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24/10/2005 | LUXEMBOURG | N°20003

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 octobre 2005, 20003


Tribunal administratif N° 20003 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2005 Audience publique du 24 octobre 2005

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Recours introduit par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20003 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 juin 2005 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre de

s avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Mbaise (Nigeria), de nationalité nigériane, demeur...

Tribunal administratif N° 20003 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2005 Audience publique du 24 octobre 2005

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Recours introduit par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20003 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 juin 2005 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Mbaise (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 avril 2005, lui notifiée le par lettre recommandée du 18 avril 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 24 mai 2005 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles litigieuses ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Melinda PERERA, en remplacement de Maître Daniel BAULISCH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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Le 16 février 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu en date du 17 août 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 15 avril 2005 que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 16 février 2004 que vous auriez quitté Lagos par avion en date du 14 février 2004 accompagné par un blanc en possession de documents de voyage. Vous auriez atterri à Amsterdam et par la suite, vous auriez pris un train. Vous auriez changé de train une fois et vous seriez arrivé à Luxembourg le 15 février 2004 vers 13:00 heures. Le dépôt de votre demande d’asile date du lendemain.

Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations qu’en 1993 vous seriez devenu chrétien, ce que votre père, « Idol Priest » de la « God of Thunder Community », n’aurait pas apprécié. En 1994, vous seriez entré dans une école biblique, votre père ne vous aurait pas soutenu, et en 1997 vous seriez devenu pasteur. Votre père vous aurait demandé de partir et vous vous seriez installé à Calabar au Cross River State. En 2002, vous auriez épousé une femme, ce que votre père n’aurait également pas accepté parce qu’elle serait une « Osu Cast », considérée comme paria dans l’Igboland. Il vous aurait demandé de quitter votre femme, ce que vous auriez refusé. Votre père vous aurait alors rejeté tous les deux.

Vers mars 2002, votre père vous aurait appelé et vous aurait dit qu’il serait mourant et que vous devriez lui succéder. Vous auriez refusé parce que vous seriez chrétien. En juin 2002, vous seriez allé à son enterrement et sa communauté vous aurait imposé de succéder à votre père et de quitter votre femme. En octobre 2003, cette dernière aurait disparu et son corps aurait été retrouvé sans vie et avec des inscriptions, vous faisant croire qu’elle aurait été tuée par la communauté. En novembre 2003, votre mère aurait été exclue de la communauté de votre père qui aurait menacé de vous tuer si vous ne lui succéderiez pas. Un jour, vous auriez retrouvé votre chambre saccagée et en décembre 2003 vous seriez allé à Lagos où vous seriez resté pendant trois mois avant de quitter le Nigeria par avion. Vous n’auriez pas demandé de protection aux autorités nigérianes compétentes.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état d’autres problèmes. En cas de retour au Nigeria, vous pensez être tué.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater qu’il existe des contradictions entre votre récit auprès de la police Judiciaire et celui devant l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration concernant votre voyage entrepris pour venir au Luxembourg.

Ainsi, auprès de la police vous avez déclaré avoir atterri à Amsterdam, que vous auriez pris un train et que vous auriez dû changer de train pour venir au Luxembourg. Lors de l’audition du 17 août 2004, vous déclarez ne pas savoir où exactement vous auriez atterri. Vous auriez transité aux Pays-Bas où vous auriez pris un deuxième avion dont la durée du vol aurait été de 45 minutes. Par la suite, vous auriez pris un seul train direct pour le Luxembourg. Il est par ailleurs peu concevable que vous n’auriez rien payé pour votre voyage en Europe.

Quoi qu’il en soit et même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient constituer une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, le fait que vous auriez eu des problèmes avec votre père parce que vous seriez devenu chrétien ou que vous auriez refusé de lui succéder, ne saurait être considéré comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève étant donné que votre père ne saurait être considéré comme agent de persécution. Les membres de la « God of Thunder Community » ne sauraient également pas être considérés comme agents de persécutions. Il ne ressort par ailleurs pas de votre dossier que vous auriez requis une protection des autorités de votre pays pour vous protéger contre tous ces individus et il n’est également pas démontré que celles-ci seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection. Votre crainte purement hypothétique de vous faire tuer par ces membres traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il n’est également pas établi que votre femme aurait été tuée par les membres de cette communauté et il y a lieu de conclure qu’elle a été victime d’une infraction de droit commun.

Enfin, il ne ressort pas du dossier que vous n’étiez pas en mesure de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine, par exemple à Lagos où vous auriez séjourné pendant trois mois sans y faire état de problèmes quelconques, et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès loirs refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre de son mandataire du 15 mai 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 24 mai 2005.

Par requête déposée le 24 juin 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 15 avril et 24 mai 2005.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, au motif que sa situation aurait été intolérable dans son pays d’origine, étant donné qu’il aurait connu de « sérieux problèmes avec les membres de la « God of Thunder Community », ceci à la suite du changement de sa religion [il se serait converti au christianisme] ». Dans ce contexte, il réitère que son père « Idol priest » de ladite communauté n’aurait ni accepté sa reconversion ni son mariage avec une femme d’une caste considérée inférieure et qu’après le décès de son père, refusant de lui succéder, les membres de ladite communauté auraient saccagé son appartement et auraient menacé d’attenter à sa vie s’il n’acceptait pas de succéder à son père. Il relève encore spécialement qu’il serait convaincu que la disparition et la mort de sa femme leur serait imputable.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même en admettant la véracité de l’ensemble de ses déclarations, c’est-à-dire en faisant abstraction des contradictions relevées par le ministre compétent, force est de constater que le demandeur n’a pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève.

Ainsi, faisant état de sa crainte d’actes de persécution provenant de membres d’une communauté ou secte religieuse, à la tête de laquelle son père se serait trouvé et auquel il refuserait de succéder, le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf.

Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé qu’il ne s’est à aucun moment adressé aux autorités en place.

Par ailleurs, il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’une possibilité de fuite lui aurait été impossible, pareille possibilité de trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine paraissant, au regard du champ d’action essentiellement restreint des prétendus agresseurs, tout à fait possible, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 24 octobre 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20003
Date de la décision : 24/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-24;20003 ?

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