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17/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19904

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2005, 19904


Numéro 19904 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2005 Audience publique du 17 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19904 du rôle, déposée le 6 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …...

Numéro 19904 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2005 Audience publique du 17 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19904 du rôle, déposée le 6 juin 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dakha (Bangladesh), de nationalité bangladoise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 16 février 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 2 mai 2005 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2005;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Valérie DEMEURE et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 octobre 2005.

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Le 18 août 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en dates des 3 décembre 2003 et 23 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice, ainsi que le 30 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 16 février 2005, notifiée le 25 mars 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Vous avez dit d’abord avoir quitté le Bangladesh le 5 juillet 2001 pour aller en Inde. A la moitié de l’an 2002, vous auriez poursuivi votre voyage en allant à Moscou et ensuite à Luxembourg.

Cependant, dans l’audition du 23 janvier 2003, vous avez reconnu avoir séjourné en Autriche où vous auriez été emprisonné pendant trois mois et où vous auriez déposé une demande d’asile. Vous seriez allé ensuite en Italie et puis en Allemagne. Vous avez aussi reconnu avoir pris l’identité de Hanif MOHAMED et MOHAMAD. Vous avez finalement reconnu avoir séjourné un an et demi en France et y avoir déposé une demande d’asile. Vous auriez aussi tenté votre chance en demandant l’asile en Suisse.

Lors de l’audition du 30 novembre 2004, vous avez dit avoir quitté le Bangladesh en 1999.

Vous n’y auriez pas fait votre service militaire. Vous auriez travaillé dans la construction. Votre employeur aurait été membre du parti BNP. Les membres d’un autre parti auraient mis le feu à la société de votre patron et à la propriété voisine, un garage appartenant à un millionnaire. Ce dernier aurait accusé votre patron d’avoir incendié son garage. Vous dites que, suite à l’incendie du garage, vous seriez également recherché. Vous craignez ce millionnaire car il serait très influent.

Vous auriez été membre du parti Amelik, qui ne serait pas un parti d’opposition. De ce fait, ceci ne vous aurait occasionné aucun problème.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » Je constate que vous avez menti à de nombreuses reprises aux autorités luxembourgeoises.

Actuellement encore, votre identité est sujette à caution. De ce fait, votre récit l’est aussi. En admettant même que le millionnaire accuse votre patron d’avoir mis le feu à son garage, on ne voit pas en quoi cela vous concerne. Je relève aussi que la société de votre patron aurait brûlé en même temps, ce qui rend la thèse de l’incendie criminel peu vraisemblable. En supposant que vous ayez pu être interrogé comme témoin, rien ne prouve que vous n’ayez pu vous disculper et prouver votre innocence. Je relève aussi que vos ennuis, à les supposer établis, datent de 1999 et que, en 2005, le dossier de l’incendie du garage a de grandes chances d’être déjà clos. Finalement, vos éventuels démêlés judiciaires sont d’ordre purement privé et n’entrent pas dans le cadre de la Convention de Genève. Aucun des éléments de votre récit ne fonde une persécution au sens de la Convention précitée. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond de la Convention de Genève.

Une demande qui pourrait être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Il résulte de ce qui précède que votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 22 avril 2005 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 2 mai 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 16 février 2005 et confirmative du 2 mai 2005 par requête déposée le 6 juin 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur renvoie à un rapport international sur la situation générale au Bangladesh, caractérisée selon lui par un système politique et judiciaire corrompus, des arrestations et exécutions arbitraires ainsi que des attentats pour des motifs d’ordre politique et personnel. Quant à sa situation personnelle, il fait valoir que sa fuite serait motivée par l’incendie d’origine criminelle qui aurait détruit l’entreprise de son employeur et le garage d’un voisin, un millionnaire influent, qui l’accuserait lui et son patron d’avoir incendié son garage, de manière que son employeur et lui-même seraient recherchés par la police. Il estime qu’en raison de son appartenance à « cette population faible et sans défense qui ne peut rien attendre des autorités qu’ils n’ont pas les moyens de corrompre » et de la situation générale régnant dans son pays d’origine, il ne pourrait s’attendre à aucune protection et que « la fuite est la seule alternative ». Le demandeur déduit de ces éléments qu’au-delà de la seule situation générale dans son pays d’origine, sa situation personnelle laisserait supposer un danger sérieux pour sa personne et il reproche au ministre une appréciation erronée des faits d’espèce.

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions en dates des 3 décembre 2003, 23 janvier et 30 novembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les craintes avancées par le demandeur prennent leur origine dans l’incendie de l’entreprise de son employeur et la propagation du feu vers le garage de son voisin et le demandeur craint essentiellement les conséquences éventuelles de cet incendie pour lui au niveau pénal et civil au vu de la position influente dudit voisin. Dans ce cadre, le demandeur admet que sa propre appartenance au parti « Amelik » ne lui aurait pas causé de problèmes et il ne ressort pas des éléments en cause que l’affiliation de son employeur au parti politique BNP serait la cause directe des accusations du voisin prévisé à l’encontre du demandeur lui-

même. Par voie de conséquence, l’ensemble des faits établis en cause s’insèrent en substance dans le cadre d’une hypothétique poursuite du demandeur pour des motifs se situant dans le cadre du droit commun de la responsabilité civile et pénale sans que l’appartenance politique ou un autre des motifs visés par la Convention de Genève ne paraissent être à la base de la crainte de poursuites avancée par le demandeur.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2005 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19904
Date de la décision : 17/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-17;19904 ?

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