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14/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20184

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2005, 20184


Tribunal administratif N° 20184 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2005 Audience publique du 14 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20184 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Fushemire (Kosovo/Etat de Serbie...

Tribunal administratif N° 20184 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2005 Audience publique du 14 novembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20184 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Fushemire (Kosovo/Etat de Serbie-et- Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 mars 2005, par laquelle sa demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour a été rejetée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 27 juin 2005 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

En date du 13 octobre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, demande qui fut rejetée comme non fondée suivant décision du ministre de la Justice du 25 février 2004.

Sa demande en obtention du statut de réfugié fut définitivement rejetée par un arrêt de la Cour administrative du 17 février 2005 (n° 18818C du rôle), confirmatif d’un jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2004 (n° 17833 du rôle).

Par courrier du 15 mars 2005 à l’adresse du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, Monsieur …, par l’intermédiaire de son mandataire, formula une demande d’autorisation de séjour, en faisant valoir, d’une part, qu’il aurait reçu plusieurs propositions d’embauche et, d’autre part, que son oncle, Monsieur S. M., demeurant à Luxembourg, serait d’accord à le prendre en charge jusqu'à l’obtention d’un titre de séjour.

Par décision du 22 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa le mandataire que la demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« J’ai l’honneur de me référer à votre demande d’autorisation de séjour du 15 mars 2005, en faveur de Monsieur ….

Je suis cependant amené à constater que votre mandant ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

Par ailleurs, je suis amené à constater que votre mandant ne fait pas état de raisons humanitaires justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg.

Par conséquent, je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande. (…) » Le 20 juin 2005, Monsieur … introduisit par l’intermédiaire de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 mars 2005, en faisant valoir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il se trouverait à nouveau en danger au vu des menaces proférées par des membres d’autres partis politiques que celui dont il était membre.

Par décision du 27 juin 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus du 22 mars 2005 à défaut d’éléments pertinents nouveaux.

Par requête déposée le 28 juillet 2005, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions ministérielles prévisées des 22 mars et 27 juin 2005.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer que depuis le refus de sa demande d’asile, il aurait réussi à s’intégrer au Grand-Duché de Luxembourg et à ne pas dépendre d’aides étatiques. Il estime, en se référant à la prise de position de l’UNHCR du mois de mars 2005 sur le Kosovo que la situation y serait toujours dangereuse et invoque les problèmes qu’il y aurait connus et notamment des menaces téléphoniques en raison de son adhésion au parti politique LDK. Il conclut qu’il aurait fait valoir des raisons humanitaires justifiant l’octroi d’un permis de séjour au Grand-

Duché de Luxembourg dans son chef.

Le délégué du gouvernement conclut au bien-fondé des décisions litigieuses et demande à ce que le recours soit rejeté comme étant non fondé.

Il relève en premier lieu que la demande d’asile du demandeur aurait été rejetée par une décision du ministre de la Justice du 4 février 2004, définitivement confirmée par les juridictions administratives, qu’en date du 26 avril 2004, le demandeur aurait marqué son accord auprès du ministère de la Famille avec un recours assisté dans son pays d’origine et que par la suite il n’aurait plus donné de ses nouvelles en vue d’un tel retour.

Le représentant étatique soutient encore que le refus ministériel serait justifié par le fait que le demandeur se trouverait en séjour irrégulier au pays et qu’il ne disposerait pas de moyens d’existence personnels suffisants. Pour le surplus, il estime que le demandeur ne se réfère qu’à la situation générale régnant au Kosovo sans invoquer des motifs personnels crédibles, la simple affirmation que l’appartenance au parti politique LDK lui aurait valu des problèmes n’étant pas suffisante à cet égard.

Conformément aux termes de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers, 2) le contrôle médical des étrangers, 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour », impliquant qu’un refus d’entrée et de séjour au pays peut être décidé notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 146 et autres références y citées).

Or, force est au tribunal de constater qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que Monsieur … disposait au moment de la prise des décisions litigieuses d’un quelconque moyen personnel susceptible de lui permettre de subvenir à ses besoins personnels au pays et qu’il n’a pas non plus établi qu’il était, à la date des décisions ministérielles critiquées, autorisé à travers un permis de travail à occuper un poste de travail au Grand-Duché, voire s’adonnait légalement à une activité indépendante, et qu’il pouvait partant disposer de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis. Cette conclusion n’est pas ébranlée par de prétendues prise en charge et promesses d’embauche dont bénéficierait le demandeur, lesquelles ne sont d’ailleurs documentées par aucune pièce et restent partant à l’état de simple allégation, étant donné que la prise en charge du demandeur par son oncle ne saurait constituer des moyens personnels. S’y ajoute que la simple expectative d’un travail compte tenu de prétendues promesses d’embauche est à elle seule insuffisante, aussi longtemps que le ministre compétent n’a pas délivré d’autorisation de travail.

Il s’ensuit que c’est donc à bon droit que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a pu se baser sur le défaut de moyens personnels légalement acquis au moment de la prise de la décision litigieuse pour refuser la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de Monsieur ….

En ce qui concerne les raisons, qualifiées d’humanitaires, avancées par le demandeur aux fins de justifier l’obtention de l’autorisation de séjour sollicitée, il convient de rappeler que si le contrôle juridictionnel propre à un recours en annulation ne saurait en principe aboutir à priver l’autorité administrative de son pouvoir d’appréciation, il n’en reste pas moins que, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité (cf. trib. adm. 12 février 2003, n° 15238 du rôle, confirmé Cour adm. 4 novembre 2003, n° 16173C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 14).

Force est cependant de constater que le ministre compétent n’encourt de reproche ni d’avoir outrepassé les pouvoirs d’appréciation qui lui sont reconnus dans le cadre d’une demande en délivrance d’un permis de séjour pour raisons humanitaires au sens de l’article 14, alinéa dernier de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, ni d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que le demandeur ne faisait pas valoir de raisons humanitaires justifiant la délivrance d’une autorisation de séjour.

En effet, si l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, prévoit certes qu’un étranger ne saurait être expulsé ou rapatrié dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient gravement menacées ou s’il y était exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ou encore à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les motifs tels qu’avancés par le demandeur à travers les extraits cités de la prise de position de l’UNHCR sur le Kosovo du mois de mars 2005 relatifs à un certain climat d’insécurité, un risque de nouvelles violences interethniques, une situation économique précaire ainsi qu’à une augmentation de la criminalité, ne sauraient suffire pour justifier l’octroi d’une autorisation de séjour sur base notamment de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Pour le surplus, la question des prétendues persécutions subies ou risques de persécutions en raison de l’appartenance du demandeur au parti politique LDK a déjà été toisée par le tribunal administratif à travers son jugement du 4 octobre 2004 (n° 17833 du rôle), et confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 17 février 2005 (n° 18818C du rôle), de sorte qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, il n’y a plus lieu de revenir sur cette question dans le cadre du recours sous examen.

Il s’ensuit qu’à défaut d’éléments nouveaux permettant de retenir une menace réelle et concrète qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur serait la victime de traitements ou peines inhumains ou dégradants ou encore d’actes contraires à la Convention européenne des droits de l’homme, voire un autre empêchement légitime d’un éloignement de sa part vers le Kosovo, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a valablement pu refuser la délivrance d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 14 novembre 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20184
Date de la décision : 14/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-14;20184 ?

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