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24/10/2005 | LUXEMBOURG | N°20008

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 octobre 2005, 20008


Tribunal administratif N° 20008 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2005 Audience publique du 24 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20008 du rôle et déposée le 27 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Sabine DELHAYE, avocat à la Cour, assistée de Maître Nathalie NIMESGERN, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Monsieur …, né le 10 mai 1981 à Lofa County (Liberia), de nationa...

Tribunal administratif N° 20008 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2005 Audience publique du 24 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20008 du rôle et déposée le 27 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Sabine DELHAYE, avocat à la Cour, assistée de Maître Nathalie NIMESGERN, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 10 mai 1981 à Lofa County (Liberia), de nationalité libérienne, actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 mars 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 26 mai 2005 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

__________________________________________________________________________

Le 9 juin 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 30 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, autorité entre-temps en charge du dossier, l’informa par décision du 24 mars 2005, notifiée à l’intéressé en mains propres en date du 12 avril 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 9 juin 2004 et le rapport d’audition du Ministère de la Justice du 30 juin 2004.

Le 29 septembre 2004 vous avez été condamné par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle à une peine d’emprisonnement de trois ans et une amende de 5000 euros pour infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie et au règlement grand-ducal du 26 mars 1974.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 9 juin 2004 que vous auriez quitté le Liberia en 1999 pour la Guinée-Conakry où vous seriez resté trois mois avant de vous installer en Mauritanie. Vous y seriez resté jusqu’en mars 2004, date à laquelle vous auriez pris un bateau pour la France moyennant le paiement de 750 euros. Vous ignorez dans quelle ville française vous auriez accosté après deux mois de voyage. Vous vous seriez retrouvé à Paris, mais vous ignorez comment. Vous dites être tombé dans une sorte de coma parce que vous n’auriez pas mangé pendant trois jours. Vous auriez fait la connaissance d’un anglais à Paris qui vous aurait proposé d’aller au Luxembourg. Vous y avez déposé votre demande d’asile en date du 9 juin 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations qu’en 1999 vous auriez été enlevé par des rebelles dont vous ignorez le nom. Les rebelles auraient voulu vous marquer par leur signe avec des couteaux mais n’auraient pas réussi parce que vous seriez protégé par du « juju ». Vous auriez été pendant une semaine avec ces rebelles durant laquelle vous auriez été entraîné.

Vous vous seriez échappé pendant une nuit et vous vous seriez retrouvé dans un village nommé « Karantang ». Vous auriez finalement rejoint la Guinée-Conakry où vous seriez resté cinq à six mois. Vous auriez quitté ce pays frontalier avec le Liberia et la Sierra Leone parce qu’il n’y aurait pas de sécurité. En 2000, vous vous seriez installé en Mauritanie où vous seriez resté trois ans. Vous auriez de nouveau quitté ce pays à cause d’un manque de communication et parce que vous n’y auriez pas été accepté. Vous y auriez également travaillé sans avoir été payé.

Vous dites ne plus pouvoir retourner au Liberia parce qu’il y aurait une guerre civile, sans pour autant pouvoir donner les raisons de celle-ci. Enfin, vous ne seriez pas membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, force est cependant de constater que votre récit contient plusieurs invraisemblances et contradictions qui nous font douter de la véracité de vos dires. Ainsi, il y a tout d’abord lieu de relever que lors du dépôt de votre demande d’asile vous avez rempli être né le 10 mai 1981 à « Finde Feito ». Or, lors de l’audition du 30 juin 2004 vous prétendez tout d’un coup être né le 19 juin 1983 et ceci à « Feide Fento » ! Il s’ensuit que des doutes très sérieux quant à votre identité réelle doivent être émis. A cela s’ajoute qu’auprès de la Police Judiciaire vous avez déclaré avoir séjourné pendant trois mois en Guinée, en audition vous y auriez séjourné pendant cinq à six mois. En audition, vous avez parlé de deux tentatives pour quitter la Mauritanie en bateau, alors que vous n’en faites pas état auprès de la Police Judiciaire. Par ailleurs, vous n’avez que de très faibles connaissances sur le Liberia de sorte que des doutes doivent être exprimés sur le fait que ce pays soit effectivement votre pays d’origine.

Quoi qu’il en soit et même à supposer vos dires comme vrais, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. En effet, le fait que vous auriez été enlevé par des rebelles dont vous ignorez le nom en 1999 ne saurait suffire pour baser une demande en obtention du statut de réfugié d’autant plus qu’il est trop éloigné dans le temps et qu’un changement profond de la situation au Liberia est intervenu depuis. Vous craignez uniquement la guerre civile en cas de retour. Or, la situation a totalement changé depuis l’époque de votre départ, de sorte que votre crainte y afférente n’est plus fondée. En effet, le président Charles Taylor a été évincé pour laisser place à un gouvernement transitoire jusqu’aux élections d’octobre 2005 et la guerre civile est terminée depuis août 2003. La mission des Nations Unies installée au Libéria compte plus de 15 000 militaires et policiers déployés dans tout le pays afin d’assurer le maintien de la paix. Actuellement, des réfugiés libériens retournent dans leur pays avec l’aide du HCR, déjà 5 160 ont été rapatriés au cours de l’année 2004.

Enfin, il n’est pas démontré que vous étiez dans l’impossibilité de vous déplacer dans une autre partie du Libéria afin de pouvoir bénéficier d’une fuite interne.

En ce qui concerne vos raisons de départ de la Guinée-Conakry ou de la Mauritanie, il ne sont aucunement pertinentes eu égard à votre demande d’asile. En effet, la Convention de Genève de 1951 prend en compte uniquement les persécutions subies dans le pays d’origine du demandeur ou s’il n’a pas de nationalité dans le pays où il a sa résidence habituelle, ce qui n’est pourtant pas votre cas, car vous vous dites libérien.

Par conséquent, vous restez en défaut d’établir une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 12 mai 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 26 mai 2005.

Par requête déposée le 27 juin 2005, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions ministérielles précitées des 24 mars et 26 mai 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait de nationalité libérienne et qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine en raison des persécutions dont il y aurait été victime. Il expose plus particulièrement qu’il aurait été enlevé, séquestré et maltraité par des rebelles, qu’il serait parvenu à s’enfuir de son pays pour rejoindre la Mauritanie où la guerre civile l’aurait obligé à chercher refuge en Europe. Il fait encore valoir qu’il ne pourrait pas retourner au Liberia à cause de l’insécurité générale qui y règne.

Dans ce contexte, il reproche aussi bien au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration qu’à la Commission consultative pour les réfugiés de ne pas avoir tenu compte de la situation générale régnant en Guinée.

En substance, il reproche au ministre compétent d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 30 juin 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même en faisant abstraction des incohérences contenues dans le récit rapporté par le demandeur relativement à son trajet pour arriver au Luxembourg, force est de constater qu’il fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre et estime que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié au vu de la situation instable et non sécurisée dans son pays d’origine.

Ainsi, le seul acte concret de persécution relaté par le demandeur, à savoir l’enlèvement par des rebelles, à le supposer établi, outre de remonter à 1999, n’est pas le fait des autorités publiques en place au Libéria mais de certains groupements de la population civile. Or, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf.

Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, depuis que le demandeur a quitté son pays, la situation a fondamentalement changé au Liberia par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition. S’y ajoute qu’une force internationale (UNMIL) a été instaurée par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles.

Face à cette évolution positive de la situation générale au Liberia et en l’absence d’éléments suffisants de nature à étayer un risque concret de recrudescence générale des violences, les craintes exprimées par le demandeur ne sont plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argumentation du demandeur consistant à soutenir que tant le ministre compétent que la Commission consultative pour les réfugiés n’auraient pas tenu compte de la situation générale régnant en Guinée. En effet, abstraction faite qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que la Commission consultative pour les réfugiés ait été saisie dans la présente affaire, aucun reproche ne saurait être adressé à l’autorité ministérielle de ne pas avoir examiné la situation générale régnant dans les deux pays où le demandeur a successivement cherché refuge après avoir quitté le Liberia, à savoir la Guinée et la Mauritanie, étant donné que conformément aux dispositions de la Convention de Genève, la question de savoir si l’intéressé craint avec raison d’être persécuté est à examiner par rapport au pays dont celui-ci a la nationalité.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 24 octobre 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE S. CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20008
Date de la décision : 24/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-24;20008 ?

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