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27/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19914

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2005, 19914


Tribunal administratif N° 19914 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2005 Audience publique du 27 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19914 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né

le …Hastings (Sierra Leone), de nationalité sierra-léonaise, actuellement détenu au Centre pén...

Tribunal administratif N° 19914 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2005 Audience publique du 27 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19914 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …Hastings (Sierra Leone), de nationalité sierra-léonaise, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 24 mars 2005 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre en date du 2 mai 2005 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en sa plaidoirie.

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Le 16 décembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut encore entendu en date du 15 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Par décision datant du 24 mars 2005, lui notifiée en mains propres le 8 avril 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps en charge du dossier, l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 décembre 2003 et le rapport d’audition du ministère de la Justice du 15 juin 2004.

Le 10 janvier 2005 vous avez été condamné par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle à une peine d’emprisonnement de 6 mois et une amende de 500 euros pour infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie et au règlement grand-ducal du 26 mars 1974.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté Lagos/Nigeria pour le Bénin en date du 17 novembre 2003 avec votre fiancée, Madame …, également demandeur d’asile au Luxembourg. Vous auriez pris un bateau à Contonou/Bénin sur lequel vous auriez passé trois semaines. Vous ignorez où vous auriez accosté. Par la suite, une personne vous aurait emmené en voiture au Luxembourg. Votre demande d’asile date du 16 décembre 2003. Vous n’auriez rien payé pour votre voyage.

Il résulte de vos déclarations que vos parents et votre frère auraient été tués le 10 décembre 1998 dans une attaque de personnes appartenant au parti politique SLPP contre votre village. Vous même, vous vous seriez échappé et vous auriez quitté la Sierra Leone le 13 décembre 1998 par bateau lors d’une évacuation de personnes civiles. Vous auriez accosté au Nigeria où vous auriez vécu jusqu’en novembre 2003. Vous ne faites pas état d’autres problèmes en Sierra Leone.

Vous précisez que votre père aurait été président des rebelles RUF, sans préciser à quel niveau. Vous même, vous n’auriez pas été membre du RUF, mais vous auriez transmis des messages de votre père. Vous ne vous rappelez pourtant plus quelle serait la signification exacte de RUF. Vous auriez quitté la Sierra Leone parce que les civils tueraient les gens appartenant à des groupes rebelles. Vous auriez peur de vous faire tuer par des civils parce que votre père aurait été une personne connue.

Vers juin 2002 vous auriez fait la connaissance de Madame … au Nigeria qui serait tombée enceinte de vous en septembre 2003. Vous auriez voulu l’épouser, mais la mère de Madame … se serait opposée à ce mariage, parce que vous seriez étranger et chrétien. Le 10 novembre 2003 vous auriez été agressé par plusieurs personnes appartenant à un groupe musulman de l’ex-époux de votre fiancée, vous menaçant de vous tuer si vous continueriez à fréquenter Madame …. Vous auriez quitté le Nigeria en date du 17 novembre 2003 à cause de ce problème.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, il ne résulte pas de vos allégations que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. En effet, l’attaque de votre village de 1998 ne saurait suffire pour baser une demande en obtention du statut de réfugié d’autant plus qu’elle est trop éloignée dans le temps et qu’un changement profond de la situation au Sierra Leone est intervenu depuis. En effet, la guerre civile est terminée et la stabilisation de la situation de sécurité dans le pays a rendu possible le retour de plus de 230.000 réfugiés sierra-léonais de la Guinée et du Liberia avoisinants et l’amélioration des conditions de rétablissement de ces réfugiés et des nombreux déplacés internes. A cela s’ajoute que vous dites craindre les personnes civiles qui pourraient se venger des rebelles. Or, ces personnes ne sauraient être assimilées à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Notons également qu’il est fort étonnant que vous ne sachiez pas la signification du RUF, alors que vous dites que votre père aurait été un personnage important de ce mouvement rebelle ce qui motiverait votre crainte des personnes civiles.

Votre demande traduit tout au plus l’expression d’un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne les motifs pour lesquels vous auriez quitté le Nigeria, ils ne sont aucunement pertinents eu égard à votre demande d’asile. En effet, la Convention de Genève prend en compte uniquement les persécutions subies dans le pays d’origine du demandeur ou s’il n’a pas de nationalité, dans le pays où il a sa résidence habituelle, ce qui n’est pourtant pas votre cas, car vous vous dites être sierra-léonais et présentez à cet effet un acte de naissance établi en juillet 2001.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre adressée le 25 avril 2005 au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, celui-ci prit une décision confirmative le 2 mai 2005.

Monsieur … a fait introduire par requête déposée en date du 6 juin 2005 un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation des décisions ministérielles initiale du 24 mars 2005 et de celle confirmative du 2 mai suivant.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose avoir quitté son pays d’origine, la Sierra Leone, en 1998, au motif que le village dans lequel il aurait habité aurait été attaqué par des personnes appartenant à un parti politique dénommé « SLPP » et que lors de cette attaque, ses père – membre d’un autre parti politique - et mère, de même que son frère, auraient trouvé la mort. Il ajoute encore qu’il n’aurait pas pu rester au Nigeria, pays ou il s’était réfugié dans un premier temps, alors que la famille de sa fiancée aurait été opposée à leur union et qu’il aurait été brutalisé par un « groupe de musulmans », des amis de l’ex-époux de sa fiancée.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En effet, force est de constater que le demandeur n’a pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève, le récit du demandeur relativement à son pays d’origine, la Sierra Leone, restant essentiellement vague, d’une part, mais surtout, même à supposer les faits établis, quod non, lesdits faits constituent, au regard de l’évolution positive de la situation générale au Sierra Leone depuis la survenance des faits – évolution relevée par le ministre compétent, sans qu’il n’ait été utilement contredit - un fait trop éloigné dans le temps pour justifier une crainte de persécution concrète et actuelle, d’autre part, ce à quoi il convient encore d’ajouter de troisième part que les risques invoqués restent pour le surplus géographiquement limités au village d’origine et les localités avoisinantes, mais il ne s’en dégage nullement que le demandeur a été ou serait exposé à des actes de persécution sur l’entièreté du territoire de son pays d’origine.

En substance, le récit du demandeur ne fait apparaître qu’un sentiment général d’insécurité.

Ceci étant, en présence d’un demandeur d’asile qui n’a pas justifié l’existence d’une situation subjective spécifique laissant supposer un danger sérieux pour sa personne en cas de retour dans son pays d’origine, la Sierra Leone, les raisons par lui exposées pour lesquelles il ne pourrait pas retourner au Nigeria, où il a recherché refuge dans un premier temps, manquent de pertinence pour justifier la reconnaissance du statut revendiqué.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours en réformation doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 27 octobre 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19914
Date de la décision : 27/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-27;19914 ?

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