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17/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19340

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2005, 19340


Tribunal administratif N° 19340 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 février 2005 Audience publique du 17 octobre 2005 Recours formé par Madame …, X., et Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19340 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 février 2005 par Maître Serge MARX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, aux noms de :

1. Madame …, fonctionnaire de

l’Etat, demeurant à L-…, et 2. Monsieur …, électricien, demeurant à L-… ;

tendant à l’annulation ...

Tribunal administratif N° 19340 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 février 2005 Audience publique du 17 octobre 2005 Recours formé par Madame …, X., et Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19340 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 février 2005 par Maître Serge MARX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, aux noms de :

1. Madame …, fonctionnaire de l’Etat, demeurant à L-…, et 2. Monsieur …, électricien, demeurant à L-… ;

tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Intérieur du 29 septembre 2003 portant refus d’approbation de la délibération du conseil communal de Clervaux indiquée comme datant du 24 avril 1995, mais datant en réalité du 19 juin 1995, portant adoption définitive du projet de modification du projet d’aménagement général de la commune de Clervaux concernant des fonds sis à Urspelt, commune de Clervaux, au lieu-dit « Auf dem Stack » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Alex MERTZIG, demeurant à Diekirch, du 4 mars 2005 portant signification de cette requête à l’administration communale de Clervaux, établie au Vieux Château à L-9701 Clervaux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 mai 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 juin 2005 par Maître Serge MARX au nom des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 août 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Serge MARX et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

Au courant du mois de décembre 1993, Monsieur … introduisit auprès de l’administration communale de Clervaux une demande de modification du plan d’aménagement général tendant à faire incorporer dans le périmètre d’agglomération de la localité d’Urspelt une partie de la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Clervaux, section E d’Urspelt sous le numéro … au lieu-dit « Auf dem Stack », d’une contenance de 37,20 ares.

En sa séance du 17 décembre 1993, le collège échevinal de la commune de Clervaux transmit la demande de Monsieur … pour avis à la commission d’aménagement auprès du ministère de l’Intérieur.

Ladite commission d’aménagement émit en sa séance du 22 février 1995 un avis défavorable au sujet du projet d’extension du périmètre d’agglomération en question aux motifs que :

« La commission d’aménagement, dans sa séance du 22 février 1995, à laquelle assistaient Monsieur Jacques KUENTZIGER, Madame Yvette CONTER et Messieurs Edmond LIES et Patrice SCHONCKERT a émis un avis défavorable au sujet du projet d’extension du périmètre d’agglomération concernant des fonds sis à Urspelt, commune de Clervaux, au lieu-dit « auf dem Stack », présenté par Monsieur ….

La commission estime que ledit projet contribuerait au développement désordonné de la localité d’Urspelt étant donné que le projet est séparé de la localité par la voirie et donc situé en rase campagne, ce qui doit absolument être évité.

De plus, lors de l’élaboration du projet d’aménagement général de la commune de Clervaux, la commission a émis en date du 17 août 1988 un avis défavorable quant à l’intégration de la zone d’aménagement particulier portant sur des fonds sis au lieu-dit « auf dem Stack ».

Il est donc évident qu’elle s’oppose formellement à une extension de l’autre côté de la rue ».

Par délibération du 24 avril 1995, le conseil communal de Clervaux, ci-après dénommé le « conseil communal », statuant à l’unanimité, décida « d’émettre provisoirement un avis favorable au sujet du projet d’extension [… -] … et concernant la localité d’Urspelt avec à charge toutefois 1. de présenter un plan de lotissement complet des parcelles concernées ;

2. de prévoir l’accès sur le terrain à partir du chemin communal afin d’éviter l’accès sur le CR 339 ».

Le 19 juin 1995, le conseil communal, constatant qu’aucune réclamation n’avait été introduite contre la délibération précitée du 24 avril 1995, décida à l’unanimité des voix « d’approuver définitivement la demande d’extension du périmètre d’agglomération de la localité d’Urspelt présentée par le sieur … et concernant des fonds sis au lieu-dit « auf dem Stack » sous réserve de l’observation des conditions énumérées sub 1. et 2. ci-

dessus ».

Par courrier du 21 décembre 1995, l’administration communale de Clervaux informa la commission d’aménagement de l’approbation de l’extension du périmètre d’agglomération, telle que présentée par Monsieur ….

Par décision du 29 septembre 2003 à l’adresse du Commissaire de district à Diekirch, le ministre de l’Intérieur, ci-après dénommé le « ministre », refusa d’approuver sur base de l’article 9 de la loi du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes la prédite délibération du conseil communal du 24 avril 1995 portant adoption définitive du projet de modification du projet d’aménagement général présenté par Monsieur …. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il y a en effet lieu d’organiser l’aménagement de la localité d’Urspelt de façon à garantir aux habitants actuels et futurs un plein épanouissement, qu’il importe dans ce contexte d’éviter toute extension tentaculaire ou désordonnée de ces localités au vu des objectifs retenus par le Gouvernement. Il convient de chercher à éviter le développement d’une urbanisation désordonnée, souvent tentaculaire le long des principales voies de circulation, au détriment d’une évolution concentrique des localités. Cet objectif a d’ailleurs été formellement consacré par le Gouvernement en tant que directive générale devant présider à une urbanisation optimale.

C’est ainsi notamment que le Gouvernement en Conseil a décidé que « le développement concentrique des localités autour de leur noyau doit être favorisé. Les terrains libres à l’intérieur des localités doivent être urbanisés en priorité, avant toute extension du périmètre bâti. Des localités voisines ne peuvent se rejoindre que si l’ensemble ainsi constitué forme une unité fonctionnelle ». Ces mêmes principes ont également été retenus par le programme directeur d’aménagement du territoire, programme qui vise par ailleurs à éviter le mitage de l’espace disponible et la création, en périphérie des localités de lotissements ou de quartiers formant des îlots à part.

Compte tenu de la pression démographique actuelle et prévisible et des besoins fonciers en résultant, le choix urbanistique retenu par le Gouvernement consiste à promouvoir l’extension urbaine « en front », c’est-à-dire en continuité de l’espace urbain existant, et à éviter l’extension urbaine dite « en mitage », c’est-à-dire l’extension désordonnée extérieure à la localité, cette dernière ayant pour conséquence un gaspillage foncier, le développement d’un tissu urbain peu structuré et problématique en matière de réseaux comme de services, l’anéantissement des interactions sociales, une incohérence de la gestion des espaces naturels et agricoles en frange de l’urbanisation, la dégradation des sites et paysages, la stérilisation des terres agricoles ou l’entrave à une exploitation rentable, la hausse des valeurs foncières rendant difficile l’accès au marché foncier productif ainsi que le cloisonnement de l’espace entravant les opérations de restructuration foncière.

Il importe en outre que les axes routiers interlocaux, en l’occurrence le C.R.339, restent libres de toute construction, qu’il s’agit d’éviter de faire subir au réseau national un changement de destination en le transformant en voies de desserte avec toutes les conséquences négatives que cela impliquerait pour la fluidité et la sécurité de la circulation, qu’il convient également d’éviter aux habitants de tels logements les conséquences néfastes d’un trafic intense. » Ladite décision fut notifiée par l’intermédiaire de l’administration communale à Monsieur … suivant lettre recommandée du 25 novembre 2004.

Par requête introduite auprès du tribunal administratif en date du 22 février 2005, Madame … et Monsieur …, en leur qualité de propriétaires des terrains visés, ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 29 septembre 2003 portant refus d’approbation de la délibération du conseil communal indiquée comme datant du 24 avril 1995, mais datant en réalité du 19 juin 1995, portant adoption définitive du projet de modification du projet d’aménagement général concernant des fonds sis à Urspelt, commune de Clervaux, section E d’Urspelt, inscrits au cadastre de la commune de Clervaux sous le numéro …, au lieu-dit « Auf dem Stack ».

Le recours en annulation, seul recours possible contre un acte administratif à caractère réglementaire, d’après l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif tel que modifié par l’article 61, 1. de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Les demandeurs contestent en premier lieu la légalité externe de la décision ministérielle du 29 septembre 2003, en soutenant que ladite décision devrait encourir l’annulation pour défaut de motivation en ce qu’elle ne fournirait « aucune explication concrète et précise permettant de comprendre pourquoi les motifs urbanistiques abstraits avancés seraient applicables au cas de l’espèce » et qu’elle se bornerait simplement à citer et à reproduire de façon abstraite des textes en matière urbanistique, ce qui ne leur donnerait pas les moyens de vérifier le bien-fondé de la décision attaquée au regard des faits matériels en cause.

Concernant ce moyen, il convient de relever que, d’une part, les décisions sur les projets d’aménagement, lesquelles ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’ils concernent et le régime des constructions à y élever, ont un caractère réglementaire et, d’autre part, la décision du ministre de l’Intérieur, participe au caractère réglementaire de l’acte approuvé (cf. Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Actes réglementaires (Recours contre les), n° 20 et autres références y citées).

L’appréciation du caractère suffisant des motifs à la base d’un acte réglementaire, afin d’en justifier la légalité, est à effectuer au regard de l’ensemble des autres éléments du dossier, étant constant qu’au-delà des motifs indiqués à la base de l’acte, il convient encore de tenir compte de ceux ayant existé au moment où l’acte a été pris, fussent-ils non indiqués, dans la mesure où ils résultent par ailleurs des éléments du dossier, en ce qu’ils sont notamment et plus particulièrement fournis en cours d’instance par l’administration (cf. trib. adm. 15 novembre 2000, n° 10018a du rôle, Pas. adm 2004, V° Actes réglementaires (Recours contre les), n° 18, et autres références y citées).

Or, force est de constater que la décision attaquée du 29 septembre 2003 contient une motivation, certes sommaire, par rapport à la localité d’Urspelt, motivation complétée cependant en détail en cours d’instance contentieuse dans les mémoires en réponse et duplique.

Il s’ensuit que le moyen afférent des demandeurs est à rejeter.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent en premier lieu que le conseil communal avait adopté définitivement en date du 15 novembre 1988 une modification de la partie graphique du projet d’aménagement général de la commune de Clervaux, ci-

après dénommé le « PAG », décision approuvée en date du 14 juin 1990 par le ministre, avec injonction cependant d’exclure du périmètre d’agglomération certains terrains, dont notamment ceux situés au lieu-dit « Am Woltzweg » à Urspelt, à maintenir en zone verte.

Ils signalent en outre que ladite décision d’approbation ministérielle partielle avait été annulée par arrêt du comité du contentieux du Conseil d’Etat du 18 mars 1992, au motif que « l’approbation par une autorité ministérielle d’un acte soumis à son contrôle doit, en principe, être pure et simple », mais que le ministre, dans sa nouvelle décision du 24 septembre 1998, a de nouveau exclu de la zone constructible les terrains situés au lieu-dit « Am Woltzweg », et ceci sans respecter les termes de l’arrêt du Conseil d’Etat. Or, comme les terrains situés au lieu-dit « Am Woltzweg » seraient directement adjacents à ceux au lieu-dit « Auf dem Stack », la décision ministérielle violerait le principe de l’autonomie communale et se baserait sur des considérations illégales en refusant l’extension du PAG aux terrains litigieux, étant donné que si le ministre avait respecté l’arrêt du Conseil d’Etat et approuvé purement et simplement la délibération du 15 novembre 1988 du conseil communal, l’extension du PAG actuellement sollicitée par le projet litigieux au lieu-dit « Auf dem Stack » ne serait de toute évidence pas « en mitage ».

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement relève en premier lieu qu’il serait indifférent que le projet litigieux date de l’époque où le PAG adopté définitivement le 15 novembre 1988 par le conseil communal aurait encore été en vigueur, étant donné que la décision d’adoption définitive du conseil communal n’a jamais été approuvée par le ministre et que partant ledit PAG n’est jamais entré en vigueur. Comme les demandeurs n’auraient entrepris aucune démarche juridique à l’encontre de la décision ministérielle du 24 septembre 1998, le PAG à prendre en considération serait celui approuvé par le ministre à la prédite date du 24 septembre 1998 et non pas un quelconque projet d’aménagement général jamais approuvé en bonne et due forme.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs soutiennent que l’illégalité de la décision ministérielle du 24 septembre 1998 pourrait toujours être soulevée par voie incidente, de sorte que l’extension actuellement litigieuse devrait être appréciée par rapport au PAG dans sa version d’origine, de sorte que le projet soumis ne serait pas « en mitage ».

Les demandeurs ne sauraient cependant être suivis en leur argumentation, étant donné que la décision actuellement critiquée n’a pas été prise en exécution de la décision du ministre du 24 septembre 1998. En effet, l’exception d’illégalité, c’est-à-dire l’invocation de l’illégalité d’un acte administratif n’est pertinente que pour le cas où cet acte sous-tend un autre acte. Or, comme la décision attaquée ne procède pas de la décision ministérielle du 24 septembre 1998 le moyen de défense manque de fondement.

Partant, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement soutient que si les demandeurs estiment que le ministre aurait par sa décision du 24 septembre 1998 violé l’autonomie communale, ils auraient dû procéder par voie d’action.

En deuxième lieu, s’il est exact que la procédure actuellement litigieuse a été entamée à une époque où l’approbation partielle du ministre du 14 juin 1990 avait été annulée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 mars 1992, il convient cependant de rappeler que le vote provisoire d’un conseil communal concernant un projet d’aménagement communal a un effet négatif par l’applicabilité directe de la servitude mise en place, dès le dépôt du projet provisoirement approuvé à la maison communale, en dehors de toute autre étape dans la procédure d’approbation définitive du plan, dans ce sens uniquement que, conformément à l’article 12 de la loi modifiée du 12 juin 1937, précitée, toute implantation de constructions et tous travaux contraires aux dispositions du projet sont interdits. Ledit effet négatif perdure dès le vote provisoire du conseil communal et au-

delà du vote définitif de celui-ci concernant un projet d’aménagement communal, tant que l’approbation tutélaire n’a pas été émise. En revanche, un tel projet ne saurait avoir un effet positif dans ce sens qu’il autoriserait des implantations ou travaux non encore autorisables sous l’ancienne réglementation, étant donné que pareille interprétation reviendrait à étendre l’effet concerné au projet de plan d’aménagement au-delà d’une simple restriction instituée dans un but de prévention. Admettre le contraire, serait admettre le risque que le pouvoir de l’autorité de tutelle soit en partie vidé de sa substance. Il s’ensuit que l’ancien PAG provisoirement en vigueur ne saurait produire un effet positif dans le chef des demandeurs à l’heure actuelle en relation avec la demande de modification litigieuse et ceci d’autant plus que par sa décision d’approbation partielle du 24 septembre 1998, actuellement définitive, le ministre a exclu les terrains situés au lieu-dit « Am Woltzweg » du périmètre d’agglomération.

Les demandeurs reprochent finalement au ministre une erreur d’appréciation manifeste devant conduire à l’annulation de la décision attaquée.

Dans ce contexte, ils exposent que la localité d’Urspelt présenterait la particularité de ne comporter que quelques maisons éparpillées, que le PAG, tel qu’imposé par le ministre, aurait pour effet d’étirer la localité et de ne pas favoriser un développement concentrique et qu’il ne tiendrait pas compte des maisons existantes pour créer un concept de développement concentrique, d’autant plus que les terrains litigieux se situeraient après l’entrée de la localité du côté ouest, à côté d’une grande maison d’habitation existante, appelée le « hameau d’Urspelt », qu’ils seraient directement adjacents « au projet d’aménagement général, tel qu’il a existé au moment de l’introduction de la demande et tel qu’il a été illégalement modifié par Monsieur le Ministre de l’Intérieur », que l’extension projetée n’entraînerait pas un développement désordonné de la localité d’Urspelt, qu’un développement futur de la localité devrait se faire, dans un souci de « concentricité », au niveau des terrains litigieux et que tout développement urbanistique au niveau des terrains des demandeurs aurait pour effet de renforcer et non de détruire l’évolution concentrique de la localité d’Urspelt.

Pour le surplus, la simple existence de terrains disponibles à l’intérieur du périmètre d’agglomération ne saurait constituer à elle seule un motif suffisant pour justifier un refus relativement à une extension dudit périmètre, d’autant plus que les terrains litigieux se situeraient à l’intérieur de la localité à un endroit où existeraient déjà des immeubles, de sorte qu’aucun problème de réseau comme de services n’existerait.

Finalement, concernant l’argumentation ministérielle visant le CR 339 et tirée de la volonté d’ « éviter de faire subir au réseau national [routier] un changement de destination en le transformant en voies de desserte avec toutes les conséquences négatives que cela impliquerait pour la fluidité de la circulation », le ministre commettrait une erreur manifeste d’appréciation, étant donné que le plan de lotissement présenté par les demandeurs prévoirait une desserte par un chemin communal et un chemin propre au lotissement, de sorte que les différents terrains n’auraient accès au CR 339 que par le biais du chemin communal et toutes incidences sur la fluidité et la sécurité de la circulation seraient exclues.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement souligne que l’arrêté ministériel du 29 septembre 2003 aurait été pris à juste titre.

Le représentant étatique, en se basant sur le PAG tel qu’approuvé par le ministre de l’Intérieur en date du 24 septembre 1998, estime que l’extension projetée contribuerait à un développement tentaculaire de la localité d’Urspelt, d’autant plus que cette extension serait sans aucun lien direct avec le hameau d’Urspelt, immeuble se trouvant à côté du terrain litigieux et qui pour le surplus ne se trouverait pas dans le périmètre d’agglomération.

Il expose plus particulièrement que le plan directeur, dans sa partie B, prévoirait de réduire à l’indispensable l’utilisation de l’espace non encore bâti à des fins de construction. Ainsi, il y aurait lieu de délimiter les périmètres d’agglomération des localités proportionnellement à leur étendue actuelle et d’orienter le développement des communes en fonction des possibilités de développement définies à partir de l’armature urbaine recherchée et non à partir des désirs de croissance individuels. Pour le surplus, au vu de la pression foncière et démographique existante au Luxembourg, le gouvernement se serait donné comme directive générale le développement concentrique des localités en essayant d’éviter une urbanisation désordonnée voire tentaculaire le long des principales artères de circulation. Dans ce contexte, le représentant étatique fait référence à une décision du gouvernement en conseil du 11 juillet 1986 concernant la révision des directives générales du programme directeur de l’aménagement du territoire, telle que publiée au Mémorial B du 7 août 1986, politique qui aurait par ailleurs pour objet d’éviter le mitage de l’espace disponible par la création d’îlots de construction isolés en favorisant au contraire l’extension de l’espace urbain existant. Le délégué du gouvernement souligne encore que le choix urbanistique retenu par le gouvernement consisterait à promouvoir l’extension urbaine « en front », c’est-à-dire en continuité de l’espace urbain existant, et à éviter l’extension urbaine dite « de mitage », c’est-à-dire l’extension désordonnée extérieure à la localité, ayant pour conséquence un gaspillage foncier, le développement d’un tissu urbain peu structuré et problématique en matière de réseaux comme de services. A cela s’ajouterait qu’une incohérence de la gestion des espaces naturels et agricoles en frange de l’urbanisation, la dégradation des sites et paysages, la stérilisation des terres agricoles, l’entrave à une exploitation rentable, la hausse des valeurs foncières ainsi que le cloisonnement de l’espace entraveraient les opérations de restructuration foncière. Pour le surplus, une autre conséquence du mitage serait celle de son coût important tant pour les collectivités que pour les particuliers, coût dû à la charge de l’aménagement et du fonctionnement des équipements et services publics engendrés.

Finalement, les considérations urbanistiques avancées par le ministre viseraient à ne pas pousser plus loin les avancées unilignes d’urbanisation le long des voies publiques et répondraient à une finalité d’intérêt général.

Concernant l’incidence du projet de lotissement des demandeurs sur le CR 339, le représentant étatique relève qu’il s’agirait de veiller à ce que les chemins repris restent dans la mesure du possible à l’écart des centres d’habitation et qu’il importerait de ne pas changer la destination du réseau national en transformant les routes de l’Etat en voies de desserte, changement qui aurait des conséquences fatales sur la fluidité et la sécurité de la circulation sur les grands axes routiers. En effet, les constructions érigées le long de la voirie de l’Etat, à l’extérieur des agglomérations, auraient tendance à transformer les voies à grande circulation en voies de desserte pour riverains, ce qui favoriserait une extension des agglomérations d’une façon filiforme le long des routes faisant pénétrer d’une façon exagérée l’habitat dans les espaces naturels et engendrant des charges importantes pour les collectivités locales par son incidence défavorable sur le coût des canalisations, des transports de personnes et d’autres services publics, tout en défavorisant la vie sociale à l’intérieur des localités.

Le représentant étatique souligne finalement qu’en date du 21 avril 2005, le ministre de l’Environnement aurait également refusé d’approuver la délibération du conseil communal du 19 juin 1995, au motif que ladite extension projetée serait sans lien direct avec le hameau d’Urspelt et porterait un préjudice appréciable au paysage, d’autant plus que la localité d’Urspelt ne disposerait que d’une station d’épuration mécanique surchargée et que toute extension devrait être subordonnée à la réalisation d’une station d’épuration supplémentaire répondant aux normes actuelles de capacité suffisante à pouvoir absorber un accroissement raisonnable de la localité.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs réitèrent leur argumentation tout en soulignant que ni la directive générale, ni le projet du programme directeur d’aménagement du territoire, invoqués par le délégué du gouvernement, n’auraient la moindre valeur juridique et ne seraient pas opposables aux administrés. Les demandeurs estiment encore que si seuls les terrains libres se trouvant au noyau d’une localité devaient pouvoir être développés, l’inertie de quelques propriétaires, pour quelque raison que ce soit, serait de nature à empêcher tout lotissement hors noyau. Pour le surplus, leur projet s’inscrirait dans la continuité de l’infrastructure existante de la localité d’Urspelt, étant donné que dans le voisinage immédiat se trouveraient trois maisons préexistantes qui bénéficieraient de tous les raccordements et conforts de la vie moderne et qui seraient également desservies par les services postaux et par la collecte des ordures ménagères.

Finalement, toutes les infrastructures souterraines auraient été mises en place pour raccorder le projet litigieux aux différents réseaux publics.

Concernant l’incidence du projet litigieux sur le CR 339, ce dernier ne pourrait être qualifié de voie de desserte, étant donné que ledit chemin repris ne serait pas un grand axe routier et ne connaîtrait pas de problèmes de fluidité de la circulation et de trafic intense.

Les demandeurs estiment finalement que l’avis négatif du ministre de l’Environnement du 21 avril 2005 constituerait un avis de complaisance pour soutenir l’argumentation du ministre, tout en se réservant le droit d’introduire un recours en réformation contre ladite décision du ministre de l’Environnement, dont ils auraient pris connaissance pour la première fois ensemble avec le mémoire en réponse du délégué du gouvernement.

Il échet de rappeler qu’il appartient au ministre, en tant qu’autorité de tutelle, de veiller à ce que les décisions de l’autorité communale ne violent aucune règle de droit et ne heurtent pas l’intérêt général. Le droit d’approuver la décision du conseil communal a comme corollaire celui de ne pas approuver cette décision. Cette approbation implique nécessairement l’examen du dossier et comporte l’appréciation du ministre sur la régularité de la procédure et des propositions du conseil communal, ainsi que sur les modifications de la partie graphique et écrite des plans (cf. Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Tutelle administrative, n° 2, et autres références y citées).

Il est vrai que la tutelle n’autorise pas, en principe, l’autorité supérieure à s’immiscer dans la gestion du service décentralisé et à substituer sa propre décision à celles des agents du service (Buttgenbach A., Manuel de droit administratif, 1954, p. 117, n° 149), ce principe découlant de la nature même de la tutelle qui est une action exercée par un pouvoir sur un autre pouvoir, non pas en vue de se substituer à lui, mais dans le seul but de le maintenir dans les limites de la légalité et d’assurer la conformité de son action aux exigences de l’intérêt général.

Ceci étant rappelé, force est de constater qu’en l’espèce, la décision ministérielle querellée est fondée, ensemble les compléments de motivation apportés par le délégué du gouvernement au cours de la procédure contentieuse, sur des considérations urbanistiques et plus particulièrement sur un souci d’éviter un développement désordonné et tentaculaire de la localité d’Urspelt, de sorte que la décision est basée sur des motifs s’intégrant dans le cadre légal spécifique et que les critiques relativement à une motivation erronée ne sont pas fondées.

Dans ce contexte, c’est également à tort que les demandeurs soutiennent que l’arrêté ministériel attaqué est critiquable en ce que l’argumentation invoquée à l’appui de cet arrêté ministériel ne ferait référence que de façon abstraite et théorique et en des termes généraux à des objectifs retenus par le gouvernement, non consacrés par un texte législatif ou réglementaire. En effet, comme l’autorité supérieure de tutelle se doit d’assurer la conformité de son action aux exigences de l’intérêt général, la décision du gouvernement en conseil du 11 juin 1986 concernant la révision des directives générales du programme directeur de l’aménagement du territoire, loin de créer une quelconque insécurité juridique, ne fait que traduire la mesure de cet intérêt général sur base de critères objectifs retenus qui ont par ailleurs conduit à l’élaboration desdits critères dans le programme directeur d’aménagement du territoire et traduisent ainsi la politique que le gouvernement entend suivre et appliquer pour les années à venir, de sorte que ce reproche manque de fondement.

Concernant finalement le bien-fondé de la décision attaquée, il échet de rappeler que la mission du juge de la légalité conférée au tribunal à travers l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif exclut le contrôle des considérations d’opportunité et notamment d’ordre politique, à la base de l’acte administratif attaqué et inclut la vérification, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, de ce que les faits et considérations sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute (cf. trib. adm. 11 juin 1997, n° 9583 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Recours en annulation, n° 11).

Dans cette démarche de vérification des faits et des motifs à la base de l’acte déféré, le tribunal est encore amené à analyser si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits dont l’existence est vérifiée, une erreur d’appréciation étant susceptible d’être sanctionnée, dans la mesure où elle est manifeste, au cas notamment où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité (cf. Cour adm. 18 juin 2002, n° 14771C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Recours en annulation, n° 13).

Dans ce contexte, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement soutient que les dispositions d’un plan d’aménagement général communal sont appelées à reposer sur des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations et d’ordre politique tiré de l’organisation de la vie en commun sur un territoire donné, tendant les unes et les autres à une finalité d’intérêt général (cf. trib.

adm. 7 mars 2001, n° 12282 du rôle, confirmé par Cour adm. 23 octobre 2001, n° 13319C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Urbanisme, n° 11).

L’accent mis sur un développement concentrique d’une agglomération par exclusion, dans la mesure du possible, de toute excroissance d’ordre tentaculaire ou désordonnée répond à des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations de nature à confluer de manière utile avec l’organisation de la vie en commun sur le territoire donnée et est de nature à tendre à une finalité d’intérêt général (cf. trib. adm. 4 décembre 2002, n° 14128 du rôle, confirmé par Cour adm. 1er juillet 2003, n° 15879C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Urbanisme, n° 39).

A la lumière des considérations qui précèdent, il convient d’analyser le motif tiré de ce que l’inclusion des terrains des demandeurs dans le périmètre d’agglomération serait contraire au développement concentrique de la localité d’Urspelt et que les terrains à l’intérieur des localités devraient être urbanisés en priorité avant toute extension du périmètre à bâtir.

Une extension du périmètre d’agglomération au niveau d’un seul terrain, qui aboutit à un prolongement d’un village contribue à rendre plus difficile un développement cohérent et concentrique de la localité et est partant contraire au concept urbanistique exposé par le ministre (cf. trib. adm. 10 juillet 2002, n° 14378 du rôle, confirmé par Cour adm. 26 novembre 2002, n° 15233C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Tutelle administrative, n° 30).

Or, en l’espèce, il échet de constater, d’après les renseignements soumis au tribunal par les parties en cause, que les terrains litigieux ne sont même pas adjacents au périmètre d’agglomération, étant rappelé que les terrains situés au lieu-dit « Am Woltzweg » ont été enlevés dudit périmètre suivant décision ministérielle du 24 septembre 1998, de sorte que l’intégration des terrains sis au lieu-dit « Auf dem Stack », faisant l’objet du recours sous rubrique, reviendrait à créer un îlot d’habitation comprenant d’après le plan de lotissement global versé par les demandeurs 9 terrains constructibles à l’extérieur du périmètre de la localité d’Urspelt, conduisant à une extension excentrique de ladite localité au niveau du lotissement en question, étant relevé qu’il n’est même pas contesté que des terrains libres à l’intérieur du périmètre d’agglomération de la localité d’Urspelt sont encore disponibles.

Ainsi, l’objectif du ministre s’inscrit entièrement dans le cadre de la décision du gouvernement en conseil du 11 juillet 1986 concernant la révision des directives générales du programme directeur de l’aménagement du territoire, tel que mis en avant dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, abstraction faite des éléments d’opportunité non soumis au contrôle du tribunal saisi d’un recours en annulation.

Pour le surplus, il convient encore de relever que, s’il est exact que le lotissement projeté prévoit une desserte par un chemin communal et un chemin propre au lotissement, ledit chemin communal débouche directement sur le CR 339, ce qui aurait indubitablement une incidence sur la fluidité et la sécurité de la circulation au niveau du croisement dudit chemin communal avec le CR 339.

Partant, il suit de l’ensemble des développements qui précèdent, et sans qu’il soit nécessaire de recourir à une expertise voire d’ordonner une visite des lieux, que loin d’avoir versé dans une erreur d’appréciation à sanctionner par le tribunal, le ministre a agi sur base de considérations légales d’ordre urbanistique tendant à une finalité d’intérêt général, en l’occurrence dans un but vérifié d’éviter une extension excentrique de la localité d’Urspelt, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare cependant non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 12


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19340
Date de la décision : 17/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-17;19340 ?

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