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17/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19984

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2005, 19984


Tribunal administratif Numéro 19984 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juin 2005 Audience publique du 17 octobre 2005

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Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19984 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2005 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Lipljan (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son ép...

Tribunal administratif Numéro 19984 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juin 2005 Audience publique du 17 octobre 2005

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Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19984 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2005 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Lipljan (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Mme …, née le … à Lipljan, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous les cinq de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 avril 2005 par laquelle ledit ministre a déclaré non fondée leur demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié, telle que cette décision a été confirmée par le même ministre le 24 mai 2005, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Virginie ADLOFF, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 9 novembre 2004, M. … et son épouse, Mme …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même jour par un agent de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Ils furent entendus respectivement en date des 30 novembre 2004 et 16 février 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 15 avril 2005, notifiée par lettre recommandée du 20 avril suivant, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 7 novembre 2004.

Vous auriez pris place dans une camionnette pour venir au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 9 novembre 2004.

Monsieur, vous exposez que vous n’auriez pas fait votre service militaire. Vous auriez été appelé avant le conflit du Kosovo et vous n’y seriez pas allé. Vous n’auriez pas été membre d’un parti politique. Vous feriez partie de la minorité des Ashkalis. Vous dites avoir eu des problèmes avec les Serbes avant le conflit et en avoir maintenant avec les Albanais.

Votre maison aurait été reconstruite avec l’aide de la KFOR mais les Albanais auraient tenté de vous en chasser en vous menaçant et en jetant des pierres dans vos fenêtres. Ils auraient même fait irruption dans votre maison et, de peur, votre femme aurait fait une fausse couche.

Vous auriez porté plainte à la police qui aurait promis de s’occuper de votre problème mais vous n’auriez pas vu de suite. Vous précisez que tous vos problèmes viennent du fait que vous seriez Ashkali. Vous ajoutez que vous préférez aussi que votre femme, à nouveau enceinte, mette son enfant au monde au Luxembourg plutôt qu’au Kosovo.

Vous, Madame, vous confirmez partiellement les dires de votre mari. Cependant, vous affirmez que votre époux aurait été membre d’un parti pro-ashkali. Vous dites craindre les Albanais qui ne voudraient pas des Ashkalis au Kosovo. Dans votre jeunesse, des Albanais auraient miné et détruit la maison de votre oncle. Trois de vos cousins, OSMANI Osman, OSMANI Milaïm et OSMANI Perparim, auraient été tués par une bombe après la guerre.

Finalement vous affirmez que l’UNMIK ne pourrait rien pour vous.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je relève d’importantes contradictions entre vos deux récits. Outre celle concernant votre appartenance à un parti politique, Monsieur, il y a le fait que l’un de vous parle d’une fausse-couche causée par l’irruption intempestive d’Albanais dans votre maison, alors que vous, Madame, pourtant directement concernée, vous parlez d’un évanouissement. En ce qui concerne vos cousins qui auraient été tués, il résulte des renseignements en notre possession qu’effectivement trois personnes, dont les prénoms correspondent à vos dires ont été tués par une bombe, mais il ne s’agit pas de la famille OSMANI mais de la famille SALIU et il n’y a aucun lien de parenté avec vous.

Quoi qu’il en soit, le fait d’appartenir à une minorité ethnique est insuffisant pour obtenir le statut de réfugié. Je constate d’abord que vos plaintes ont été prises en compte même si l’UNMIK n’a pas pu découvrir les coupables. Vous ne pouvez donc pas invoquer un manque de protection des autorités. En outre, les Albanais ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation des Ashkalis au Kosovo, et plus particulièrement dans votre région, il résulte du rapport du UNHCR sur les minorités au Kosovo que les Ashkalis, après leurs craintes de mars 2004, ont actuellement la liberté de mouvement. Ils se rendent notamment davantage à Pristina. Leur confiance en la police a été restaurée du fait de l’organisation, avec succès, de patrouilles multi-ethniques. Les Ashkalis qui quittent le Kosovo le font surtout pour des motifs économiques. Les faits que vous alléguez traduisent ainsi davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

Finalement, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir ailleurs, soit au Kosovo soit en Serbie-Monténégro pour profiter d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».

Le 19 mai 2005, les consorts …-… formulèrent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 24 mai 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 22 juin 2005, les époux …-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants …, ont introduit un recours en réformation des décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 15 avril et 24 mai 2005.

Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, les demandeurs entendent en premier lieu expliquer et clarifier les « fausses apparences de contradiction dans leurs déclarations », soutenant qu’un examen approfondi de leurs déclarations ferait apparaître que leurs récits seraient cohérents et crédibles. Sur ce, ils exposent qu’ils seraient originaires du Kosovo et qu’ils feraient partie de la minorité des « Ashkalis » du Kosovo. Ils relèvent que la situation générale de cette minorité ethnique serait particulièrement mauvaise au Kosovo et qu’ils auraient personnellement été la proie à des exactions, menaces, insultes et persécutions émanant de la part de membres de la communauté albanaise majoritaire et que leur sécurité n’aurait pas été garantie, de sorte qu’ils auraient été contraints de quitter leur pays d’origine. Ils insistent encore sur ce que les autorités chargées d’assurer la sécurité publique ne seraient pas en mesure de les protéger efficacement et qu’une fuite interne leur serait impossible.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, même abstraction faite de toutes considérations relativement à la crédibilité du récit des demandeurs, il y a lieu de relever de prime abord que les persécutions dont font état les demandeurs, émanant apparemment de certains éléments de la population albanaise, proviennent de tiers et non pas de l’Etat, de sorte qu’il appartient aux demandeurs de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Or, les autorités, qui comprennent non seulement une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, mais encore une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, loin de se cantonner dans une attitude passive, ont mis en place des structures destinées à protéger la sécurité physique de la population. La notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Les demandeurs n’ont cependant pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. – Dans ce contexte, il convient de relever que le simple fait que la poursuite d’auteurs d’actes criminels n’a pas abouti, notamment parce que les auteurs sont restés inconnus, n’est à lui seul pas de nature à établir pareil défaut caractérisé de protection.

Il s’avère dès lors, au vu des moyens présentés dans le cadre de la procédure contentieuse, que la fuite des demandeurs vers le Luxembourg n’a pas été motivée par la crainte de persécutions spécifiques au sens de la Convention de Genève, mais plutôt par un sentiment général d’insécurité, accentué par un contexte économique difficile.

Or, concernant cette crainte générale exprimée par les demandeurs d’actes de persécution à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité askhali de la part d’Albanais, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Askhali, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de relever que dans son rapport intitulé « UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo » de mars 2005, l’UNHCR confirme une évolution relativement positive de leur situation, en soulignant le fait que la communauté askhali bénéficie notamment d’une meilleure acceptation de la part de la population albanaise (« With regard to Ashkaelia, Egyptian as well as Bosniak and Gorani communities these groups appear to be better tolerated »1).

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, 1 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, March 2005, p.4.

le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 17 octobre 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19984
Date de la décision : 17/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-17;19984 ?

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