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17/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19698

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2005, 19698


Numéro 19698 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 avril 2005 Audience publique du 17 octobre 2005 Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19698 du rôle, déposée le 21 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Alexandra CORRE, avo

cat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …...

Numéro 19698 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 avril 2005 Audience publique du 17 octobre 2005 Recours formé par les époux …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19698 du rôle, déposée le 21 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Alexandra CORRE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Trpezi/Bérane (Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Lagatore (Etat de Serbie-et-Monténégro), les deux de nationalité serbo-monténégrine, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 octobre 2004 portant refus d’une autorisation de séjour en faveur des parents de Monsieur …;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mai 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2005 par Maître Alexandra CORRE pour compte des époux …;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2005;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Alexandra CORRE et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 septembre 2005.

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Le 24 mars 2004, le ministère de la Justice fut saisi par l’intermédiaire de l’ambassade de Belgique à Belgrade d’une demande en obtention d’une autorisation de séjour provisoire soumise par les époux … …, demeurant en Serbie-et-Monténégro, en vue de leur regroupement familial avec leur fils …, préqualifié, et sa famille, demeurant tous au Grand-Duché.

Suite à un courrier du ministre de la Justice du 8 avril 2004 invitant Monsieur … à fournir certaines pièces complémentaires, ce dernier soumit, par courrier de son mandataire du 15 avril 2004, les éléments complémentaires sollicités dans la mesure de leur disponibilité.

Par courrier du 26 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, autorité entre-temps en charge du dossier, ci-après désigné par le « ministre », rejeta cette demande aux motifs énoncés comme suit :

« Comme suite aux demandes de Maître Alexandra Corré du 15 avril et 21 septembre 2004 relatives au regroupement familial dans le chef de vos parents, Madame …, née le … et de Monsieur …, né le …, les deux de nationalité serbo-monténégrine, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

Afin de bénéficier du regroupement familial, les intéressés doivent prouver qu’ils n’ont pas d’autres enfants ou personnes à leur charge et qu’ils n’ont pas d’autres parents dans leur pays d’origine qui pourraient les prendre en charge. Or, il ressort du dossier que les intéressés ne peuvent pas fournir cette preuve vu qu’ils font ménage commun avec leur fils Samir …, né le 22 juillet 1983.

En outre, ils ne sont pas à votre charge étant donné qu’il découle d’une attestation du 13 avril 2004 établie par la commune de Trpezi que les intéressés et leur fils Samir profitent de l’aide sociale en République de Serbie et Monténégro.

Par ailleurs, l’autorisation de séjour ne saurait être délivrée aux intéressés alors qu’ils ne sont pas en possession de moyens d’existence suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir, conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ».

Sur recours gracieux formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, préqualifiée, moyennant un courrier de leur mandataire du 4 novembre 2004, le ministre confirma sa décision de refus par courrier du 24 mars 2005.

Par requête déposée le 21 avril 2005, les époux … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de ces deux décisions ministérielles de rejet des 26 octobre 2004 et 24 mars 2005.

Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond en matière d’autorisation de séjour, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils sont parents d’un enfant âgé d’un an dont ils souhaiteraient confier la garde aux parents de Monsieur … lorsqu’ils se trouvent au travail. Quant au motif de refus tiré par le ministre du ménage commun des époux … … avec leur fils Samir … dans leur pays d’origine, les demandeurs exposent que ce dernier serait dans l’impossibilité de prendre en charge ses parents eu égard à sa propre situation financière, vu qu’ils percevraient tous l’aide sociale en Serbie-Monténégro, de manière que les parents de Monsieur … pourraient valablement se prévaloir de leur droit au regroupement familial avec leur enfant établi au Luxembourg et que les décisions de refus déférées constitueraient une ingérence illégale dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Relativement au motif de refus tiré du défaut de moyens d’existence personnels suffisants, les demandeurs estiment que, même si ce motif de refus est en principe un motif valable de refus d’une autorisation de séjour, le ministre serait tenu de ménager un juste équilibre entre les considérations d’ordre public et l’impératif de la protection de la vie familiale et qu’en l’espèce, au vu des revenus nets mensuels des demandeurs à hauteur de 2.700 €, du logement suffisamment spacieux pour accueillir les époux … … dont les demandeurs sont propriétaires, de leur engagement à durée illimitée à prendre en charge l’ensemble des frais et charges en relation avec un séjour desdits époux au Luxembourg et de l’existence du noyau familial au Luxembourg comportant notamment un enfant ayant un « lien de fait réel et très étroit » avec ses grand-parents, le ministre n’aurait pas respecté ce juste équilibre en refusant l’autorisation de séjour en faveur des époux … ….

Le délégué du gouvernement rétorque que Monsieur … se serait établi au Luxembourg au mois de mars 1999, que depuis cette date, la vie commune avec ses parents aurait cessé et qu’en épousant le 22 décembre 2000 au Luxembourg Madame …, il aurait créé son propre foyer, de manière que le ministre n’aurait pas mis fin, à travers les décisions critiquées, à une vie familiale qui aurait préexisté. Le représentant étatique souligne encore que l’allégation que les parents de Monsieur … seraient à charge des demandeurs ne résulterait pas des éléments du dossier, étant donné qu’un certificat de la commune de résidence des époux … … indiquerait l’existence d’un soutien financier de cette commune et que les demandeurs ne documenteraient pas des versements d’argent réguliers en faveur de ces derniers. Il relève également qu’un autre fils, Monsieur Samir …, habiterait avec les époux … … dans leur pays d’origine, de manière que le fait d’autoriser les parents à s’établir au Luxembourg entraînerait « une obligation du moins morale » à autoriser également le seul fils resté dans le pays d’origine à venir résider au pays. Le délégué du gouvernement conclut de ces développements que le ministre n’aurait pas méconnu le droit à la vie familiale des demandeurs en refusant l’autorisation de séjour en faveur de parents vivant séparés depuis plusieurs années de leur enfant installé au Grand-Duché à défaut de preuves d’une relation réelle et suffisamment étroite pendant la période ayant précédé l’entrée sur le territoire national et à défaut pour les parents des demandeurs de rapporter la preuve qu’ils vivaient dans leur pays d’origine dans un isolement social.

Les demandeurs font répliquer qu’un élément nouveau serait intervenu en ce sens que Monsieur Samir … serait entre-temps venu au Luxembourg, qu’il y aurait déjà soumis une demande d’asile et qu’il « est sur le point d’épouser son amie qui demeure en Allemagne », entraînant que l’élément ayant largement fondé les décisions critiquées, à savoir la cohabitation des époux … … avec un de leurs fils dans leur pays d’origine ne serait plus d’actualité et que le maintien des décisions critiquées de refus d’autorisation de séjour en faveur de ces derniers les contraindrait à vivre dans un isolement social quasi complet à défaut d’autre famille dans leur pays d’origine. Les demandeurs contestent encore le défaut d’un soutien financier en faveur des parents de Monsieur … en faisant valoir que malgré l’absence de preuves de transferts réguliers d’argent, ils auraient régulièrement fait parvenir aux dits parents des sommes d’argent par l’intermédiaire de personnes de confiance se rendant en Serbie-Monténégro puisqu’ils y seraient sans ressources propres. Les demandeurs affirment encore que le fait par Monsieur … de s’être marié et d’avoir créé au Luxembourg son propre foyer n’aurait pas mis un terme à sa vie familiale avec ses parents qui aurait subsisté à travers des contacts réguliers.

L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : - qui ne dispose pas de moyens personnel suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2004, V° Etranger, n° 146 et autres références y citées).

En l’espèce, force est de constater qu’il ne se dégage ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que les parents de Monsieur … disposaient de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis au moment où les décisions critiquées furent prises. A défaut pour les demandeurs d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels dans le chef des parents de Monsieur …, le ministre a dès lors valablement pu leur refuser l’entrée et le séjour sur base de ce motif.

Si les refus ministériels se trouvent, en principe, justifiés à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par les demandeurs tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où ils estiment qu’il y aurait violation de leur droit au maintien de leur vie familiale, lequel tiendrait la disposition précitée de la loi du 28 mars 1972, précitée, en échec.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

«1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef et celui des parents de Monsieur … à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

Il convient de constater à cet égard que Monsieur … est établi depuis mars 1999 au Luxembourg et qu’il y a créé son propre foyer familial avec Madame …, de manière que sa cohabitation avec ses parents et leur vie familiale en découlant a cessé à partir de ce moment.

Quant à la période subséquente, les demandeurs allèguent certes la subsistance d’une vie familiale à travers des contacts réguliers et des liens affectifs réels entre leurs enfants et les parents de Monsieur … ainsi qu’à travers un soutien financier régulier, mais ils restent en défaut de soumettre des indications plus circonstanciées permettant d’établir la subsistance d’une telle vie familiale. En outre, abstraction faite de ce que le simple versement de sommes d’argent à un membre de la famille n’est pas de nature à fonder une vie familiale avec ce dernier, les demandeurs omettent également de fournir des preuves concrètes quant à l’import et la régularité de leur prétendu soutien financier aux parents de Monsieur ….

Finalement, étant donné que la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise et que les faits survenus postérieurement à la décision en cause ne sauraient partant être pris en compte, le fait que Monsieur Samir … est arrivé au Luxembourg le 19 avril 2005, donc après la décision ministérielle confirmative du 24 mars 2005, n’est dès pas de nature à affecter la validité des deux décisions critiquées.

Il découle des développements ci-avant que les demandeurs n’ont pas soumis au tribunal des éléments concrets suffisants de nature à établir l’existence entre eux-mêmes et les parents de Monsieur … d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et qu’en conséquence leur moyens tiré du non-respect par le ministre à travers les décisions de refus critiquées de cette disposition de droit international laisse d’être justifié.

Par voie de conséquence, le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2005 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19698
Date de la décision : 17/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-17;19698 ?

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