. trib. adm. 23 novembre 2003, n° 16846 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 216).

En effet, le formulaire de demande de carte de séjour versé au dossier par le demandeur pour documenter son autorisation temporaire de séjour alléguée du 27 mai 2005, ne saurait être qualifié d’autorisation temporaire de séjour, mais constitue un élément préalable à la délivrance éventuelle d’une autorisation temporaire de séjour pour en véhiculer la demande et non pas l’aboutissement.

Concernant ensuite le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité ayant pris l’arrêté litigieux, il y a lieu de relever que l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des ministères, publié au Mémorial A n° 147 en date du 11 août 2004, pris en exécution de l’article 76 de la Constitution et de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du gouvernement grand-ducal, et attribuant compétence au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’entrée et de séjour des étrangers, a force de loi et qu’il a modifié la législation en matière d’« entrée et de séjour des étrangers » en ce sens que la compétence ministérielle revient au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, de sorte que le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité à la base de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour est à rejeter (cf. trib. adm. 25 août 2004, n° 18582 du rôle (www.ja.etat.lu).

Le demandeur conclut ensuite à l’insuffisance de la motivation retenue à l’appui de la décision litigieuse. Ledit moyen laisse cependant d’être fondé, étant donné que la décision en question indique clairement que l’entrée et le séjour sont refusés au demandeur au motif qu’il serait, compte tenu de ses antécédents judiciaires, susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics, de sorte que loin d’être imprécis, le motif indiqué a permis au demandeur d’assurer la protection de ses droits et intérêts en parfaite connaissance de cause.

Quant au fond, il échet tout d’abord de rappeler que le droit d’entrée et de séjour aux fins voulues par le traité de l’Union européenne constitue un droit directement conféré aux individus par l’ordre juridique communautaire. C’est ainsi que la Cour de Justice des Communautés européennes a retenu que « ce droit est acquis indépendamment de la délivrance d’un titre de séjour par l’autorité compétente d’un Etat membre » (CJCE 8 avril 1976, Royer, aff. 48/75). Les Etats membres ont donc l’obligation de délivrer le titre de séjour tel que visé par la directive 68/360 du 15 octobre 1968 portant sur la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs et de leur famille à toute personne apportant la preuve de ce qu’elle appartient à l’une des catégories déterminées par l’article 1er de cette directive.

Le droit communautaire applicable en matière de liberté de circulation des travailleurs pose comme principe l’identité de traitement entre les nationaux et les ressortissants communautaires, auquel il ne saurait être porté atteinte que dans des hypothèses limitativement énumérées par le droit communautaire lui-même. C’est ainsi que la directive 64/221/CEE du Conseil du 25 février 1964 portant sur des exceptions au droit de déplacement et de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique permet de refuser l’accès au territoire à tout étranger dont la présence constituerait une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique. Ces mêmes motifs peuvent également motiver l’éloignement du territoire national d’un ressortissant communautaire. Les règles énoncées plus particulièrement aux articles 2 et 3 de ladite directive ont été précisées par une jurisprudence abondante de la Cour de Justice des Communautés européennes.

Il est constant que les dispositions communautaires actuellement en vigueur en matière de libre circulation des travailleurs communautaires et de droit de séjour des ressortissants communautaires ont été transposées en droit luxembourgeois par le règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales comprenant notamment un article 9 qui dispose que : « (…) la carte de séjour ne peut être refusée ou retirée (…) et une mesure d’éloignement du pays ne peut être prise (…) que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique (…). La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. (…) Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet », auquel la décision litigieuse a valablement pu se référer.

A partir du texte réglementaire prérelaté ainsi que des principes en la matière retenus par la Cour de Justice des Communautés européennes, il y a partant lieu de retenir que l’atteinte alléguée susceptible d’être portée à l’ordre public doit être grave et de nature à compromettre un intérêt fondamental de la société de l’Etat d’accueil, de sorte que l’autorité administrative compétente doit vérifier si le comportement que l’étranger risque d’avoir dans le futur est de nature à rendre sa présence intolérable sur le territoire de l’Etat d’accueil, étant entendu que les critères retenus par les arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes en la matière font ressortir le caractère exceptionnellement grave de l’atteinte que l’étranger risque de porter à l’ordre public national, son comportement devant en effet être de nature à déstabiliser d’une manière anormalement grave l’ordre public en question. 1 S’il est en l’espèce certes constant que Monsieur … a fait l’objet de plusieurs condamnations pénales plus amplement renseignées dans l’extrait du casier judiciaire versé au dossier, il importe néanmoins de relever que les infractions ainsi sanctionnées se situent toutes entre le mois d’août 1998 et le mois d’août 2001, mais que depuis lors, d’après les éléments versés au dossier, l’intéressé ne semble plus être entré en conflit avec la loi luxembourgeoise.

Or, les infractions se trouvant à la base des condamnations pénales invoquées n’étant pas non plus de nature à faire ressortir un comportement du demandeur qui aurait été de nature à porter atteinte à un intérêt fondamental de la société luxembourgeoise, il y a lieu de constater qu’il n’était pas établi à suffisance, à la date de la prise de la décision litigieuse, que Monsieur … risquait de porter atteinte dans le futur et d’une manière anormalement grave à l’ordre public national.

1cf. Cour adm. 20 octobre 2005, n° 19604C du rôle, non encore publié Il s’ensuit que le ministre, à travers la décision litigieuse, a violé le principe de proportionnalité, de sorte que la décision litigieuse est à annuler de ce chef.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule la décision déférée du 12 juillet 2005 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 novembre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20328
Date de la décision : 14/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-14;20328 ?

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