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09/11/2005 | LUXEMBOURG | N°19832

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 novembre 2005, 19832


Tribunal administratif Numéro 19832 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mai 2005 Audience publique du 9 novembre 2005 Recours formé par les époux … et … et consorts contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19832 du rôle et déposée le 20 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembour

g, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Mada...

Tribunal administratif Numéro 19832 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mai 2005 Audience publique du 9 novembre 2005 Recours formé par les époux … et … et consorts contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19832 du rôle et déposée le 20 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … , agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L- … , tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 février 2005, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires leur a été refusée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2005 ;

Vu le courrier de Maître Edmond DAUPHIN déposé le 20 octobre 2005 pour informer le tribunal que désormais Maître Nadia ABDELKADER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, occupera pour les consorts … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, en présence de Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH qui s’est rapporté au mémoire écrit de la partie publique à l’audience publique du 7 novembre 2005.

Après s’être vu définitivement refuser l’asile politique au Grand-Duché de Luxembourg, Monsieur … et son épouse, Madame …, ensemble leurs enfants mineurs …, se sont adressés au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration par courrier de leur mandataire datant du 8 février 2005 pour solliciter l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, au motif que Madame …, qui avait subi une sérieuse intervention chirurgicale nécessitant un suivi médical, présenterait un état de santé qui non seulement serait extrêmement fragile, mais qui se serait de surcroît dégradé au point qu’elle nécessiterait actuellement un suivi psychiatrique ambulatoire régulier pour une durée indéterminée avec administration d’antidépresseurs associés à des anxiolytiques, dû à un syndrome anxio-dépressif grave associé à des réminiscences suite à des traumatismes de guerre. Les consorts … ont fait relever en outre à l’appui de cette demande que les deux enfants … se seraient parfaitement intégrés au Grand-Duché de Luxembourg.

Par décision du 15 février 2005, notifiée par courrier recommandé du 18 février 2005, le ministre refusa de faire droit à cette demande en s’adressant dans les termes suivants à leur mandataire :

« Je suis cependant amené à constater que vos mandants ne disposent pas de moyens d’existence personnels suffisants conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

Par ailleurs, je suis amené à constater que vos mandants ne font pas état de raisons humanitaires justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg.

Par conséquent, je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2005, les consorts … ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision ministérielle prérelatée du 15 février 2005 en lui reprochant de ne pas avoir apprécié à leur juste valeur les éléments par eux soumis à l’appui de leur demande. Ils font valoir plus particulièrement à l’appui de leur recours que confronté à une demande d’autorisation de séjour pour raisons humanitaires, le ministre n’aurait pas pu valablement leur reprocher un défaut de moyens d’existence personnels suffisants, étant donné qu’il serait évident que des demandeurs d’asile déboutés n’ont pas le droit de travailler et que c’est notamment en vue de changer cet état des choses qu’ils sollicitent une autorisation de séjour au pays.

Pour le surplus, ils estiment avoir fait état et établi à suffisance des raisons humanitaires, fondées sur l’état de santé de Madame … ainsi que sur le degré d’intégration de leurs enfants et complétées entre-temps par le diagnostic d’une malformation des pieds de l’enfant Ardit et d’un excès de poids appelant également des soins médicaux appropriés, justifiant l’octroi à titre exceptionnel d’une autorisation de séjour à des fins humanitaires. Ils reprochent plus particulièrement dans ce contexte au ministre de ne pas avoir fourni une motivation spécifique, tenant compte des particularités de leur demande, à l’appui de la décision litigieuse.

Le délégué du Gouvernement rétorque qu’il ne se dégagerait pas des éléments du dossier que Monsieur … disposait, au moment de la prise de la décision litigieuse, de moyens personnels propres suffisants pour subvenir aux besoins de sa famille et que, concernant les raisons humanitaires invoquées, il s’agirait d’une question de pure opportunité dans le chef du ministre compétent de délivrer ou non une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, de sorte que cette question devrait en principe échapper à l’examen des juridictions administratives dans le cadre d’un recours en annulation.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le recours en annulation, non autrement contesté sous cet aspect, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusé à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » La disposition légale prérelatée confère au ministre compétent la faculté de refuser l’entrée et le séjour au pays à un étranger qui ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite notamment de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas.

adm. 2004, V° Etrangers, II Autorisation de séjour, n° 146 et autres références y citées), étant entendu qu’il faut encore que les revenus soient légalement perçus, ce qui n’est pas le cas de revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi sans être en possession d’un permis de travail et qui n’est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi (trib. adm. 15 avril 1998 et 30 avril 1998, Pas.

adm. 2004, V° Etrangers, n° 154 et autres références y citées).

Etant donné que la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise et qu’il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute, il y a lieu de constater en l’espèce que les demandeurs ne disposaient pas de moyens personnels suffisants susceptibles de leur permettre de subvenir à leurs besoins de subsistance au pays, d’une part, et qu’ils ne disposaient pas non plus d’un permis de travail, qui les aurait autorisés à s’adonner à une activité salariée au Luxembourg, la simple expectative d’un travail, aussi longtemps que le ministre compétent n’a pas délivré d’autorisation de travail étant à elle seule insuffisante.

Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre une erreur manifeste d’appréciation que le ministre compétent a pu se baser sur le défaut de moyens personnels propres légalement acquis au moment de la prise de la décision litigieuse pour refuser l’entrée et le séjour au pays aux demandeurs.

Si la décision litigieuse est dès lors justifiée à suffisance de droit dans son principe, il n’en demeure cependant pas moins que l’exercice de la faculté de refuser l’autorisation de séjour à un étranger dans l’hypothèse, non utilement contestée en cause, d’étrangers ne disposant pas de moyens d’existence personnels suffisants, est susceptible d’être tenue en échec lorsqu’une décision de refus fondée sur ledit motif s’analyse en une violation des dispositions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose comme suit :

« Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

En effet, s’il est de principe, en droit international, que les Etat ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner si les consorts … peuvent en l’espèce utilement conclure à l’annulation de la décision litigieuse, en faisant état de raisons de santé, en ce sens que le refus de leur accorder une autorisation de séjour reviendrait dans son résultat à les soumettre à un traitement inhumain ou dégradant.

Force est de constater à cet égard que les pièces versées au dossier, si elles sont certes de nature à documenter l’existence de troubles psychologiques dans le chef de Madame …, ainsi que des problèmes de santé dans le chef de l’enfant … , ne permettent pas pour autant de dégager que la décision litigieuse s’analyse en un traitement inhumain ou dégradant des demandeurs compte tenu de leur situation spécifique.

En effet, les éléments du dossier ne permettent pas de dégager une impossibilité dans le chef des demandeurs de se faire soigner de manière adéquate dans leur pays d’origine, voire qu’une impossibilité de continuer à séjourner au Luxembourg serait de nature à compromettre sérieusement leur état de santé au point de valoir à la décision litigieuse le caractère d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 novembre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19832
Date de la décision : 09/11/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-11-09;19832 ?

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