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26/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19905

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 octobre 2005, 19905


Tribunal administratif N° 19905 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2005 Audience publique du 26 octobre 2005

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19905 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2005 par Maître Roland MICHEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … (Soudan), de nationalité soudanaise, actuellement détenu a...

Tribunal administratif N° 19905 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2005 Audience publique du 26 octobre 2005

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig, contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19905 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2005 par Maître Roland MICHEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … (Soudan), de nationalité soudanaise, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant à la réformation sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 6 mai 2005 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 24 octobre 2005, Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES s’étant rapportée aux écrits de la partie publique.

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En date du 9 février 2004, M. … introduisit auprès du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le 25 avril 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 3 mai 2005, lui remise en mains propres le 6 mai 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous seriez né au Soudan, mais qu’à partir de l’âge de 3 ans, vous auriez vécu en Côte d’Ivoire. Dans un premier temps, vous déclaré (sic) être retourné à Juba au Soudan en janvier 2004, puis après lecture de l’audition, vous rectifiez vos déclarations et indiquez être retourné à Juba en décembre 2003. Vous auriez quitté la Côte d’Ivoire parce que vous n’auriez pas aimé ce pays et parce qu’il y aurait eu des problèmes. Vous auriez désiré trouver un travail au Soudan.

Vous seriez resté une semaine à Juba. Un jour, sans pouvoir préciser quand exactement, vous auriez rendu visite à un ami et la maison se trouvant à côté aurait été bombardée, vous pensez par des rebelles, sans pour autant pouvoir le confirmer. Vous vous seriez réfugié avec d’autres personnes dans une église où vous seriez resté deux jours. Par la suite, toujours en 2003, vous auriez quitté le Soudan. La guerre vous aurait fait quitter votre pays d’origine.

Enfin, vous ne faites pas état d’autres problèmes au Soudan où vous ne seriez resté qu’une semaine et vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a d’abord lieu de soulever que vous avez déclaré auprès de la Police Judiciaire avoir quitté le Soudan le 5 janvier 2004, en audition vous dites que vous auriez quitté le Soudant vers le 26 ou 27 janvier 2004. Par ailleurs, vous avez déclaré le 25 avril 2005 être resté qu’une semaine en Italie, or selon vos déclarations faites auprès de la Police Judiciaire vous y seriez resté plus que deux semaines.

Quoi qu’il en soit et même en faisant abstraction de ces quelques constatations, force est de constater que les faits que vous soulevez et qui ne sont d’ailleurs corroborés par aucun élément de preuve tangible, ne sont pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonde une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, vous ne seriez resté qu’une seule semaine à Juba durant laquelle la maison voisine d’un de vos copains aurait été bombardée.

Vous ne faites pas état de persécutions personnelles dans votre pays d’origine et ce serait la situation générale au Soudan qui vous aurait fait quitter ce pays. Force est donc de conclure, que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, notons l’évolution de la situation au Sud du Soudan. En effet, le 31 décembre 2004 a été signé l’accord final de paix entre le gouvernement soudanais et les rebelles du sud du pays, d’où vous seriez originaire. Une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies a été adoptée et la création d’une opération de l’Organisation des Nations Unies à l’appui de la paix est envisagée.

En ce qui concerne les motifs pour lesquels vous auriez quitté la Côte d’Ivoire, ils ne sont aucunement pertinents eu égard à votre demande d’asile. En effet, la Convention de Genève prend en compte uniquement les persécutions subies dans le pays d’origine du demandeur ou s’il n’a pas de nationalité dans le pays où il a sa résidence habituelle, ce qui n’est pourtant pas le cas car vous vous dites être soudanais.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions publiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable. Le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient avoir fui son pays d’origine, le Soudan, en raison de la guerre civil qui y fait ses ravages et des rebelles qui font souffrir la population. Il estime qu’il serait « directement visé par les troubles politiques dans son pays », étant donné qu’il « a failli succomber lors d’une attaque ».

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Force est de constater que le demandeur fait uniquement état d’un événement isolé – à savoir l’explosion d’une bombe dans une maison voisine à celle de son ami auquel il avait rendu visite – et du fait que la guerre civile sévit au Soudan. Il ne sait ni qui était l’auteur de cette attaque, mais il suppose que c’était les « rebelles », ni qui a été visé par cette explosion.

Ainsi, cette attaque – à la supposer établie – mise en avant par le demandeur ne lui est pas personnelle mais visait une maison et des personnes avec lesquelles il n’avait aucun lien.

Or, de tels événements ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que s’il établit un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières (cf. trib. adm. 21 mars 2001, n°12965 du rôle, Pas. adm. 2004, V°Etrangers, n°73) A défaut par le demandeur d’avoir concrètement étayé un lien entre la prétendue explosion et des éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution, la simple affirmation générale que « as long as there is war, I can die » étant insuffisant à cet égard.

S’y ajoute que le demandeur fait état d’événements n’émanant non pas des autorités publiques, mais apparemment de rebelles. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, il convient de relever que la situation globale au Sud du Soudan a largement évolué depuis l’époque du départ du demandeur au courant du mois de janvier 2004, suite à la signature d’un accord de paix entre le gouvernement soudanais et le Mouvement populaire de libération du Soudan à Nairobi en date du 9 janvier 2005, accord qui a mis fin à une guerre civile de 21 ans et qui est également à la base d’un futur déploiement d’une force internationale de quelque 7.000 hommes, destinée à garantir l’accord de paix intervenu. Partant, au vu de la situation actuelle existant au sud du Soudan, le demandeur ne démontre pas que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant donné que la simple affirmation que les autorités locales ne sauraient le protéger est insuffisante à cet égard.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 octobre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19905
Date de la décision : 26/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-26;19905 ?

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