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12/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19157

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 octobre 2005, 19157


Tribunal administratif N° 19157 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 janvier 2005 Audience publique du 12 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision de l’Etat en matière d’employé de l’Etat

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19157 du rôle et déposée le 11 janvier 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, … , demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision de l’Etat

du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre d’Etat et pour autant que de besoin par so...

Tribunal administratif N° 19157 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 janvier 2005 Audience publique du 12 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision de l’Etat en matière d’employé de l’Etat

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19157 du rôle et déposée le 11 janvier 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, … , demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre d’Etat et pour autant que de besoin par son ministre de l’Education Nationale et de la Formation professionnelle du 10 décembre 2004 « refusant de reconnaître que le requérant est lié par un contrat de travail à durée indéterminée à l’Etat » ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2005 par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse déposé en date du 11 avril 2005 par Maître Michel MOLITOR, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, notifié en date du même jour au litismandataire de Monsieur … ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Ferdinand BURG, en remplacement de Maître Gaston VOGEL, ainsi que Maître Paulo LOPES DA SILVA, en remplacement de Maître Michel MOLITOR en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er juin 2005 ;

Ouï Maître Ferdinand BURG ainsi que Maître Paulo LOPES DA SILVA en leurs explications complémentaires à l’audience publique du 15 juin 2005 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 15 juin 2005 invitant les parties à produire un mémoire supplémentaire jusqu’au lundi, 4 juillet 2005 ;

Vu le mémoire complémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er juillet 2005 par Maître Gaston VOGEL au nom de Monsieur …, notifié en date du 1er juillet 2005 à Maître Michel MOLITOR, mandataire de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 juillet 2005 par Maître Michel MOLITOR, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg notifié en date du même jour au litismandataire de Monsieur … ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport complémentaire ainsi que Maître Ferdinand BURG en ses plaidoiries complémentaires à l’audience publique du 6 juillet 2005, Maître Paulo LOPES DA SILVA s’étant rapporté aux écrits de sa partie ;

Vu l’avis du tribunal daté du 15 juillet 2005 prononçant la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de se prononcer sur l’applicabilité et la portée du règlement grand-ducal du 11 juillet 1989 portant application des dispositions des articles 5,8, 34 et 41 de la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail et le cas échéant son incidence sur l’applicabilité de l’article 5 de la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, et invitant les parties à y prendre position par un mémoire supplémentaire à déposer pour au plus tard le 23 septembre 2005 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 septembre 2005 par Maître Michel MOLITOR, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg notifié en date du même jour au litismandataire de Monsieur … ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision litigieuse ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport complémentaire ainsi que Maître Paulo LOPES DA SILVA en ses explications complémentaires à l’audience publique du 28 septembre 2005, Maître Fayza OMAR, en remplacement de Maître Gaston VOGEL, s’étant rapportée aux écrits de sa partie.

________________________________________________________________________

Suivant contrat de louage de services daté du 1er octobre 1997, Monsieur … a été engagé en qualité de chargé d’éducation à durée déterminée au Lycée … avec une tâche hebdomadaire de 24 leçons pour la période du 6 septembre 1997 au 14 septembre 1998.

Il bénéficia par la suite jusqu’au 15 septembre 2005 de contrats de louage de services successifs à durée déterminée, le dernier contrat ayant été signé entre parties le 15 juillet 2004.

Par courrier du 30 novembre 2004, Monsieur … s’adressa par l’intermédiaire de son avocat au ministre de l’Education nationale en demandant qu’il lui soit confirmé qu’il « est salarié bénéficiaire d’un contrat à durée indéterminée ».

Le ministre de l’Education Nationale et de la Formation professionnelle refusa, par décision du 10 décembre 2004 adressée au mandataire de Monsieur …, de faire droit à la prédite demande pour les motifs suivants :

« Maître, J’accuse bonne réception de votre courrier en date du 30 novembre 2004 dans l'affaire émargée, par lequel vous m’informez que le renouvellement d'année en année du contrat de Monsieur …, chargé d'éducation, serait contraire à l'article 5 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, ainsi qu'à l'article 2 du règlement grand-ducal du 11 juillet 1989.

Par ailleurs, vous estimez que l’article 17 de la loi modifiée du 5 juillet 1991 serait contraire à l'article 10bis (1) de la Constitution car créant deux régimes différents de contrats à durée déterminée.

Finalement, votre mandant demande à ce que lui soit confirmé le caractère à durée indéterminée de son contrat de travail.

Je tiens par la présente à vous informer que l’article 5, paragraphe 2, point 3 de la loi modifiée du 24 mai 1989 précitée dispose que « sont notamment considérés comme tâche précise et non durable au sens du paragraphe (1) qui précède… 3° les emplois pour lesquels dans certains secteurs d'activité il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée ou du caractère par nature temporaire de ces emplois, la liste de ces secteurs et emplois est établie par règlement grand-ducal ».

Dès lors, cet article prévoit une dérogation au régime de droit commun prévu par la loi modifiée du 24 mai 1989 précitée pour certains secteurs d'activité et certains emplois, dont le secteur de l’enseignement et les emplois de chargés d’éducation font partie, dérogation suivant laquelle un contrat à durée déterminée peut excéder la durée de 24 mois et faire l'objet de plus de deux renouvellements.

Par ailleurs, il ne saurait être déduit du renouvellement d'année en année des contrats des chargés d'éducation que ces emplois ne sont pas de nature temporaire.

En effet, il y a lieu de s’attacher à la fin poursuivie par la création de ces emplois, à savoir pallier l’insuffisance de personnel enseignant remplissant les conditions de nomination à la fonction de professeur.

Ainsi, si dans un avenir plus ou moins proche, il s’avérait que le nombre de personnel enseignant fonctionnaire était suffisant pour assurer le bon fonctionnement de l'enseignement post-primaire, il ne serait plus nécessaire d’avoir recours aux chargés d'éducation et leurs contrats ne seraient dès lors plus renouvelés.

Ces contrats sont donc bien de nature temporaire, puisque destinés à remédier à une situation actuelle appelée à se résorber à l’avenir.

Pour ce qui est de l’article 17 de la loi modifiée du 5 juillet 1991 portant notamment dérogation à la loi du 24 mai 1989 précitée, tel que modifié par la loi du 20 décembre 1996 concernant le budget des recettes et des dépenses de l’Etat pour l'exercice 1997, vous estimez qu’il crée deux régimes différents de contrats à durée déterminée, celui des chargés de cours étant nettement défavorable par rapport à celui des employés privés et serait donc contraire au principe de l’égalité des citoyens devant la loi (article 10 bis de la Constitution).

Je conteste cette argumentation, alors que celle-ci ne saurait valoir que dans le cas où l'on est en présence d’une différenciation faite à l’égard d’une même catégorie de salariés.

En l’espèce, l’on distingue entre les employés privés, dont le régime est soumis dans son ensemble à la loi modifiée du 24 mai 1989 précitée, et les employés de l'Etat, soumis à la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l'Etat, dont les chargés d’éducation font partie.

Il s’agit donc bien d’une catégorie distincte d’employés à côté des employés privés.

Or, suivant la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, « la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure critiquée» ; tel n’est cependant pas le cas en espèce (arrêt n° 9/00 du 5 mai 2000, n° 9 du registre).

Vu les développements qui précèdent, je ne puis faire droit à la demande de votre mandant consistant à le faire bénéficier d’un contrat à durée indéterminée.

Veuillez agréer, Maître, l'expression de mes sentiments très distingués. » Par requête du 11 janvier 2005, Monsieur … a fait introduire contre la prédite décision du 10 décembre 2004 un recours tendant principalement à sa réformation et subsidiairement à son annulation afin de voir dire qu’il est lié par un contrat à durée indéterminée à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, à partir du 1er octobre 1997, sinon à partir de toute autre date à fixer par le tribunal.

Quant à la recevabilité L’Etat entend résister à cette demande en soulevant à titre principal la nullité de la requête introductive d’instance pour libellé obscur, pour ensuite soulever son irrecevabilité pour « défaut d’objet de la demande », au motif, notamment, que le dispositif de la requête introductive d’instance omettrait de solliciter l’annulation ou la réformation d’une quelconque décision administrative.

L’obligation prévue par l’article 1er, alinéa 2 tiret 3 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel la requête introductive d’instance doit contenir l’exposé sommaire des moyens invoqués, est à appliquer corrélativement avec l’article 29 de la même loi, aux termes duquel « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ».

En l’espèce la partie défenderesse omet non seulement de préciser en quoi l’imprécision alléguée des moyens du demandeur porterait atteinte à ses droits, mais il y a encore lieu de constater qu’elle ne s’est pas trompée quant à la portée de ces moyens, puisqu’elle y a répondu de manière circonstanciée.

Il en résulte qu’en l’absence de grief effectif porté aux droits de la défense, le moyen d’irrecevabilité pour libellé obscur est à écarter (trib. adm. 12 juin 2002, n° 14304, Pas. adm. 2004, v° Procédure contentieuse, n° 223, p. 598).

En ce qui concerne le second moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie étatique, force est au tribunal de constater que le dispositif du recours introductif d’instance ni ne mentionne la décision déférée, ni ne précise si le demandeur en sollicite la réformation ou l’annulation, le dispositif se contentant de demander au tribunal de « (…) dire que le requérant est lié par un contrat à durée indéterminée à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, ce à partir du 1er octobre 1997, ou toute autre date à fixer par le tribunal ».

La partie défenderesse relève à ce sujet qu’aux termes d’une jurisprudence du tribunal administratif, la seule décision utilement attaquée est celle qui figure dans le dispositif de la requête introductive d’instance.

Le tribunal est cependant amené, sans se départir de la jurisprudence citée par la défenderesse, à relever qu’il n’est pas, en la présente matière, et ce à titre exceptionnel, saisi d’un recours dirigé contre une décision administrative, mais d’un recours lui soumettant une contestation relative à une situation de fait et de droit donnée.

En effet, si d’une manière générale et aux termes de l’article 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif peut être saisi d’un recours « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible », il s’est vu confier par le législateur, et plus particulièrement par l’article 11 (1) de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat, un recours au fond « quant aux contestations résultant du contrat d’emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires ». Il s’ensuit que d’un point de vue strictement formel, la non-

indication de la décision déférée dans le dispositif de la requête introductive d’instance ne saurait être sanctionnée par l’irrecevabilité de cette dernière, d’autant plus que pareille sanction n’est pas prévue par un texte et que, comme relevé ci-avant, la partie défenderesse reste en défaut de faire état d’un quelconque grief résultant de cette non-

indication formelle.

Bien au contraire, le tribunal relève que la partie défenderesse ne s’est pas méprise sur la portée et sur l’objet du recours, et ce d’autant plus que la décision litigieuse est non seulement formellement identifiée dans le corps de la requête, mais qu’elle a encore, conformément à l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, été déposée parmi les pièces versées.

Enfin, en ce qui concerne l’absence de précision alléguée quant au but poursuivi par le recours, force est de constater que si dans le corps de la requête il est précisé que le recours tend à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision déférée, il se dégage du dispositif, comme cité ci-avant, que le demandeur demande au tribunal de « (…) dire que le requérant est lié par un contrat à durée indéterminée à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, ce à partir du 1er octobre 1997, ou toute autre date à fixer par le tribunal », ce qui équivaut à solliciter la seule réformation de la décision refusant à Monsieur … le bénéfice d’un contrat à durée indéterminé.

Or, à ce sujet, étant donné que l’article 11 (1) de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat instaure un recours de pleine juridiction quant aux contestations résultant du contrat d’emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation portant sur une contestation relative à la qualification d’un contrat d’emploi d’un employé de l’Etat.

Ledit recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi, étant remarqué qu’aucun délai de recours n’a commencé à courir à l’égard de la décision ministérielle du 10 décembre 2004 à défaut d’une instruction sur les voies de recours y contenue.

Quant au fond Le demandeur conclut à la requalification de son engagement auprès de l’Etat comme étant à durée indéterminée dès la signature du premier contrat liant les parties, soit à partir du 16 octobre 1997, sinon à partir d’une date à arrêter par le tribunal.

Il se prévaut à ce sujet d’une contrariété entre l’article 5 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail et l’article 17 de la loi modifiée du 5 juillet 1991 portant entre autres dérogation à ladite loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, cette contrariété aboutissant à la création de deux catégories de salariés, dont la première bénéficierait d’une interdiction de renouvellement de contrats à durée déterminée au-delà d’une période de vingt-quatre mois continus, et la seconde serait en revanche exposée à une situation « nettement défavorable » où le renouvellement de contrats à durée déterminée au-delà d’une période de vingt-quatre mois continus serait expressément autorisé.

Il estime que pareille situation serait contraire au principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 10bis de la Constitution et sollicite le renvoi devant la Cour constitutionnelle « afin de voir constater l’anticonstitutionnalité de l’article 17 de la loi du 17 juillet 1991, notamment au regard de l’article 10bis de la Constitution ».

Il estime encore que l’article 5 de la loi modifiée du 24 mai 1989, considéré ensemble avec l’article 2 du règlement d’application du 11 juillet 1989 portant application des dispositions des articles 5,8, 34 et 41 de la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, ferait en sorte que des contrats à durée déterminée ne pourraient être valablement conclus avec des chargés de cours et des chargés d’éducation en matière d’enseignement que pour pourvoir à des emplois par nature temporaire.

Il considère par ailleurs que le règlement grand-ducal du 11 juillet 1989 précité serait contraire à la loi et partant inapplicable, étant donné que ce règlement étendrait le domaine d’application de la loi modifiée du 24 mai 1989, en y ajoutant une condition non prévue.

Il fait plaider qu’en aucun cas la condition du caractère temporaire d’un emploi nécessaire pour qu’un employeur puisse avoir recours au contrat de travail à durée déterminée ne saurait se trouver évincée, de sorte que face à sa situation, caractérisée par une succession de contrats, « interrompue que par les vacances scolaires », ayant pour objet l’enseignement d’une « matière enseignée de manière permanente au Lycée en question », il y aurait lieu de dire que son contrat avec l’Etat est un contrat de travail à durée indéterminée.

L’Etat résiste à cette argumentation en estimant de prime abord que l’article 17 de la loi modifiée du 5 juillet 1991 précitée ne serait pas contraire à l’article 10 bis de la Constitution, la question de son inconstitutionnalité étant dénuée de tout fondement.

Il argumente encore, en se référant au moyen du demandeur tenant à la légalité du règlement du 11 juillet 1989 par rapport aux dispositions de la loi modifiée du 24 mai 1989, que ledit règlement, considéré sur le point mis en exergue des emplois pour lesquels il serait d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée ou du caractère par nature temporaire de ces emplois, constituerait une mesure d’exécution de l’article 5 (2) point 3°) de ladite loi modifiée du 24 mai 1989, loi dont il n’étendrait nullement le domaine d’application.

Il fait valoir que la loi modifiée du 24 mai 1989 aurait posé le principe que des contrats à durée déterminée peuvent être conclus dans certains secteurs d’activité et aurait habilité le pouvoir exécutif à définir ces secteurs, le secteur de l’enseignement pour les emplois de chargé de cours s’y trouvant, de sorte que le législateur aurait autorisé expressément la conclusion des contrats à durée déterminée dans le cas sous analyse.

En ce qui concerne la nature temporaire de l’emploi occupé, l’Etat fait plaider, en se référant à un jugement du tribunal administratif du 17 décembre 2003, n° 17022 du rôle, que « par essence des emplois de chargé de cours comme ceux de chargé de direction et les emplois socio-éducatifs y énoncés ne se conçoivent qu’à défaut de personnel qualifié remplissant les conditions d’admission au stage ou de nomination y visées », pour en déduire que la nature temporaire de l’emploi occupé par le demandeur ne ferait aucun doute.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant (trib. adm. 27 octobre 1999, n° 11231 et 11232 du rôle, confirmé par arrêt du 18 mai 2000, 11707C du rôle, Pas. adm.

2004, V° Procédure contentieuse, n° 376, p. 630).

En ce qui concerne l’exception d’illégalité soulevée par le demandeur, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 95 de la Constitution, le tribunal est amené à n’appliquer les arrêtés et règlements généraux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois.

La loi applicable en l’espèce, à savoir la loi modifiée du 24 mai 1989 porte en son article 5 (1) que « le contrat de travail à durée déterminée peut être conclu pour l’exécution d’une tâche précise et non durable ; il ne peut avoir pour objet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente d’une entreprise », le même article 5 disposant en son paragraphe (2) que « sont notamment considérés comme tâche précise et non durable au sens des dispositions du paragraphe (1) qui précède :… 3. les emplois pour lesquels dans certains secteurs d’activité il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée ou du caractère par nature temporaire de ces emplois ; la liste de ces secteurs et emplois est établie par règlement grand-ducal » .

Le règlement grand-ducal précité du 11 juillet 1989 portant application des dispositions des article 5, 8, 34 et 41 de ladite loi modifiée du 24 mai 1989 dispose en son article 2 que « les secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois sont les suivants :…- dans le secteur de la formation et de l’enseignement : les emplois de chargé de cours, de chargé de direction et les emplois socio-éducatifs, pour autant que les emplois à pourvoir ne peuvent pas être occupés par du personnel remplissant les conditions d’admission au stage ou de nomination requises à cet effet ».

Force est de constater que le règlement grand-ducal en question ne vise, en ce qui concerne le secteur d’activité de la formation et de l’enseignement, comme emplois pour lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclu les chargés de cours et les chargés de direction, mais non les chargés d’éducation.

Par avis du 15 juillet 2005, le tribunal a prononcé la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de se prononcer sur l' applicabilité et la portée du règlement grand-

ducal du 11 juillet 1989 portant application des dispositions des articles 5, 8, 34 et 41 de la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail et le cas échéant son incidence sur l'applicabilité de l'article 5 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, dans la mesure où l'article 2 du règlement grand-ducal précité ne vise expressément que les emplois de chargé de cours, de chargé de direction et les emplois socio-éducatifs, mais non les emplois de chargé d'éducation.

Si le demandeur n’a pas fait connaître sa position au tribunal, l’Etat, par un mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal en date du 23 septembre 2005. a fait plaider que si effectivement l’article 2 du règlement grand-ducal du 11 juillet 1989 ne vise expressément que les chargés de cours et les chargés de direction, cette lacune s’expliquerait par le fait que ledit règlement n’aurait pas fait l’objet d’un « toilettage » depuis son adoption, mais qu’il serait « évident » que les chargés d’éducation seraient « implicitement » couverts par le règlement grand-ducal du 11 juillet 1989.

L’Etat, pour le surplus, reprend son argumentation précédemment développée pour soutenir que les postes de chargés d’éducation rentreraient « par essence » dans la définition légale de l’article 5 de la loi modifiée du 24 mai 1989 précitée, et conclut à l’applicabilité de l’article sus-mentionné.

Le tribunal tient à ce sujet de prime abord à rappeler que, d’une manière générale, il n’appartient pas aux juridictions administratives d’interpréter une disposition légale au-

delà des termes y employés, étant entendu qu’il appartient au seul pouvoir législatif de modifier une disposition légale, étant donné qu’il s’agit là d’une décision exclusivement politique, échappant au champ de compétence des juridictions (Cour adm. 1er avril 2004, n° 17089C, non encore publié).

Par ailleurs, les dispositions du prédit règlement grand-ducal du 11 juillet 1989 constituent des présomptions retenues en application de l’article 5, paragraphe (2), sous 3° de la loi modifiée du 24 mai 1989 précitée. Or, conformément au principe selon lequel les exceptions, en ce compris les présomptions qui constituent par définition des exceptions, sont d’interprétation stricte, le juge doit les appliquer dans le sens d’une restriction de leur portée par opposition à une interprétation large voire extensive, consistant à aller dans le sens d’un élargissement de leur portée (voir en ce sens trib. adm.

4 février 2004, n° 16808, confirmé par arrêt du 23 septembre 2004, n° 17721C).

Force est dès lors de retenir que l’article 2 du prédit règlement grand-ducal du 11 juillet 1989 ne concerne que les emplois de chargé de cours, de chargé de direction et les emplois de socio-éducatifs, à l’exclusion de l’emploi de chargé d’éducation.

Cette conclusion est encore corroborée par la constatation que le législateur a pris soin de modifier d’autres textes, tel notamment l’article 17 de la loi du 5 juillet 1991 portant notamment dérogation à la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail, modifié par l’article 50 de la loi budgétaire du 20 décembre 1996, qui initialement ne s’appliquait qu’aux chargés de cours et aux chargés de direction, pour y ajouter le chargé d’éducation des lycées et lycées techniques.

Il s’ensuit que le prédit règlement grand-ducal, dont le demandeur soulève l’illégalité, n’est pas applicable au cas soumis au tribunal, en ce que celui-ci concerne la situation d’un chargé d’éducation de sorte que le moyen afférent du demandeur est à écarter pour manquer d’intérêt.

A l’audience publique du 15 juin 2005, le tribunal avait invité les parties à prendre position par rapport au caractère temporaire de l’emploi occupé par Monsieur …, compte tenu des dispositions légales citées ci-avant ainsi que des tâches concrètes confiées au demandeur.

Le demandeur a à cet effet fait préciser dans le cadre de son mémoire complémentaire être de formation professeur d’histoire et avoir toujours été engagé plein temps, ce qui correspondrait à « un cadre 24 heures semaines ».

Il expose encore enseigner l’allemand, l’histoire, les sciences naturelles et le français, ainsi que prester des heures de permanence, ses affectations précises variant au cours des trimestres et d’une année à l’autre, pour en conclure que la multitude des matières enseignées démontrerait à suffisance de droit qu’il ne serait pas le remplaçant d’un titulaire absent pour une cause précise, mais qu’il ferait partie de l’effectif régulier du Lycée….

Enfin, il soulève l’irrégularité des contrats conclus successivement pour défaut d’indication précise de l’objet du contrat à durée déterminé, moyen invoqué par référence à un arrêt de la Cour administrative du 7 juin 2005, n° 18687C du rôle.

L’Etat conteste pour sa part le fait que Monsieur … ait occupé dans le passé le poste de professeur d’histoire, mais admet en revanche que la réalité des tâches assumées par Monsieur … depuis 1999 ressortirait du planning hebdomadaire versé en cause par le demandeur. Il confirme à ce sujet que depuis 1999, le demandeur aurait en sa qualité de chargé d’éducation effectué des tâches d’enseignement en biologie, allemand, français, formation morale et sociale, cours à option, physique/chimie et connaissance du monde contemporain, histoire, allemand et luxembourgeois, sciences naturelles, initiation à la vie active et géographie ainsi que des tâches de surveillance.

Il estime en revanche qu’il ressortirait clairement des descriptifs des tâches confiées à Monsieur … que ses fonctions constitueraient des tâches précises et non durables et que « par essence » la qualité de chargé d’éducation suffirait à définir l’objet du contrat à durée déterminée.

Le tribunal tient à ce sujet à rappeler que si aux termes de l’article 5, paragraphe 1er, de la loi modifiée du 24 mai 1989 précitée un contrat à durée déterminée peut être conclu pour l’exécution d’une tâche précise et non durable, ladite exception est cependant soumise à une restriction en ce sens qu’un contrat à durée déterminée ne peut pas avoir pour objet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Si les parties sont d’accord en ce qui concerne la réalité des tâches confiées à Monsieur …, tâches caractérisées par un éclectisme et une inconstance frappante, en ce sens que le « planning » du demandeur est modifié au gré des mois, voire des semaines, elles sont en revanche en désaccord quant aux conclusions à en tirer, l’Etat estimant que l’énumération et le descriptif des tâches confiées à Monsieur … établirait à suffisance qu’il s’agirait de tâches précises et non durables, le demandeur concluant pour sa part au fait qu’il ferait partie compte tenu de la multitude des matières enseignées de « l’effectif régulier du Lycée … ».

L’Etat estime que les emplois de chargé de cours comme ceux de chargé de direction et les emplois socio-éducatifs énoncés au règlement grand-ducal du 11 juillet 1989 ne se concevraient « par essence » qu’à défaut de personnel qualifié et que « par essence » la qualité de chargé d’éducation justifierait le recours au contrat à durée déterminée, ainsi que de renvoyer à une note explicative du ministère de l’Education nationale concernant les besoins en personnel enseignant de l’enseignement postprimaire de 2004/2005 à 2008/2009.

Le tribunal ne saurait cependant suivre cette argumentation qui procède à cet égard par voie de pétition de principe, consistant à vouloir démontrer que la qualité de chargé d’éducation justifierait le recours au contrat à durée déterminée en admettant au départ que l’emploi de chargé d’éducation ne se concevrait que dans le cadre d’un contrat à durée déterminé. Par ailleurs, et contrairement à ce que fait plaider l’Etat, le recours à un contrat à durée déterminée n’est pas inhérent au statut de chargé d’éducation, le règlement grand-ducal du 27 juillet 1997 fixant les modalités d’engagement et les conditions de travail de deux cents chargés d’éducation à durée indéterminée des lycées et lycées techniques publics prévoyant expressément la possibilité d’engager des chargés d’éducation sous le régime d’un contrat à durée indéterminée.

Le tribunal en revanche constate que Monsieur … se trouve affecté, et ce depuis le 1er octobre 1997, à l’exécution de tâches aussi diverses que variées, allant de l’enseignement de langues à celui de cours de sciences, en passant par des tâches de surveillance, de sorte que si chaque tâche individuelle lui confiée ponctuellement peut être certes considérée comme modalité d’exécution de son emploi précise et non durable, en ce sens qu’elle vise une matière, une classe et un nombre d’heures déterminé, l’emploi revêtu par Monsieur … depuis le 1er octobre 1997 ne saurait en revanche, de manière générale et globale, être considéré comme « tâche précise et non durable » au sens de l’article 5 (1) de la loi modifiée du 24 mai 1989.

Bien au contraire, au vu de la diversité des différentes tâches confiées à Monsieur …, dont l’affectation varie, comme relevé ci-dessus, de mois en mois, voire de semaine en semaine, force est de retenir que l’emploi du demandeur est pèche par son imprécision, imprécision qui se retrouve par ailleurs dans le libellé de l’objet des contrats d’emploi successifs du demandeur, où l’objet n’est indiqué, de manière pour le moins générale et imprécise, que par référence au texte de l’article 58 de la loi modifiée du 10 mai 1968 portant notamment réforme de l’enseignement : « la tâche hebdomadaire du salarié est fixée à 24 leçons. Cette tâche pourra également consister en activités administratives, en activités sociales et périscolaires, en activités de surveillance et de remplacement ».

Force est encore de constater que ce même objet imprécis se retrouve dans chaque contrat conclu d’année en année par Monsieur ….

Il se dégage dès lors de la situation de fait de Monsieur … que celui-ci est employé, depuis le 1er octobre 1997, en tant que remplaçant non pas d’une personne déterminée - situation prévue par l’article 5, paragraphe (2), sous 1° de la loi modifiée du 24 mai 1989 précitée - mais en tant que supplétif employé à plein temps chargé, en fonction des besoins du service, et manifestement au gré des absences des professeurs, d’assurer leurs cours en leur lieu et place, sans qu’il ne se dégage du dossier versé en cause, ni des éléments soumis par l’Etat au tribunal, pourquoi une telle fonction, reconduite régulièrement d’année en année et dès lors constituant un emploi durable, justifie la conclusion d’un contrat à durée déterminée.

Il s’ensuit qu’à défaut de l’Etat de rapporter concrètement la preuve que la relation de travail avec Monsieur … s’inscrit dans le cadre restrictif tracé par l’article 5, paragraphe 1er, de la loi modifiée du 24 mai 1989 précitée, il y a lieu de retenir, par réformation, que le demandeur a bénéficié depuis le 1er octobre 1997 d’une relation de travail à durée indéterminée Il y a encore lieu de relever que l'article 6 de la loi modifiée du 24 mai 1989 précitée précise quelles mentions, outre la définition de son objet et sans préjudice des dispositions de l'article 4 qui fixe le contenu général obligatoire du contrat de travail, doit contenir le contrat à durée déterminée, ce dont il résulte que ce genre de contrat doit également contenir la « définition de son objet » soit la mention d'une situation qui, au vu de l'article 5 peut donner ouverture à une contrat à durée déterminée, étant entendu que, vu le libellé du texte, l'énumération des situations à considérer est énonciative.

Or, comme relevé ci-avant, il résulte de l'examen des pièces versées en cause qu'aucun des contrats de louage de service qui concernent sans discontinuation la période allant du 1er octobre 1997 au 14 septembre 2005, donc au-delà de la date du recours en justice, ne définit l'objet du contrat de travail, au titre de l'admissibilité de son caractère à durée déterminée, par l'indication vérifiable de l'existence d'une des causes d'ouverture telle que définies à l'article 5 de la loi modifiée du 24 mai 1989 sur le contrat de travail ni d'une autre cause justifiant le recours à des contrats à durée déterminée, comme l'exige l'article 6 de la loi.

L'indication de l'objet du contrat étant cependant de l'essence du contrat à durée déterminée, il y a lieu de retenir qu'en l'absence d'une définition de l'objet du contrat, celui-ci doit être considéré comme étant conclu pour une durée indéterminée (Cour adm.

7 juin 2005, n° 18687C, non encore publié), sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens avancés par Monsieur ….

Il n’y a dès lors pas non plus lieu de donner suite à la demande de saisine de la Cour constitutionnelle, le tribunal étant, au vu de l’issue du litige, dispensé de saisir la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle.

L’Etat sollicite encore l’allocation une indemnité de procédure de l’ordre de 1.000,- € sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui est cependant à rejeter au vu de l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant, par réformation, dit qu’il y a entre le demandeur et l’Etat une relation de travail à durée indéterminée avec effet remontant au 1er octobre 1997 et réforme en ce sens la décision du ministre de l’Education Nationale et de la Formation professionnelle du 10 décembre 2004 ;

renvoie le dossier devant le ministre pour y être tenu compte de la présente décision suivant qu’il appartiendra ;

écarte la demande de l’Etat en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne l’Etat aux frais de justice ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 octobre 2005 par :

M. Ravarani, président Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, s. Schmit s. Ravarani 13


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19157
Date de la décision : 12/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-12;19157 ?

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