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26/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19942

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 octobre 2005, 19942


Tribunal administratif N° 19942 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2005 Audience publique du 26 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19942 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2005 par Maître Oliver LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nig

ériane, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires é...

Tribunal administratif N° 19942 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2005 Audience publique du 26 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19942 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2005 par Maître Oliver LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 mars 2005 par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié fut rejetée comme étant non fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 9 mai 2005 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 24 octobre 2005, Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES s’étant référée aux écrits de la partie publique.

En date du 6 janvier 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 21 juin 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Les 22 février et 7 juillet 2005, il fit l’objet de deux procès-verbaux dressés par le service régionale de la police de Grevenmacher pour avoir consommé des drogues et pour être soupçonné de participer à un réseau de drogues : « wird verdächtigt einen regen Drogenhandel zu betreiben ».

Par décision du 24 mars 2005, envoyée par lettre recommandée le 4 avril 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … que sa demande avait été refusée comme non fondée en constatant que le récit présenté par Monsieur … présenterait différentes contradictions et invraisemblances entachant sa crédibilité et que de toute façon, même à supposer les faits par lui allégués comme étant établis, ils ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Le ministre a retenu finalement qu’il ne serait pas établi que les autorités compétentes du Nigeria auxquelles il n’aurait pas demandé de protection, seraient dans l’incapacité ou auraient refusé de lui fournir une protection et que Monsieur … serait par ailleurs resté en défaut de fournir une explication satisfaisante relativement au fait de ne pas avoir profité d’abord d’une possibilité de fuite interne avant de se diriger vers le Luxembourg.

Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 3 mai 2005 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 24 mars 2005 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 9 mai 2005, il a fait introduire, par requête déposée en date du 13 juin 2005, un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles prévisées des 24 mars et 9 mai 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant été introduit, par ailleurs, dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … fait exposer qu’il serait de confession chrétienne et qu’il serait né à Markwai, Sokoto State, mais qu’il aurait vécu ensuite jusqu’en 2003 à Onitsha, Anambra State, chez son oncle, que son père n’aurait pas voulu qu’il soit éduqué dans une région à majorité musulmane, et que suite à la mort de son père en décembre 2002, il serait retourné dans sa ville natale pour s’occuper du commerce de son père. A partir de janvier 2003, il aurait fréquenté une jeune fille musulmane qui serait tombée enceinte de ses œuvres en novembre 2003. Il soutient avoir voulu l’épouser, mais que la fille aurait refusé et l’aurait quitté et avorté de l’enfant, étant donné qu’elle était de confession musulmane et une union avec un chrétien aurait été impossible et « inconcevable au vu de ses traditions familiales et de l’application de la loi de la Charia dans cet Etat ». Il soutient que le 14 novembre 2003, un groupe d’hommes armés menés par le père de son ex-amie se serait introduit dans son commerce « dans le but évident de l’agresser ». Il se serait enfui et se serait rendu chez son oncle à Onitsha, qui l’aurait envoyé chez un ami à lui. Il prétend que les forces de police, conduites par le père de son ex-amie auraient arrêté son oncle « dans le but de connaître l’endroit où se cachait le requérant ». Aidé par l’ami de son oncle, il aurait réussi à quitter son pays.

Le mandataire du demandeur estime que les incohérences relevées dans la décision ministérielle de refus ne concerneraient pas des faits importants. Il estime que le récit devrait être placé « dans un contexte plus général ayant trait à l’histoire du requérant ». A ce sujet, il est relevé dans la requête que le demandeur n’a pas fait l’objet d’une « éducation poussée » et qu’il faudrait également tenir compte des conditions dans lesquelles il aurait fait son voyage.

Il soutient ensuite qu’il serait persécuté par les autorités de son pays, et il se base sur des rapports établis par des organismes officiels, tels que Amnesty International et Human Rights Watch, pour conclure que « les droits humains ne sont pas respectés dans les pays appliquant la loi islamique ». Il persiste à soutenir qu’il serait recherché par le père de son ex-amie en raison de la relation sexuelle qu’il aurait eu avec elle et que le père serait assisté par la police, étant donné que selon la législation pénale fondée sur la charia, la peine de mort serait prévue dans ces circonstances.

Il conteste finalement qu’il bénéficierait d’une possibilité de fuite interne, étant donné que son oncle aurait été arrêté dans l’Etat d’Anambra et qu’en cas de retour dans son pays, il serait également arrêté et condamné à mort, selon les lois islamiques en application dans l’Etat de Sokoto.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, comme l’a relevé à juste titre le délégué du Gouvernement, le fait d’avoir eu des relations sexuelles avec une femme musulmane et les problèmes en découlant, ne sauraient correspondre à un des critères de la Convention de Genève dans la mesure où il s’agit de problèmes d’ordre privé et que le père de son ex-amie ne saurait être considéré comme agent de persécution au sens de la prédite Convention. A ce titre, il convient de relever que l’âge de la majorité sexuelle est de 14 ans au Nigeria, tel que cela est dûment documenté par les pièces versées par le représentant étatique. Il ressort également des prédits documents que la charia n’est appliquée qu’aux musulmans et aux non-

musulmans qui ont accepté de se soumettre à un tribunal islamique. Il est dès lors improbable que le demandeur, de confession chrétienne, soit arrêté par les autorités officielles de son pays pour l’application de la charia.

Force est dès lors de relever que, même abstraction faite de ce que les affirmations du demandeur restent à l’état de simples allégations, les actes de persécution qu’il craint proviennent de personnes privées et non pas des autorités publiques. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités en place encourageraient, sinon toléreraient de tels actes.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à Sokoto State au nord du Nigéria, à prédominance musulmane, et il ne saurait être suivi en ce qu’il allègue sommairement que toute possibilité de fuite interne, dans une autre partie du Nigeria, en l’espèce, Anambra State au Sud du Nigéria, majoritairement peuplé de chrétiens, serait à l’heure actuelle exclue dans son chef, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 octobre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19942
Date de la décision : 26/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-26;19942 ?

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