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12/10/2005 | LUXEMBOURG | N°20084

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 octobre 2005, 20084


Tribunal administratif N° 20084 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juillet 2005 Audience publique du 12 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre un arrêté grand-ducal en matière de changement de nom patronymique

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20084 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 juillet 2005 par Maître Christian-Charles LAUER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sino

n à l’annulation de « l’arrêté grand-ducal rendu par le ministre de la Justice » en date ...

Tribunal administratif N° 20084 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juillet 2005 Audience publique du 12 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre un arrêté grand-ducal en matière de changement de nom patronymique

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20084 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 juillet 2005 par Maître Christian-Charles LAUER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de « l’arrêté grand-ducal rendu par le ministre de la Justice » en date du 29 avril 2005 portant refus de l’autorisation en changement de nom patronymique par lui sollicitée le 27 janvier 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 juillet 2005 ;

Vu le mémoire en réplique, désigné « mémoire en réponse », déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2005 par Maître Christian-Charles LAUER, au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment l’arrêté grand-ducal déféré ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Fatiha RAZZAK, en remplacement de Maître Christian-Charles LAUER et Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES s’étant rapportées aux écrits déposés au nom de leurs parties respectives à l’audience publique du 10 octobre 2005.

________________________________________________________________________

Considérant que par demande du 27 janvier 2005, Monsieur … a sollicité l’autorisation de changer de nom patronymique par adoption du nom patronymique de sa mère, Madame Xxx, motif tiré de ce que son père « n’a plus de contact d’affection avec son fils et qu’il s’en désintéresse totalement preuve en est qu’il n’a jamais payé de pension alimentaire pour ce dernier » ;

Que sur avis négatifs respectifs du Procureur d’Etat près du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, du Procureur Général d’Etat adjoint ainsi que du Conseil d’Etat, un arrêté grand-ducal du 29 avril 2005 refusa l’autorisation de changement de nom patronymique sollicitée au motif indiqué que le demandeur a oublié d’établir la preuve nécessaire des motifs avancés à la base de sa demande, le principe de la pérennité du nom patronymique devant alors prévaloir ;

Considérant que par requête déposée en date du 11 juillet 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de « l’arrêté grand-

ducal rendu par le ministre de la Justice en date du 29 avril 2005 » ainsi désigné ;

Considérant qu’encore qu’aucune méprise n’ait pu avoir lieu de la part de l’Etat, il convient de redresser le libellé impropre de la requête introductive d’instance en ce sens que l’objet du recours est constitué par l’arrêté grand-ducal du 29 avril 2005, pris par le Grand-Duc sous le contreseing du ministre de la Justice ;

Considérant que le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, la loi ne prévoyant pas la possibilité d’un recours au fond en la matière ;

Considérant que l’article 5 de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de nom, telle que modifiée par la loi du 18 mars 1982 relative aux changements de noms et de prénoms dispose que « le Gouvernement prononcera dans la forme prescrite pour les règlements d’administration publique » ;

Considérant que bien que pris sous la forme réglementaire, l’arrêté grand-ducal refusant un changement de nom patronymique ne constitue pas moins une décision individuelle, étant pris plus particulièrement dans l’intérêt direct de son destinataire ;

Considérant qu’aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction contre une décision de refus de changement de nom patronymique, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal ;

Considérant que le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi ;

Considérant qu’à l’appui de son recours, le demandeur reprend l’argumentaire développé dans sa demande initiale du 27 janvier 2005, à savoir que ses parents sont divorcés depuis le 16 novembre 1992, qu’il habiterait chez sa mère et qu’aucun lien affectif ne le lierait à son père avec lequel il n’aurait plus de contact depuis plusieurs années ;

Que son père n’aurait jamais versé de pension alimentaire pour les besoins d’éducation et d’entretien de son fils, sa mère subvenant seule à ses besoins, le père ne remplissant pas ses obligations paternelles ;

Qu’au vu de la règle par lui énoncée qu’il serait admis que les parents peuvent prendre l’initiative de changer le nom de leur enfant mineur commun portant le nom de son père et de lui attribuer le nom de sa mère ou inversement, le demandeur d’estimer qu’étant venu en âge de décider, il devrait se voir reconnaître le droit d’opter pour le nom de son père ou de sa mère, de sorte qu’au vu de sa situation personnelle, constituant un motif légitime pour autoriser un changement de nom patronymique, il opterait pour le nom de sa mère ;

Que le délégué du Gouvernement de souligner que dans son avis du 13 avril 2005, le Conseil d’Etat d’admettre que l’abandon vérifié de l’enfant par son père constituerait une raison suffisamment grave pour justifier un changement de nom de l’enfant, mais qu’en l’espèce le demandeur aurait omis d’établir la preuve nécessaire des motifs avancés à la base de sa demande, de sorte que faute de renseignements suffisants, le Conseil d’Etat aurait été amené à se rallier aux avis défavorables du procureur d’Etat ainsi que du procureur général d’Etat ;

Que suite à ces trois avis négatifs ce serait à bon droit que l’arrêté grand-ducal déféré aurait rejeté la demande en changement de nom patronymique dont s’agit ;

Que le délégué du Gouvernement de constater que même en procédure contentieuse le demandeur omettrait de verser la moindre pièce à l’appui de ses affirmations, telles que jugement de divorce, attestation de la mère ou lettres réclamant le paiement de la pension alimentaire ;

Qu’à l’appui de son mémoire en réplique, improprement désigné « mémoire en réponse », le demandeur de verser une copie du jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, 4ième section du 16 novembre 1992 prononçant le divorce entre les parents du demandeur, les ex-époux Guy … et Léonie Marie, dite Xxx, ainsi qu’une attestation de cette dernière affirmant que son ex-mari « m’a jamais versé de pension alimentaire pour son fils ni pour moi et il s’en est jamais occupé », malgré le fait des demandes orales et écrites au père effectuées à plusieurs reprises concernant une pension alimentaire, de sorte qu’elle aurait assuré elle-même les besoins d’éducation et d’entretien du demandeur ;

Que sur base de l’attestation de témoignage ainsi versée, le demandeur de solliciter l’annulation de l’arrêté grand-ducal déféré ;

Qu’il fait encore valoir qu’en vertu de l’article 11 de la Constitution garantissant les droits naturels de la personne humaine et de sa famille, une personne majeure devrait pouvoir choisir le nom de son père ou de sa mère légitime, ce droit constituant un droit naturel ;

Que subsidiairement il sollicite la saisine de la Cour Constitutionnelle à titre préjudiciel afin qu’elle statue sur la question de savoir « s’il n’est pas vrai que l’arrêté grand-ducal rendu en date du 29 avril 2005 refusant de faire droit à la demande en changement de nom de … violerait l’article 11 de la Constitution en ce que ledit arrêté fait obstacle au droit de pouvoir opter pour le nom de l’un de ses parents légitimes, droit naturel garanti par l’article 11 de la Constitution » ;

Considérant que l’article 11 (3) de la Constitution dispose que « l’Etat garantit les droits naturels de la personne humaine et de la famille » ;

Considérant que suivant l’article 95ter (1) de la Constitution, la Cour Constitutionnelle statue, par voie d’arrêt, sur la conformité des lois à la Constitution ;

Considérant que la question posée par le demandeur tenant à la conformité de l’arrêté grand-ducal déféré à l’article 11 de la Constitution ne constituant point une question de conformité d’une loi à la Constitution, il n’y a en toute occurrence pas lieu à saisine de la Cour Constitutionnelle ;

Considérant que le droit au port d’un nom patronymique constitue un droit naturel de l’homme, le nom patronymique étant un des attributs de la personnalité ;

Considérant que suivant la législation nationale actuellement en vigueur, l’Etat garantit à chaque être humain relevant de lui le port d’un nom patronymique ;

Que suivant l’article 1er de la loi du 6 fructitor an II qu’aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance, l’Etat garantit à chaque être humain relevant de lui le port de son nom patronymique comme étant celui exprimé dans son acte de naissance ;

Que cette garantie comporte l’exception prévue à travers la loi précitée du 11-21 germinal an XI, telle que modifiée par celle du 18 mars 1982 également précitée, en ce que suivant son article 4 « toute personne qui aura quelque raison de changer de nom ou de prénoms en adressera la demande motivée au Gouvernement » ;

Considérant que suivant la règle de la fixité, sinon de la pérennité du nom patronymique, laquelle participe à l’ordre public, les raisons devant justifier le changement de nom patronymique, sont appelées à s’analyser en des circonstances exceptionnelles à énoncer dès la demande adressée au Gouvernement, laquelle, d’après l’article 4 en question, doit être dûment motivée ;

Considérant que l’exigence d’une motivation spécifique dès la demande formulée auprès du Gouvernement se justifie, d’une part, en raison des circonstances exceptionnelles pouvant seules sous-tendre valablement un changement de nom patronymique et, d’autre part, par le caractère nécessairement éclairé non seulement de l’autorité de décision à travers les avis rendus à son escient par le Conseil d’Etat, ainsi que le Procureur d’Etat compétent ensemble le Procureur Général d’Etat, mais encore dans le chef de ces derniers mêmes ;

Considérant que non seulement de manière générale, dans le cadre de l’analyse d’un recours en annulation, le tribunal est amené à analyser la légalité d’une décision administrative en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, mais encore dans les circonstances spécifiques se dégageant des dispositions légales régissant les demandes en changement de nom patronymique et notamment celles de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI, ce plus particulièrement de son article 4, seuls les faits dûment étayés dès la demande en autorisation de changement de nom patronymique, tels que soumis successivement aux instances d’avis, puis à l’autorité de décision, sont à prendre utilement en considération pour apprécier le bien-fondé de la décision rendue ;

Considérant qu’en l’occurrence, suite à une demande du Procureur d’Etat de Luxembourg restée de fait infructueuse les faits soumis aux instances d’avis puis à l’autorité de décision sont restés constants et n’ont point revêtu le caractère étayé et précisément circonscrit de nature à justifier, en l’état, un changement de nom patronymique dans le chef du demandeur, face au principe de fixité du nom patronymique, motifs que l’arrêté grand-ducal déféré a dès lors pu invoquer à juste titre pour justifier le refus à travers lui prononcé ;

Considérant qu’il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé ;

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

déclare le recours en annulation recevable ;

au fond le dit non justifié ;

partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 octobre 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20084
Date de la décision : 12/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-12;20084 ?

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