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27/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19820

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 octobre 2005, 19820


Numéro 19820 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2005 Audience publique du 27 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19820 du rôle, déposée le 17 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cou

r, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à...

Numéro 19820 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2005 Audience publique du 27 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19820 du rôle, déposée le 17 mai 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Umelaga Onitsha (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 février 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 11 avril 2005 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2005;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 octobre 2005.

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Le 1er mars 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 24 septembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », l’informa par décision du 28 février 2005, notifiée par courrier recommandé du 2 mars 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 1er mars 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 septembre 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 1er mars 2004 que le 11 février 2004 vous auriez quitté Lagos/Nigeria à bord d’un bateau. La traversée aurait duré deux à trois semaines.

Vous ignorez où vous auriez accosté. Par la suite une personne vous aurait emmené en voiture au Luxembourg et votre demande d’asile date du 1er mars 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que votre père serait décédé le 2 novembre 2002. Vous pensez qu’il aurait été tué par des pratiques « juju » exécutées par vos oncles. Par la suite, ces derniers auraient à plusieurs reprises menacé et tenté de vous assassiner dans le but de récupérer les biens laissés en héritage par votre père. Vous n’auriez pas demandé de protection auprès des autorités nigérianes contre les divers agissements de vos oncles dont vous vous dites victime. En décembre 2003 vous seriez parti à Lagos où vous auriez séjourné pendant un mois avant votre départ pour l’Europe. Vous admettez ne pas y avoir eu de problèmes.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état d’autres problèmes.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle liasse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a d’abord lieu de relever que vous vous êtes rendu aux Pays-Bas où vous avez été arrêté le 29 juin 2004 pour séjour irrégulier sous le nom de « B.J. TAISNE », né le 22 mars 1972 à Mbaise, de nationalité nigériane. Vous avez expliqué aux autorités néerlandaises que vous travailliez illégalement aux Pays-Bas mais que vous retourniez une fois par mois au Luxembourg pour faire valider votre attestation de demandeur d’asile. Le fait de se rendre hors territoire luxembourgeois doit être interprété comme un refus de collaboration manifesté de votre part et considéré comme omission flagrante de vous acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile au sens de l’article 6 f) du Règlement Grand-Ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile.

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

A cela s’ajoute que vous vous êtes présenté sous une autre identité aux Pays-Bas de sorte que des doutes quant à votre identité réelle doivent être émis, d’autant plus que vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Force est également de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions ou de craintes de persécutions dans votre pays d’origine du fait de votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Le fait que vos oncles auraient essayé à plusieurs reprises de vous tuer afin de récupérer l’héritage laissé par votre père ne saurait être considéré comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 étant donné qu’il ne rentre pas dans son champ d’application. Vos oncles ne sauraient par ailleurs être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. A cela s’ajoute, qu’il n’est pas établi que les autorités compétentes du Nigeria auxquelles vous n’avez pas demandé de protection, seraient dans l’incapacité ou auraient refusé de vous fournir une protection quelconque.

Enfin, il ne ressort pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre région ou Etat du Nigeria, par exemple à Lagos où vous auriez séjourné pendant un mois sans y faire état de problèmes quelconques, pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 1er avril 2005 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 11 avril 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 28 février 2005 et confirmative du 11 avril 2005 par requête déposée le 17 mai 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il aurait subi des persécutions de la part de ses oncles qui auraient tenté, après avoir probablement assassiné son père, de l’assassiner également et qui l’auraient menacé et « pratiqué du « juju » à son encontre ». Il reproche ainsi au ministre une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en rejetant sa demande d’asile.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 24 septembre 2004, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les craintes exprimées par le demandeur à l’égard de ses oncles trouvent en substance leur origine dans un différend relatif à la succession du père décédé du demandeur et partant dans un problème d’ordre familial, lequel est étranger aux motifs de persécution visés par la Convention de Genève.

S’y ajoute que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur émanent de membres de sa famille, personnes étrangères aux autorités publiques qui ne sauraient être considérées comme étant des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, de manière qu’ils s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève ou si elles sont incapables de fournir une telle protection. Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.

113, nos 73-s).

Or, le demandeur n’a soumis aucun indice concret quant à une tentative de sa part pour obtenir la protection des autorités compétentes de son pays d’origine et à l’incapacité actuelle de ces dernières de lui fournir une protection adéquate.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours en réformation doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 27 octobre 2005 par le premier juge en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE SCHROEDER 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19820
Date de la décision : 27/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-27;19820 ?

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