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12/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19798

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 octobre 2005, 19798


Tribunal administratif N° 19798 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mai 2005 Audience publique du 12 octobre 2005 Recours formé par M. … et son épouse Mme …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19798 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de

Serbie-et-Monténégro), et de son épouse Madame …, née le … (Kosovo), tous les deux de nationa...

Tribunal administratif N° 19798 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 mai 2005 Audience publique du 12 octobre 2005 Recours formé par M. … et son épouse Mme …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19798 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse Madame …, née le … (Kosovo), tous les deux de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 février 2005 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que de la décision confirmative prise par ledit ministre le 11 avril 2005, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 10 octobre 2005, Maître Louis TINTI ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES s’étant rapportés aux écrits respectifs de leur partie.

Le 29 décembre 2004, Monsieur … et son épouse Madame … introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent entendus séparément en date du 19 janvier 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 28 février 2005, notifiée par lettre recommandée du 2 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Vous aurez quitté le Kosovo en date du 24 décembre 2004 à bord d’une camionnette qui vous aurait emmenés au Luxembourg, où vous seriez arrivés le 29 décembre 2004, date du dépôt de vos demandes d’asile. Monsieur, vous admettez avoir été demandeur d’asile en Allemagne en 1996 et être retourné volontairement au Kosovo en 1997.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que lors d’une réunion de villageois avec une organisation non-gouvernementale en mai 2004 vous vous seriez exprimé pour le fait que les serbes puissent s’occuper de leurs terres aux alentours de Gojbulja et Karaq étant donné que la guerre serait finie. Vous seriez en faveur d’un Kosovo multiethnique et non purement albanais. Vous auriez alors été insulté de traître et d’espion par les autres villageois, tout en vous accusant que vous auriez travaillé pour les serbes.

Un jour, vous auriez été voir les terres d’un serbe pour éventuellement les acheter. Des personnes vous auraient alors lancé des pierres en vous accusant d’être un espion et en menaçant de vous tuer. En juillet 2004, vous auriez été arrêté en voiture par quatre personnes masquées qui auraient demandé à voir vos papiers. Vous auriez montré les papiers de votre frère se trouvant dans la voiture et après avoir consulté un calepin, ces personnes vous auraient laissé partir. Vous pensez ainsi être recherché et vous auriez peur de vous faire tuer à cause de vos paroles prononcées lors de la réunion. Vous faites également état de menaces par téléphone. Vous n’auriez pas porté plainte ou demandé de la protection de la part des autorités en place. Le 1er septembre 2004, vous auriez quitté Vushtrri pour Pristina où vous auriez vécu chez un ami. Vous auriez quitté Pristina de peur qu’on vous y retrouve.

Enfin, vous ne seriez pas membre d’un parti politique et vous ne faites pas état d’autres problèmes.

Madame, il résulte de vos déclarations que vous auriez été violée en 1999 durant le conflit du Kosovo par un policier serbe. Vous pensez l’avoir reconnu sur la télévision lors d’un reportage sur les troubles de mars 2004, ce qui aurait fait resurgir vos souvenirs et traumatismes. Depuis 1999, vous ne faites pas état de persécutions ou de problèmes. Votre mari aurait été menacé par téléphone à Vushtrri. Vous ignorez par qui et pourquoi, votre mari n’aurait pas voulu vous inquiéter.

Enfin, vous ne seriez pas membre d’un parti politique et vous ne faites pas état d’autres problèmes.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez tous les deux d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève.

Monsieur, les motifs que vous invoquez ne sont pas d’une gravité telle qu’ils sauraient fonder à eux seuls une demande en obtention du statut de réfugié politique. A cela s’ajoute que des personnes albanaises ne sauraient pas être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, vous n’avez pas demandé de protection auprès des forces onusiennes et il n’est pas établi que ces dernières seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection quelconque.

Votre peur de vous faire tuer traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Madame, les événements de 1999 ne sauraient être invoqués pour fonder une demande d’asile en 2004 étant donné qu’ils sont trop éloignés dans le temps. Les traumatismes liés à ces derniers ne sauraient davantage fonder une telle demande car ils ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Après les violences généralisées de mars 2004, „la situation en matière de sécurité est restée, dans l’ensemble, calme et stable“ a indiqué Hédi Annabi, sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix de l’ONU le 5 août 2004. De nouvelles élections législatives sont prévues pour octobre 2004. Le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Par ailleurs, il ne ressort pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre région du Kosovo, plus particulièrement à Pristina où vous auriez vécu trois mois sans y faire état de problèmes concrets ou dans une autre région de la Serbie-Monténégro, pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 4 avril 2005, les époux …-… introduisirent par le biais de leur mandataire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 28 février 2005.

Par décision du 11 avril 2005, notifiée par lettre recommandée du 12 avril 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus du 28 février 2005.

Le 12 mai 2005, les époux …-… ont introduit un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées des 28 février et 11 avril 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, qu’ils seraient membres de la communauté albanaise et de confession musulmane. Ils font valoir que Monsieur … aurait été victime de menaces et violences physiques en raison du fait qu’il serait soupçonné, à tort, d’être un « espion à la solde des serbes ». Ils relatent que Monsieur … aurait été arrêté avec sa voiture par quatre personnes masquées et que ce ne serait que parce qu’il aurait indiqué l’identité de son frère qu’ils l’auraient laissé partir sain et sauf. Ils soutiennent qu’il serait illusoire de croire que les autorités officielles seraient capables de les protéger et que toute possibilité de fuite interne serait difficile sinon impossible.

En substance, ils reprochent au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes-rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que c’est à juste titre que le ministre a retenu que le récit des demandeurs, étant précisé que ces derniers sont d’origine albanaises et en tant que tels, membres de la communauté ethnique majoritaire au Kosovo, traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’ils n’aient fait état d’une persécution ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison intolérable dans leur pays d’origine.

En effet, concernant le fait d’avoir été victime d’une agression et de menaces par téléphone de la part de membres de la population albanaise qui lui reprocheraient une collaboration avec les Serbes, à les supposer vraies, force est de relever que si ces agissements constituent certes des actes condamnables, ils sont toutefois au regard de leur gravité insuffisants pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie des demandeurs leur serait, à raison intolérable dans leur pays d’origine.

S’y ajoute que les auteurs de ces agressions ne peuvent pas être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que les demandeurs restent en défaut d’établir à suffisance de droit que les autorités de leur pays d’origine refuseraient de les protéger ou seraient dans l’impossibilité de leur fournir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les demandeurs n’ayant pas porté plainte auprès des forces de l’ordre et n’ayant entrepris aucune autre démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection.

Pour le surplus, les craintes invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement dans leur village d’origine et les demandeurs ne soumettent aucun élément pertinent permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie du Kosovo, notamment à Pristina où ils auraient vécu pendant trois mois après d’amis avant de venir au Grand-Duché de Luxembourg, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées), la simple affirmation que « toute possibilité de fuite interne de la part des demandeurs est extrêmement difficile, voire impossible » n’étant pas suffisante à cet égard. Par ailleurs, la prise de position du 13 août 2004 de l’UNHCR citée par les demandeurs vise les minorités ethniques du Kosovo, de sorte qu’aucune conclusion utile ne saurait en être tirée en l’espèce.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 octobre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 7


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19798
Date de la décision : 12/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-12;19798 ?

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