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27/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19933

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2005, 19933


Tribunal administratif Numéro 19933 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 juin 2005 Audience publique du 27 octobre 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19933 du rôle, déposée le 9 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre d

es avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Porto Novo (Bénin), de nationalité béninoise, deme...

Tribunal administratif Numéro 19933 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 juin 2005 Audience publique du 27 octobre 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19933 du rôle, déposée le 9 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Porto Novo (Bénin), de nationalité béninoise, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 14 mars 2005 par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 9 mai 2005 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Daniel BAULISCH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 19 janvier 2005, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut encore entendu en date du 9 février 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par lettre du 14 mars 2005, notifiée à l’intéressé en mains propres le 18 avril 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 janvier 2005 et le rapport d’audition de l’agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 9 février 2005.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 19 janvier 2005 que vous auriez quitté Cotonou par avion en date du 17 janvier 2005 accompagné par un européen parlant français dont vous ignorez le nom. Vous dites avoir voyagé avec votre passeport que vous auriez remis à cette personne, mais vous ignorez si le passeport aurait été muni d’un visa. Vous ignorez également dans quel pays vous auriez atterri. Après les contrôles douaniers vous auriez donné votre passeport à votre accompagnateur qui vous ne l’aurait plus rendu. Par la suite, ce dernier vous aurait emmené dans une gare où vous seriez tous les deux montés dans un train. En route, il serait sorti du train à votre insu et vous auriez continué seul jusqu’à la fin et vous vous seriez ainsi retrouvé au Luxembourg. Vous y seriez arrivé le 18 janvier 2005 et le dépôt de votre demande d’asile date du lendemain. Vous ne présentez aucune pièce d’identité. Vous précisez avoir jeté le billet de train.

Il résulte de vos déclarations que votre père serait « alfa », sorte de vaudou et qu’il fabriquerait des gris-gris. Il aurait également été chef d’un groupe de « alfas ».

En 2002, votre frère, premier fils, aurait été sacrifié, rite traditionnel de ce groupe.

Vous dites que votre père aurait aidé le parti politique PRD en promettant à son président d’accéder au pouvoir après les élections. Par la suite, il aurait pourtant également aidé le groupe MADEP qui aurait alors gagné les élections. Le PRD aurait poursuivi votre père pour qu’il leur rende leur argent. Ils ne l’auraient pas trouvé et ils auraient saisi votre maison. Votre mère aurait dû quitter le Bénin parce qu’elle serait mal vue après cette histoire. Depuis, vous auriez vécu chez des cousins. Par la suite, des amis de votre père vous auraient dit que ce dernier aurait été assassiné, vous pensez vers 2002-2003. Vous ignorez pourquoi et par qui il aurait été tué.

Un an après vous avoir informé du décès de votre père, ces mêmes amis, membres du groupe des « alfas » vous auraient dit que vous devriez succéder à votre père. Vous l’auriez pourtant refusé étant donné que vous seriez musulman et parce que vous ne voudriez pas sacrifier votre premier enfant. Vous ne faites pas état de persécutions ou de problèmes concrets, vous dites seulement que si vous n’accepteriez pas de prendre la place de votre père vous seriez maltraité par les membres du groupe « alfa ». Ces derniers ne vous auraient pas menacé, mais les membres seraient capables de tout, ils pourraient même vous tuer ici au Luxembourg grâce à leurs pouvoirs spéciaux. Vous n’auriez pas demandé de protection aux autorités béninoises. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a tout d’abord lieu de relever qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que des contradictions et invraisemblances dans votre récit laissent planer des doutes quant à l’intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué. Il y a tout d’abord lieu de soulever que lors du dépôt de votre demande d’asile vous avez noté sur votre fiche de données personnelles être chrétien. Pourtant, lors de l’audition du 9 février 2005 vous dites que vous seriez musulman. Confronté à cette contradiction, vous admettez avoir rempli que vous seriez chrétien, mais que vous vous seriez trompé. Or, cette explication est peu convaincante. Il semble peu probable que vous vous seriez trompé sur votre religion d’autant plus que vous dites avoir refusé de succéder à votre père parce que vous seriez justement musulman. Par ailleurs, vous avez indiqué auprès de la police judiciaire que vous ignorez si votre passeport aurait été muni d’un visa. En audition, vous affirmez que vous auriez été en possession d’un visa. Vous avez déclaré à la police judiciaire que la personne qui vous aurait aidé de venir en Europe vous aurait laissé dans le train et que vous seriez venu tout seul au Luxembourg. En audition, vous prétendez que cette personne vous aurait abandonné à la gare du Luxembourg. Il est par ailleurs peu probable qu’à aucun moment vous n’auriez pas su dans quel pays vous auriez atterri et où vous auriez pris le train d’autant plus que vous auriez été accompagné et en possession d’un billet de train sur lequel figure la gare de départ.

Quoi qu’il en soit, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est pourtant de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions dans votre pays d’origine. Vous dites que vous auriez quitté le Bénin parce que vous n’auriez pas voulu succéder à votre père dans le groupe des « alfas ».

Or, ce motif ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique car il ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. A cela s’ajoute que vous ne faites pas état de problèmes ou persécutions concrets liés à ce refus. Vous pensez seulement que les membres du groupe « alfa » pourraient vous faire du mal, mais cette peur n’est que purement hypothétique et basée sur aucun fait réel. Par ailleurs, ces membres ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Il ressort de votre récit que vous n’auriez pas demandé la protection des autorités du Bénin, pourtant il n’est pas établi que les autorités béninoises auraient refusé de vous protéger ou seraient dans l’incapacité de ce faire. Il faut également noter que votre crainte et votre réaction de fuir en Europe sont totalement démesurées par rapport aux faits allégués.

De surcroît, le Bénin, pays démocratique, doit être considéré comme pays d’origine sûr où il n’existe pas en règle générale des risques de persécution au sens de l’article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, qui dispose que « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution ». Une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 13 avril 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 9 mai 2005.

Par requête déposée le 9 juin 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 14 mars et 9 mai 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, alors qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine en raison de menaces lancées à son encontre. Il expose plus particulièrement que son père aurait « aidé » le parti politique PRD en promettant à son président de gagner les élections, qu’il aurait également « aidé » le parti MADEP qui aurait ensuite remporté les élections et que des membres du parti PRD auraient alors poursuivi son père pour récupérer l’argent qu’ils lui avaient versé pour ses services. Il précise que sa mère aurait également dû quitter le Bénin et qu’il aurait depuis lors habité chez ses cousins où il aurait appris la nouvelle de l’assassinat de son père. Les amis de son père lui auraient alors demandé de succéder à son père dans le groupe des « alfas », ce qu’il aurait refusé de faire, étant donné que cela aurait signifié devoir sacrifier son premier enfant, ce qui serait contraire à sa religion. Il fait encore valoir que des contradictions dans son récit ne sauraient lui être opposées pour refuser sa demande d’asile, alors que sa demande d’asile ne serait pas frauduleuse.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur (cf. trib. adm. 13 novembre 1997, n° 9407 et 9806 du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 43).

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont fondamentalement ébranlées par les nombreuses contradictions et incohérences telles que relevées par l’autorité ministérielle dans sa décision initiale de refus du 14 mars 2005. A cela s’ajoute que la version des faits présentée par le demandeur devant les autorités de police françaises, telle que celle-ci est relatée au procès-verbal n° 2005/000496 du 18 avril 2005 établi par la police judiciaire de Lille, est en flagrante contradiction avec ses déclarations antérieures, le demandeur ayant déclaré à la police française qu’il avait quitté le Bénin en raison de menaces de mort émanant de sa famille pour une affaire d’héritage.

S’il est vrai que des contradictions et mensonges ne sont pas décisifs à eux seuls pour justifier un refus d’une demande d’asile, pareilles contradictions ébranlent cependant la crédibilité d’un demandeur d’asile (cf. trib. adm. 17 octobre 2001, n° 12930 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 45).

A la lumière de cette constatation et compte tenu d’allégations essentiellement vagues et non circonstanciées et d’un défaut d’un quelconque élément de preuve tangible relativement à des persécutions concrètes que le demandeur a subies ou des risques réels afférents, le récit du demandeur n’est pas de nature à dégager l’existence d’un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 27 octobre 2005, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19933
Date de la décision : 27/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-27;19933 ?

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