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14/11/2005 | LUXEMBOURG | N°20156

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2005, 20156


Tribunal administratif N° 20156 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2005 Audience publique du 14 novembre 2005 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20156 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2005 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au table

au de l’Ordre des avocats à Luxembourg, de Monsieur .., né le … (République Démocratique d...

Tribunal administratif N° 20156 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2005 Audience publique du 14 novembre 2005 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20156 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2005 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, de Monsieur .., né le … (République Démocratique du Congo), et de son épouse, Madame … , née le … (République Démocratique du Congo), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … , tous de nationalité congolaise, demeurant actuellement à L- … , tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 mars 2005 portant rejet de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour, sinon du statut de tolérance, et une décision confirmative dudit ministre du 20 avril 2005, rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 août 2005 ;

Vu l’ordonnance du juge du tribunal administratif du 9 août 2005, numéro 20237 du rôle, déboutant les demandeurs de leur demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 7 novembre 2005, en présence de Maître Frank WIES et de Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH qui se sont rapportés aux écrits de leurs parties respectives.

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En date du 26 juin 2000, Monsieur … … et son épouse, Madame … , agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … , introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971. Cette demande fut rejetée par une décision du ministre de la Justice du 21 octobre 2003, confirmée par une décision du 8 décembre 2003 suite au recours gracieux formé par les époux … .

Le recours contentieux introduit par ces derniers à l’encontre de ces décisions ministérielles fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 27 mai 2004 (n° 17369 du rôle), confirmé sur appel par un arrêt de la Cour administrative du 11 novembre 2004 (n° 18269C du rôle).

Par courrier de leur mandataire du 11 février 2005, les époux … soumirent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en obtention d’une autorisation de séjour, sinon du statut de tolérance.

Par décision du 15 mars 2005, le ministre refusa de faire droit à cette demande pour les motifs suivants :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande d'autorisation de séjour du 11 février 2005, en faveur de la famille ….

Je suis cependant amené à constater que vos mandants ne disposent pas de moyens d'existence personnels suffisants conformément à l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers.

Par ailleurs, je suis amené à constater que vos mandants ne font pas état de raisons humanitaires justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg.

Par conséquent, je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

La présente décision est susceptible d'un recours devant le Tribunal Administratif, recours qui doit être intenté dans les 3 mois de la notification par requête signée d'un avocat à la Cour (…) ».

Le recours gracieux formé par courrier de leur mandataire du 14 avril 2005 fut rencontré par une décision de refus confirmative du ministre du 20 avril 2005.

Par requête déposée le 25 juillet 2005 les époux …, agissant tant en leur nom propre qu’en nom de leurs enfants mineurs ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions ministérielles des 15 mars et 20 avril 2005 portant rejet de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour, sinon du statut de tolérance.

Par requête déposée le 3 août 2005 et inscrite sous le numéro 20237 du rôle, les époux … ont introduit une demande tendant à obtenir une mesure de sauvegarde à l’encontre des décisions ministérielles en question en vue d’obtenir une autorisation de séjour provisoire au Luxembourg, sinon à se voir tolérer sur le territoire national en attendant que leur recours au fond soit vidé.

Par ordonnance du 9 août 2005, le juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président et des magistrats plus anciens en rang, tous légitiment empêchés, a reçu la requête en institution d’une mesure de sauvegarde en la forme et mais en a débouté les demandeurs.

Aucun recours au fond n’étant prévu en matière d’octroi d’une autorisation de séjour, ni en la matière du statut de tolérance tel que prévu par les articles 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, à l’encontre des décisions ministérielles déférées, est recevable.

A l’appui de leur recours, les époux … font exposer, en ce qui concerne leur demande tendant à obtenir une autorisation de séjour, les raisons humanitaires devant justifier l’octroi d’une telle autorisation.

Les demandeurs font plaider à ce sujet que la situation actuelle dans la République démocratique du Congo rendrait un retour « pour le moins impossible à réaliser dans des conditions humainement acceptables ». Dans ce contexte, ils signalent l’absence d’un accord de réadmission entre le Luxembourg et la République démocratique du Congo et soutiennent qu’en cas de retour dans leur pays d’origine ils se retrouveraient sans logement, étant donné que le logement de service mis à disposition de Monsieur … par son ancien employeur ne serait plus à leur disposition. Pour le surplus, comme ils seraient originaires de la région du Kasaï se situant à l’Est du pays, limitrophe avec le Rwanda, où la situation politique serait « loin d’être stable » et « encore partiellement en proie à des actes de guerre civile », ils seraient exposés à « une situation extrêmement précaire tant au niveau du respect des droits humains que de celui à l’accès à des services sociaux de base au niveau des soins de santé et autres ». A cela s’ajouterait qu’ils auraient fait beaucoup d’efforts d’intégration au Luxembourg, notamment Monsieur …, titulaire d’un diplôme universitaire en relations internationales obtenu en 1996 à l’université de Lubumbashi, qui aurait suivi des cours de fiscalité auprès de la Chambre de commerce et des cours d’allemand et d’anglais au Centre de langues, de sorte qu’il devrait pouvoir trouver assez rapidement un emploi rémunéré lui permettant de disposer de moyens de subsistance suffisants. Finalement, les demandeurs signalent encore qu’un tiers aurait déjà signé en date du 29 novembre 2004 une déclaration de prise en charge à leur profit en attendant qu’ils pourraient subvenir eux-mêmes à leurs besoins.

Sur base de l’ensemble de ces éléments, les demandeurs s’emparent de l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, et de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, pour conclure qu’ils ne pourraient pas être renvoyés vers leur pays d’origine, étant donné que « leur vie y sera exposée à des craintes non négligeables » valant risque de traitement inhumain.

En ce qui concerne leur demande formulée à titre subsidiaire et tendant à l’obtention du statut de tolérance tel que prévu par les articles 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, ils estiment que l’absence d’accord de réadmission entre le Luxembourg et la République démocratique du Congo devrait être analysée comme circonstance de fait au sens de l’article 13 (3) de la prédite loi.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs.

1.

Quant à la demande principale tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour :

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourrant être refusées à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2004, V° Etrangers 2. Autorisations de séjour – Expulsions, n° 146 et autres références y citées, p. 225).

Force est au tribunal de constater que la décision de refus initiale est principalement fondée sur le fait que les demandeurs ne disposent pas de moyens d’existence personnels, de sorte que le ministre a valablement pu leur refuser l’autorisation de séjour en se fondant sur le prédit motif et en choisissant de ne pas prendre en compte la déclaration de prise en charge signée par un tiers.

En ce qui concerne les raisons, qualifiées d’humanitaires, et avancées par les demandeurs aux fins de justifier l’obtention de l’autorisation de séjour sollicitée, il y a lieu de constater que la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée ne comporte aucune disposition imposant, voire prévoyant l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires.

Si une disposition permettant de contester pour des raisons humanitaires la légalité d’un refus d’autorisation de séjour peut le cas échéant être recherchée dans l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, article qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants, les motifs avancés par les demandeurs relatifs à leur bonne intégration au Luxembourg et à l’absence de logement disponible en République démocratique du Congo ne rentrent cependant pas dans le champ d’application des prédites dispositions.

En ce qui concerne l’invocation des risques de persécutions auxquels les demandeurs seraient exposés en République démocratique du Congo, force est au tribunal de constater que le tribunal administratif et la Cour administrative, dans le cadre du recours contentieux introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 21 octobre 2003, ayant rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs, ont relevé une évolution positive de la situation politique au Congo avec notamment la mise en place d’une amnistie générale en faveur des personnes condamnées pour des infractions à la sécurité nationale pour la période du 2 août 1998 au 4 avril 2003, de sorte que Monsieur … n’est plus susceptible d’être inquiété par les autorités en place pour les faits qui l’ont amené à quitter son pays d’origine.

Il y a lieu de citer à ce sujet le jugement du tribunal administratif du 27 mai 2004: « les demandeurs font à l’heure actuelle essentiellement état de leur crainte de voir commettre des actes de violences à leur encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part du gouvernement actuellement en place, mais ils restent en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien et de la sécurité et de l’ordre public en place se livrent encore actuellement à des actes de violence à l’encontre de personnes ayant soutenu au courant de l’année 2000 les rebelles. En effet, les coupures de presse annexées au recours gracieux, si elles établissent bien que la situation au Congo ne s’est pas encore totalement stabilisée, font uniquement état d’une présence militaire rwandaise dans la partie est de la République démocratique du Congo, mais ne démontrent pas que les autorités centrales au pouvoir se livrent encore actuellement à des actes de persécutions à l’égard de la population congolaise. Il en est de même des coupures de presse versées en cours de procédure contentieuse qui font état d’une tentative de coup d’Etat avortée au courant du mois de mars 2004 à Kinshasa, tentative de coup d’Etat qui n’a cependant pas renversé le gouvernement de transition de la République démocratique du Congo, pays dans lequel des élections libres sont pour le surplus prévues pour le mois de juin 2005 », de sorte que le tribunal ne saurait actuellement revenir sur cette conclusion sans heurter l’autorité de chose jugée dont sont revêtus les moyens et faits définitivement tranchés par l’arrêt de la Cour administrative du 11 novembre 2004.

En ce qui concerne par ailleurs la situation d’insécurité actuelle en République démocratique du Congo, si le tribunal n’entend pas nier la gravité de celle-ci, force lui est cependant de constater que les faits avancés par les demandeurs et documentés par des articles de presse versés au dossier ne permettent pas de conclure au fait que les demandeurs seraient exposés à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, à savoir à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, étant souligné qu’une situation de précarité sociale et économique n’entre a priori pas dans le champ d’application de cet article.

2.

Quant à la demande principale tendant à l’obtention d’un statut de tolérance Aux termes de l’article 13 (1) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, « si le statut de réfugié est refusé au titre des articles 10 ou 12 qui précèdent, le demandeur d'asile sera éloigné du territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère » tandis qu’aux termes de l’article 13 (3) « si l'exécution matérielle de l'éloignement s'avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre [compétent] peut décider de le tolérer provisoirement sur le territoire jusqu'au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».

Il s’ensuit que le bénéfice du statut de tolérance est réservé aux demandeurs d’asile déboutés dont l’éloignement se heurte à une impossibilité d’exécution matérielle.

Les demandeurs se prévalent à ce titre de l’absence d’un accord de réadmission entre le Luxembourg et la République démocratique du Congo ainsi qu’aux circonstances actuelles au Congo pour conclure à l’impossibilité matérielle de leur éloignement.

Outre le fait qu’un accord de réadmission n’a, en général, pour objet que de faciliter la réadmission de personnes en situation irrégulière dans leur pays d’origine, mais ne constitue pas une condition sine qua non du rapatriement - volontaire ou forcé - de personnes en situation irrégulière dans leur pays d’origine, force est au tribunal de constater que les demandeurs, au-delà de l’affirmation ci-avant citée et des difficultés matérielles inhérentes à tous les rapatriements dans des pays instables tels que la majorité des pays africains, restent en défaut de préciser pourquoi leur retour se heurterait à une impossibilité d’exécution matérielle, de sorte que le tribunal ne saurait en l’état du dossier faire droit à leur demande tendant à l’annulation du refus ministériel de leur accorder le statut de tolérance sollicité.

De tout ce qui précède, il convient de conclure que le recours en annulation est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 novembre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20156
Date de la décision : 14/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-14;20156 ?

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