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27/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19844

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2005, 19844


Tribunal administratif N° 19844 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2005 Audience publique du 27 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19844 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2005 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avoc

ats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Abidjan (Côte d’Ivoire), de nationalité ivo...

Tribunal administratif N° 19844 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2005 Audience publique du 27 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19844 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2005 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Abidjan (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du 2 mars 2005 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, déclarant sa demande en obtention du statut de réfugié non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2005 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en sa plaidoirie.

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Le 11 février 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut encore entendu en date des 15 et 29 mars 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Par décision datant du 2 mars 2005, lui notifiée en mains propres le 21 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps compétent en la matière, l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 11 février 2004 que vous auriez quitté Abidjan par avion le 9 février 2004 avec un passeport ghanéen. Vous ignorez à quel nom ce passeport aurait été établi, avec quelle compagnie européenne vous auriez voyagé et où vous auriez atterri. Par la suite, vous auriez pris un train pour le Luxembourg où vous seriez arrivé le 10 février 2004. Le dépôt de votre demande d’asile date du lendemain. Vous ne présentez aucune pièce d’identité. En audition vous précisez qu’un ami de votre père aurait organisé et financé votre voyage en Europe.

Il résulte de vos déclarations que votre père serait politicien et membre du parti politique d’opposition RDR, abréviation selon vos dires pour « Rassemblement Démocratique Républicain ». Il aurait tenu des réunions dans sa maison depuis au moins trois ans, raison pour laquelle il aurait été arrêté le 10 janvier 2004 par la police. Ce jour, des amis vous auraient reporté ce fait et vous auraient conseillé de ne pas rentrer à la maison, parce que la police serait toujours présente. Vous auriez suivi ce conseil et depuis cette date vous ne seriez plus retourné à la maison. Vous ajoutez que la police aurait fermé la maison. Vous vous seriez réfugié chez votre oncle où vous seriez resté pendant trois semaines. Pendant ce temps, votre oncle vous aurait dit que la police serait à votre recherche, vous pensez pour vous arrêter et ceci parce qu’elle aurait arrêté votre père.

Vous précisez ne pas être membre d’un parti politique. Personnellement, vous ne faites pas état de persécutions ou d’autres problèmes. Ce serait la première fois que votre père aurait eu des ennuis avec la police. Votre oncle vous aurait dit qu’il ne pourrait plus vous garder et que vous devriez quitté(sic) la Côte d’Ivoire.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a d’abord lieu de soulever que vous avez été arrêté aux Pays-Bas en date du 5 février 2005 pour séjour irrégulier. Vous avez déclaré aux autorités néerlandaises avoir quitté le Luxembourg le 5 février 2005 par train pour la Belgique où votre copine serait venue vous chercher pour fêter l’anniversaire de sa sœur aux Pays-Bas. Vous dites avoir eu l’intention de rentrer au Luxembourg par après. Le Luxembourg, compétent pour connaître de votre demande d’asile a accepté votre transfert au Luxembourg. Le fait de se rendre hors territoire luxembourgeois doit être interprété comme un refus de collaboration manifesté de votre part et considéré comme omission flagrante de vous acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile au sens de l’article 6 f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile.

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Notons qu’il est peu probable que vous ne sachiez pas dans quel pays vous auriez atterri avec l’avion pris le 9 février 2004 à Abidjan, alors qu’un ami de votre père qui aurait organisé et financé le voyage, vous aurait accompagné durant tout le voyage. A cela s’ajoute que depuis mars 2004, mois dans lequel vous avez été auditionné, vous n’avez produit aucune pièce prouvant votre identité. Par ailleurs, vous dites que RDR serait l’abréviation de « Rassemblement Démocratique Républicain ». Or, cette information est erronée étant donné que RDR veut dire « Rassemblement des Républicains ».

Quoi qu’il en soit, de même en faisant abstraction des constatations sus-

mentionnées, et en supposant vos dires comme étant vrais, force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions par le gouvernement guinéen (sic) au sens de la Convention de Genève. Vous pensez être recherché par la police parce que votre père aurait été arrêté par cette dernière, sans pour autant pouvoir étayer cette supposition.

Vous dites également ne jamais avoir été confronté à la police et vous ne faites pas état de persécutions. Or, de simples craintes hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève.

Par ailleurs, des fais non personnels mais vécus par d’autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d’asile établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, vous restez en défaut d’étayer un lien entre le traitement de votre père, prétendument membre d’un parti politique d’opposition et des éléments liés à votre personne vous exposant à des actes similaires. En effet, vous déclarez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état d’activités politiques quelconques, ni de persécutions.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est manifestement pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre adressée le 20 avril 2005 au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, celui-ci prit une décision confirmative le 25 avril 2005.

Monsieur … a fait introduire, par requête déposée en date du 23 mai 2005, un recours contentieux tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision ministérielle initiale du 2 mars 2005.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision litigieuse. En effet, comme l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, l’existence d’une telle possibilité d’un recours en réformation rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en annulation formé à l’encontre de la décision critiquée est partant à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose avoir quitté son pays d’origine, la Côte d’Ivoire, en raison du fait que son père serait politicien et membre du parti politique d’opposition « RDR », que ce dernier aurait tenu des réunions politiques à son domicile et aurait de ce fait été arrêté le 10 janvier 2004 et emprisonné depuis cette date. Craignant d’être arrêté à son tour, il se serait réfugié dans une première phase chez son oncle pour quitter ensuite la Côte d’Ivoire, « pays meurtri par la guerre civile », à destination de l’Europe.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations faites.

En l’espèce, et abstraction faite du séjour irrégulier du demandeur au Pays-Bas, l’examen de ses déclarations lors de ses auditions en dates des 15 et 29 mars 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes-rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, le seul motif de persécution quelque peu concret invoqué par le demandeur a trait à un prétendu emprisonnement de son père, lequel serait lié aux activités politiques de ce dernier, et la crainte de subir le même sort.

Or, force est de constater que les faits - même à les supposer établis - ainsi mis en avant par le demandeur ne lui sont pas personnels mais ont été vécus par un autre membre de sa famille. Or, de tels éléments ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef du demandeur que s’il établit un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières (cf. trib. adm. 21 mars 2001, n° 12965 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 70). A défaut par le demandeur d’avoir concrètement étayé un lien entre le prétendu traitement de son père et d’éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution, la simple affirmation générale que « je ne sais pas ce qui va m’arriver » en cas de retour en Côte d’Ivoire, ne saurait suffire à cet égard.

Concernant ensuite la situation générale défavorable invoquée en Côte d’Ivoire, force est de constater qu’elle traduit plutôt un sentiment d’insécurité général et non pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours en réformation doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 27 octobre 2005 par le premier juge, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schroeder 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19844
Date de la décision : 27/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-27;19844 ?

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