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24/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19986

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 octobre 2005, 19986


Tribunal administratif N° 19986 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juin 2005 Audience publique du 24 octobre 2005

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19986 du rôle et déposée le 22 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Janine BIVER, avocat à la Cour, assistée de Maître Mélinda

PERERA, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon...

Tribunal administratif N° 19986 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juin 2005 Audience publique du 24 octobre 2005

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19986 du rôle et déposée le 22 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Janine BIVER, avocat à la Cour, assistée de Maître Mélinda PERERA, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Sinkor (Liberia), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 avril 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre en date du 26 mai 2005 sur recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 octobre 2005 pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Mélinda PERERA et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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Le 27 mai 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 28 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, autorité entre-temps en charge du dossier, l’informa par décision du 28 avril 2005, envoyée par lettre recommandée le 29 avril 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 juin 2004 et le rapport d’audition du 28 juin 2004.

Il ressort du rapport de Service de Police Judiciaire que grâce à l’aide d’un missionnaire vous seriez parti du Libéria en premier lieu pour la Côte d’Ivoire, puis de là vous seriez venu à Bruxelles en avion par la compagnie « air Africa », qui notons-le, n’existe pas. Un homme de couleur noire vous aurait finalement conduit au Luxembourg.

Il résulte de vos déclarations que votre père serait décédé de maladie en 1998 et vous auriez à ce moment là vécu dans la rue. Lors de la guerre, les rebelles vous auraient attrapé dans votre village et vous auraient emmené. Durant trois jours vous auriez été battu.

Finalement un d’entre eux vous connaissant, il aurait joué au football avec vous dans le passé, vous aurait fait échapper durant la nuit. Vous vous seriez ensuite rendu à la croix rouge pour notamment vous faire soigner. Vous y auriez rencontré un homme riche qui vous aurait emmené en Côte d’Ivoire, puis en Belgique par avion et enfin vous auriez été conduit à Luxembourg en voiture.

Vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine en raison de la guerre et de l’absence de famille.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

En l’espèce, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. En effet, force est de constater tout d’abord que concernant votre sentiment général d’insécurité dû à la guerre, un tel sentiment ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. D’autre part, au sujet des faits racontés selon lesquels les rebelles vous auraient attrapé et battu 3 à 6 mois avant l’audition (p.8), ce qui équivaudrait au plus tôt en décembre 2003, ceux-ci ne reflètent absolument pas la situation de votre pays à ce moment là. En effet, il est totalement improbable que fin 2003, début 2004 des rebelles soient venus attraper des civils alors que la guerre civile est terminée depuis août 2003. Le président Charles Taylor a été évincé pour laisser place à un gouvernement transitoire jusqu’aux élections d’octobre 2005. La mission des Nations Unies installée au Libéria compte plus de 15 000 militaires et policiers déployés dans tout le pays afin d’assurer le maintien de la paix. Le porte-parole du bureau de l’UNHCR au Libéria a déclaré ce mois-ci que près de 100 000 réfugiés sont volontairement retournés chez eux l’année dernière et que 13 204 autres ont été rapatriés depuis le début du programme de rapatriement le 1er octobre 2004.

En outre, les rebelles ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ressort de l’audition que vous avez quitté votre pays d’origine en raison de l’absence de famille, or ceci ne correspond à aucun des critères de fond de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 24 mai 2005 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 26 mai 2005, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 28 avril et 26 mai 2005 par requête déposée le 22 juin 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile. Il fait valoir plus particulièrement qu’en décembre 2003, il aurait été enlevé par des rebelles et que durant sa capture, il aurait été victime de mauvais traitements dont il garderait encore des traces. Il soutient que le fait d’être orphelin et de vivre dans la rue depuis 1998, sa mère l’ayant abandonné à sa naissance et son père étant décédé en 1998, ferait de lui « une proie facile pour la nouvelle pratique des rebelles, à savoir le recrutement par la force de jeunes gens sans lien ni attache ». Il ajoute que le recrutement de force de jeunes pour combattre avec les guérillas dans les pays voisins constituerait un fait confirmé par des rapports d’organisations telles que Human Rights Watch et Amnesty International. Il en déduit que ses craintes d’être à nouveau enrôlé de force par des groupes rebelles ne seraient pas dénuées de tout fondement et qu’elles constitueraient une crainte justifiée de persécutions en raison de son appartenance à un certain groupe social.

Le représentant étatique estime pour sa part que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur ce que la situation au Liberia serait loin d’être stabilisée alors que les forces rebelles qui l’auraient enlevé seraient toujours actives dans cette région de l’Afrique de l’Ouest et notamment en Côte d’Ivoire.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, V° Recours en réformation, n° 12).

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 28 juin 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite des considérations tenant à l’incohérence du récit et à l’éventuelle incidence quant à la crédibilité du récit du demandeur, force est de constater que le demandeur fait en substance état de sa crainte de voir commettre des persécutions à son encontre en raison de son appartenance à un certain groupe social constitué de jeunes libériens sans attaches familiales et risquant de ce fait en cas de retour dans son pays d’origine d’être à nouveau enrôlé de force par des forces rebelles, actives dans les pays voisins tels que la Côte d’Ivoire et la Guinée.

Or, même à admettre que son jeune âge et sa situation familiale et sociale l’exposent au risque d’être recruté de force par des groupes rebelles, il n’en reste pas moins que cette appartenance à un groupe social ne peut toutefois pas suffire, à elle seule, à fonder une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans l’état actuel de la situation au Liberia.

En effet, la situation a fondamentalement changé au Liberia par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition. S’y ajoute qu’une force internationale (UNMIL) a été instaurée par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles et que l’UNHCR et d’autres agences des Nations Unies ont mis en place des programmes de rapatriement volontaire au Liberia.

Face à cette évolution positive de la situation générale au Libéria et en l’absence d’éléments suffisants de nature à étayer un risque concret de recrudescence générale des violences, des incidents isolés de violence et des lenteurs dans le processus de démobilisation et de désarmement de la population, étant insuffisants pour permettre de tirer pareille conclusion, les craintes exprimées par le demandeur ne sont pas de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution, mais s’analysent plutôt en un sentiment général d’insécurité, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

donne acte au demandeur de ce qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 24 octobre 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE S. CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19986
Date de la décision : 24/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-24;19986 ?

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