La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19785

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 octobre 2005, 19785


Tribunal administratif N° 19785 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mai 2005 Audience publique du 12 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

-------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19785 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2005 par Maître Claude FEYEREISEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Cécile HENLE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre d

es avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, sans état, né le … (Libéria), de nationalité libé...

Tribunal administratif N° 19785 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mai 2005 Audience publique du 12 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

-------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19785 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2005 par Maître Claude FEYEREISEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Cécile HENLE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, sans état, né le … (Libéria), de nationalité libérienne, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du 4 février 2005 du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, déclarant sa demande en obtention du statut de réfugié non fondée, ainsi que contre une décision prise par le même ministre en date du 11 avril 2005 par laquelle ledit ministre a rejeté un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience du 3 octobre 2005, Maître Cécile HENLE et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER s’étant rapportés aux écrits respectifs de leurs parties.

________________________________________________________________________

Le 22 mars 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut encore entendu en date du 6 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Par décision datant du 4 février 2005, lui notifiée en mains propres le 2 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps en charge du dossier, l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition du 6 mai 2004.

Il ressort du rapport de Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Libéria début février 2004 par bateau pour venir en Europe. Vous ne connaîtriez pas le lieu d’arrivée. Ensuite, vous auriez parlé à différentes personnes, jusqu’à ce que l’une d’entres elles accepte de vous aider. Vous auriez alors été conduit au Luxembourg.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Libéria lorsqu’une bombe aurait explosé et tué votre mère, vous seriez alors parti en courant en direction de la Sierra Léone, il y aurait environ deux ans avant la date de l’audition. Vous seriez allé chez un de vos oncles. Vous auriez travaillé dur à la ferme et ne voudriez plus y travailler. En conséquence la femme de votre oncle ne vous aurait plus donné à manger.

Votre oncle vous aurait fait part du manque d’argent et vous aurait présenté à un homme blanc, qui vous aurait emmené en Europe par bateau. Arrivé dans un endroit inconnu, cet homme vous aurait séquestré durant deux semaines, il aurait prévu de vous prostituer. Vous auriez réussi à vous échapper et seriez venu au Luxembourg, grâce à l’aide d’un couple qui vous y aurait amené en voiture.

Vous déclarez aussi que votre oncle serait un rebelle et que le jour de votre départ les rebelles vous auraient prévenu de ne plus revenir au Sierra Léone, sans quoi vous seriez tué.

Vous précisez ne pas vouloir retourner au Libéria en raison de la guerre civile.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Force est de constater que toutes vos allégations concernant vos problèmes au Sierra Léone ne sont aucunement pertinentes eu égard à votre demande d’asile. En effet, la Convention de Genève prend en compte uniquement les persécutions subies dans le pays d’origine du demandeur. Or, en l’espèce, force est de constater que vous éprouvez tout au plus un sentiment d’insécurité générale ne rentrant pas dans le cadre de la Convention de Genève, puisqu’il ressort clairement du rapport d’audition que vous n’avez eu aucun problème personnel, ni n’avez subi de quelconque persécution ou de mauvais traitements dans votre pays d’origine. Vous craignez uniquement la guerre en cas de retour. Or, la situation a totalement changé depuis l’époque de votre départ, de sorte que votre crainte y afférente n’est pas fondée. En effet, le président Charles Taylor a été évincé pour laisser place à un gouvernement transitoire jusqu’aux élections d’octobre 2005 et la guerre civile est terminée depuis août 2003. La mission des Nations Unies installée au Libéria compte plus de 15.000 militaires et policiers déployés dans tout le pays afin d’assurer le maintien de la paix. Actuellement, des réfugiés libériens retournent dans leur pays avec l’aide du HCR, déjà 5.160 ont été rapatriés au cours de l’année 2004.

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

En outre, vous vous êtes trompé lors de l’audition au sujet de votre date de naissance, vous indiquez le 7 juillet 1981 au lieu du 10 juin 1981. Cette constatation jette de sérieux doutes quant à votre réelle identité. De plus, vos déclarations auprès de la Police Judiciaire et de l’agent du Ministère diffèrent totalement. Notamment, le rapport du service de la Police Judiciaire ne mentionne pas votre séquestration par l’homme blanc, ni la Sierra Léone comme pays de départ, ni votre oncle comme intermédiaire à la rencontre avec la personne qui vous aurait aidée à quitter le pays. Vous parlez par contre de votre frère alors que dans le rapport d’audition vous indiquez ne pas avoir de frères du tous. Il s’ensuit que toutes ces remarques rendent votre récit peu crédible.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre datée du 29 mars 2005 au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, celui-ci prit une décision confirmative le 11 avril 2005.

Monsieur … a fait introduire par requête déposée en date du 9 mai 2005 un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle initiale du 4 février 2005 et de la décision confirmative du 11 avril 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est encore recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison « des persécutions dont sa famille et lui-même furent l’objet et de la situation qui règne au pays ».

Il fait valoir plus précisément que son père aurait été tué par des rebelles alors qu’il cultivait ses champs dans son village d’origine situé dans le Comté de Bassa et que sa mère aurait été tuée par une bombe.

Il insiste plus particulièrement sur ce que la situation générale régnant au Libéria resterait instable et que les forces internationales en place ne seraient pas en mesure de protéger les citoyens. Ainsi, il craindrait légitimement de retourner dans son pays d’origine, dans la mesure où le pays serait toujours ravagé par la guerre civile « d’une rare violence ». Comme ses parents seraient morts lors d’attaques de rebelles et que le reste de sa famille aurait fui le pays, il risquerait également de faire l’objet d’attaques de rebelles en cas de retour.

En ce qui concerne les incohérences relevées par le ministre, il soutient qu’il aurait été traumatisé par les événements tragiques subis depuis le mois d’août 2003, de sorte qu’il serait compréhensible que ses explications puissent paraître confuses et « provoquer certaines imprécisions ».

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12, p. 663).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition ainsi que les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite des considérations tenant à l’incohérence du récit et quant à l’éventuelle incidence quant à la crédibilité du récit du demandeur, force est de constater que le demandeur fait en substance état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre et estime que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié au vu de la situation instable et non sécurisée dans son pays d’origine, mais reste en défaut de faire état de persécutions ou d’un risque de persécutions propre à sa situation subjective spécifique.

Or, s’agissant ainsi de la crainte d’actes émanant non pas des autorités publiques en place au Libéria, mais de groupements de la population civile, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, la situation a fondamentalement changé au Libéria par la signature en août 2003 d’un accord entre le gouvernement libérien, les forces rebelles, les partis politiques et des représentants de la société civile et par l’instauration en date du 14 octobre 2003 d’un gouvernement de transition. S’y ajoute qu’une force internationale (UNMIL) a été instaurée par la résolution n° 1509 du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 19 septembre 2003 avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles.

Face à cette évolution positive de la situation générale au Libéria et en l’absence d’éléments suffisants de nature à étayer un risque concret de recrudescence générale des violences, un affrontement isolé en date du 26 janvier 2005 et un couvre-feu décrété sur la ville portuaire de Harper et des lenteurs dans le processus de démobilisation et de désarmement de la population, étant insuffisants pour permettre de tirer pareille conclusion, les craintes exprimées par le demandeur ne sont pas de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours en réformation doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 octobre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19785
Date de la décision : 12/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-12;19785 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award