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24/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19755

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 octobre 2005, 19755


Tribunal administratif Numéro 19755 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2005 Audience publique du 24 octobre 2005

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Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19755 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2005 par Maître François MOYSE, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat...

Tribunal administratif Numéro 19755 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2005 Audience publique du 24 octobre 2005

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Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19755 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2005 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … (Libye), demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 31 mars 2005 par laquelle ledit ministre a déclaré non fondée leur demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 12 septembre 2005 pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 octobre 2005.

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Le 28 décembre 2004, Monsieur … et son épouse, Madame … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même jour par un agent de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Ils furent entendus en outre en date respectivement des 17 janvier et 4 février 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 31 mars 2005, notifiée par lettre recommandée du 4 avril 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée aux motifs que les ennuis par eux allégués seraient limités à la période du mois de mars 2004 qui fut effectivement un mois de troubles, mais que par la suite la situation se serait rétablie et que rien ne les aurait empêché de porter plainte contre ceux qui les auraient chassés de leur logement à Mitrovica-Nord. Le ministre a relevé en outre que la sœur de Monsieur … vit sans problèmes à Mitrovica-Sud et qu’au-delà de craintes simplement alléguées des Albanais de cet endroit, les demandeurs ne feraient état que d’injures, insuffisantes en tant que telles pour caractériser une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Le ministre a estimé pour le surplus qu’il serait peu crédible que les époux …-… aient vécu en cet endroit pendant neuf mois sans sortir pendant la journée et qu’il ne résulterait pour le surplus pas du dossier qu’il leur aurait été impossible de s’établir ailleurs au Kosovo ou en Serbie-

Monténégro, étant entendu que le Kosovo, pour des Albanais, ne serait pas à considérer comme un territoire où des risques de persécution sont à craindre. Dans la mesure où tant Monsieur … que Madame … auraient été sans travail au Kosovo, le ministre a émis l’opinion que leur demande se présenterait davantage comme étant fondée sur des motifs économiques que sur de véritables craintes de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par requête déposée en date du 2 mai 2005, les époux …-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 31 mars 2005.

Le tribunal étant compétent pour statuer en tant que juge du fond en la matière, le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs se réfèrent à leurs déclarations relatives au fait qu’ils auraient été menacés à plusieurs reprises de mort dans leur appartement situé au Nord de Mitrovica, de sorte que face à ces menaces, ils auraient été contraints de quitter leur logement. Dans la mesure où ces actes de persécution auraient été dus au fait qu’ils sont Albanais et qu’ils résidaient du côté serbe de la ville de Mitrovica, ils s’estiment victimes d’actes de persécution au sens de la Convention de Genève. Ils insistent en outre sur le caractère inextricable de leur situation en ce sens qu’ils auraient été persécutés, d’une part, par les Serbes au motif que leur logement se trouvait du côté serbe alors qu’eux-mêmes sont Albanais et que, d’autre part, du côté albanais, ils risqueraient d’être accusés d’être des traîtres pour avoir vécu et travaillé avec les Serbes.

Le délégué du Gouvernement insiste dans son mémoire en réponse sur le fait que depuis les événements de 2004 la situation se serait à nouveau stabilisée et que d’une manière générale, le Kosovo ne serait pas à considérer pour des Albanais comme étant un territoire où ils sont exposés à des risques de persécution.

Dans leur mémoire en réplique les demandeurs insistent qu’un retour dans le Nord de Mitrovica serait à l’heure actuelle encore impossible alors que cette zone reste occupée par les Serbes. Quant à un éventuel déménagement à Mitrovica Sud, ainsi qu’au fait invoqué par le ministre que la sœur de Monsieur … y vit sans faire l’objet d’actes de persécution, les demandeurs relèvent que cette dernière a toujours vécu à Mitrovica Sud ce qui distinguerait sa situation de la leur en ce sens que eux y seraient considérés comme des traîtres pour avoir habité préalablement du côté nord de la ville.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, il y a lieu de relever de prime abord que les persécutions dont font état les demandeurs, émanant apparemment de certains éléments de la population respectivement serbe ou albanaise, proviennent de tiers et non pas de l’Etat, de sorte qu’il appartient aux demandeurs de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Or, les autorités, qui comprennent non seulement une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, mais encore une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, loin de se cantonner dans une attitude passive, ont mis en place des structures destinées à protéger la sécurité physique de la population. La notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Les problèmes relatés en l’espèce, s’ils sont certes regrettables, s’analysent en des actes isolés qui, compte tenu de la situation générale dans la région concernée, ne revêtent pas une gravité suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

Les demandeurs n’ont par ailleurs pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir la subsistance à l’heure actuelle d’un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Il s’avère dès lors, au vu des moyens présentés dans le cadre de la procédure contentieuse, que la fuite des demandeurs vers le Luxembourg n’a pas été motivée par la crainte de persécutions spécifiques au sens de la Convention de Genève, mais plutôt par un sentiment général d’insécurité, caractérisant une situation d’après-guerre commune à toute une partie de la population et accentuée par un contexte économique difficile.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 octobre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19755
Date de la décision : 24/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-24;19755 ?

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