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27/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19836

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2005, 19836


Tribunal administratif N° 19836 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mai 2005 Audience publique du 27 octobre 2005

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Recours introduit par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19836 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 mai 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, assisté de Maître Radu DUTA, avocat, t

ous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant êt...

Tribunal administratif N° 19836 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mai 2005 Audience publique du 27 octobre 2005

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Recours introduit par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19836 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 mai 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, assisté de Maître Radu DUTA, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Télémile (Guinée-Conakry), de nationalité guinéenne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 avril 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 4 mai 2005 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Radu DUTA, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 11 novembre 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg. Il fut encore entendu en date du 18 mars 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par lettre du 8 avril 2005, lui notifiée le 12 avril 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 11 novembre 2004 que vers octobre 2004 vous auriez quitté Conakry par bateau dans lequel vous seriez entré sans aide quelconque. Vous n’auriez rien mangé pendant tout le voyage qui aurait duré plusieurs semaines. Vous pensez être arrivé au Luxembourg et vous seriez venu à pieds en ville où vous auriez trouvé les bâtiments du Service des Réfugiés. Le dépôt de votre demande d’asile date du 11 novembre 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que lors d’un jeu de football vous auriez blessé un garçon avec le ballon. Il en serait décédé par la suite et le jour de son décès vous auriez été arrêté. Vers mai 2004 vous auriez été jugé par un tribunal de Conakry et condamné à un an de prison. Vous auriez été emprisonné à Alpha Yaya, d’où vous vous seriez évadé après trois mois. Un soir, on vous aurait permis d’utiliser des toilettes à l’extérieur et ceci sans surveillance. Vous en auriez profité et vous seriez sorti de la porte principale de la prison qui aurait été ouverte. Vous dites ne pas avoir vu de gardiens à cette entrée principale.

En cas de retour en Guinée vous pensez être tué par le gouvernement parce que vous vous seriez évadé de prison. Vous avez également peur de vous faire tuer par la famille du garçon décédé. Enfin, vous ne faites pas état d’autres problèmes et vous ne seriez pas membre d’un parti politique.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. En l’occurrence, il convient de souligner que vous avez délibérément menti quant à vote âge puisqu’un certificat médical daté du 28 janvier 2005 atteste qu’après examen approfondi il appert que vous êtes plus âgé que l’âge que vous avez indiqué. A ce sujet, l’article 6 2b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Selon l’article 9 de la loi précitée « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ». A cela s’ajoute que lors du dépôt de votre demande d’asile vous avez indiqué être né en 1989, sans pouvoir préciser le jour et le mois. Pour pouvoir vous créer une matricule, le Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration a pris une date purement fictive à savoir le 1er janvier. Lors de l’audition du 18 mars 2005 vous prétendez ne plus vous souvenir de votre année de naissance, mais que vous seriez né le 1er janvier ! Il s’ensuit de tout ce qui précède que des doutes très sérieux doivent être émis quant à votre identité réelle.

Par ailleurs, votre récit contient plusieurs invraisemblances. Ainsi, vous aviez déclaré à la Police Judiciaire avoir pris un bateau de Conakry jusqu’au Luxembourg et que vous seriez venu à pieds aux bâtiments du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration.

Vous précisez également ne rien avoir mangé durant tout votre trajet qui aurait duré plusieurs semaines et être entré dans le bateau sans aide quelconque. Or, de telles déclarations sont difficilement concevables et peu convaincantes. Par ailleurs, en audition vous avez déclaré dans un premier temps avoir pris un camion de la gare routière de Madina à Conakry jusqu’à la gare de Luxembourg et que vos amis vous auraient payé le voyage. Un tel trajet est peu probable et vous n’en aviez pas parlé auprès de la Police Judiciaire. Par la suite, vous avez déclaré en audition avoir d’abord pris un bateau, puis un camion, mais que vous ignorez où vous auriez pris ce camion. Enfin, notons que votre fuite de prison et notamment le fait que l’entrée principale de la prison aurait été ouverte et non gardée, est également peu concevable. Toutes ces constations entachent très sérieusement la véracité et la crédibilité de vos déclarations.

Quoi qu’il en soit, force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions dans votre pays d’origine et que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève. Le fait que vous auriez été condamné à une peine de prison pour coups et blessures involontaires entraînant la mort, fait que vous ne niez d’ailleurs pas, ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique car il ne rentre très clairement pas dans le cadre de la Convention de Genève. Il en va de même en ce qui concerne votre fuite de prison. Par ailleurs, votre peur d’être tué par le gouvernement guinéen ou que ce dernier puisse vous remettre aux parents de la victime est purement hypothétique et pas basée sur aucun fait réel ou probable. Votre peur de vous faire tuer par les parents de la victime ne saurait également pas fonder une demande d’asile, d’autant plus que ces derniers ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclaré non fondée pour les mêmes motifs.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est manifestement pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par le demandeur suivant lettre de son mandataire du 3 mai 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 4 mai 2005.

Par requête déposée le 20 mai 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 8 avril et 4 mai 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la Guinée et qu’il aurait été contraint de quitter son pays par crainte d’être tué suite au décès d’un jeune garçon qu’il aurait blessé avec un ballon de football. Il expose plus particulièrement qu’à la suite de cet incident, il aurait été arrêté et condamné à une peine d’emprisonnement de 1 an, qu’il aurait été frappé en prison, qu’il aurait cependant réussi à s’évader après 3 mois d’emprisonnement et qu’à l’heure actuelle, en cas de retour en Guinée, il risquerait d’être tué par le gouvernement, sinon par la famille de la victime décédée.

En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur (cf. trib. adm.

13 novembre 1997, n° 9407 et 9806 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 43).

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de relever en premier lieu que le demandeur, dépourvu de papiers d’identité et ne présentant pas de pièces à l’appui de son récit, doit au moins présenter un récit crédible et cohérent. Or, en l’espèce, force est de constater que la crédibilité des déclarations du demandeur est sérieusement ébranlée par les incohérences contenues dans son récit relativement au trajet pour arriver au Luxembourg et quant à sa date de naissance.

Par ailleurs, même en faisant abstraction de ces incohérences, il échet de constater que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible et qu’elles sont insuffisantes pour justifier qu’il risquait ou risque, individuellement et concrètement, de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine.

Ainsi, le demandeur fait essentiellement valoir sa crainte de subir des persécutions en cas de retour dans son pays d’origine, en raison de son évasion de prison. Or, le fait d’avoir été arrêté et condamné à une peine d’emprisonnement de 1 an pour coups et blessures involontaires ayant entraîné la mort, à le supposer établi, relève en tant que tel de la répression d’infractions de droit commun sans être d’une gravité disproportionnée pour valoir comme motif d’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et que les membres de la famille de la victime ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de ladite Convention.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 27 octobre 2005, par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schroeder 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19836
Date de la décision : 27/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-27;19836 ?

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