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10/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19907

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 octobre 2005, 19907


Tribunal administratif N° 19907 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2005 Audience publique du 10 octobre 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19907 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2005 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Bosnie-Herzégovine), et de son enfant mine...

Tribunal administratif N° 19907 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2005 Audience publique du 10 octobre 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19907 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2005 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Bosnie-Herzégovine), et de son enfant mineure … , née le … (Bosnie-Herzégovine), les deux de nationalité bosniaque, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 mars 2005, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre datant du 2 mai 2005, suite à un recours gracieux du 26 avril 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 septembre 2005;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Olivier LANG pour Madame … au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 3 octobre 2005, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 5 octobre 2004, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, elle fut entendue par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Elle fut entendue le 19 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 22 mars 2005, expédiée par courrier recommandé le 4 avril 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’elle n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 26 avril 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre prit une décision confirmative le 2 mai 2005.

Le 6 juin 2005, Madame … a fait introduire un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

La demanderesse fait exposer qu’elle serait originaire de la Bosnie-Herzégovine et plus particulièrement du village Bocinje, commune de Zavidovici, qu’elle aurait quitté son pays une première fois en 1993 jusqu’en 1997 pour trouver refuge au Grand-Duché de Luxembourg, qu’elle serait volontairement retournée dans son pays, mais qu’il ne lui aurait pas été possible de retourner dans son village, ravagé par la guerre, de sorte qu’elle se serait installée ensemble avec sa famille à Teslice ; qu’après la signature des accords de Dayton, dans la mesure où le retour des réfugiés aurait été encouragé par les autorités de son pays, elle se serait installée à nouveau dans son village d’origine à partir de l’année 2000 ; que néanmoins, pendant l’absence des habitants originaires de Bocinje, des intégristes moudjahiddins s’y seraient installés et auraient spolié les maisons de certains habitants ; qu’elle aurait essayé de vivre parmi cette « nouvelle population », mais à partir du moment où elle aurait accouché d’un enfant « dont le père aurait disparu », cette situation serait devenue invivable. Elle soutient que le statut de mère célibataire n’aurait pas été toléré par les moudjahiddins qui sembleraient désormais contrôler le village ; que ces derniers auraient essayé de lui imposer leur mode de vie ainsi que leur religion. En effet, les intégristes musulmans auraient propagé la terreur dans son village, « menaçant toute personne qui ne répondrait pas à leur exigences fondamentalistes ». Elle fait valoir plus particulièrement qu’en 2002, lorsqu’elle serait retournée de la plage avec son amie, qui portait uniquement un maillot de bain, elles auraient été agressées par des moudjahiddins qui les auraient menacées de mort, en précisant que si elles ne changeaient pas leurs tenues vestimentaires, elles seraient égorgées. A la suite de cet événement, son amie aurait porté plainte, mais cette plainte n’aurait été suivie d’aucun effet, étant donné que les autorités locales auraient considéré « qu’effectivement, elle n’avait pas à porter de maillot de bains », de sorte que les autorités en place ne lui offraient pas une protection contre les menaces de mort proférées à son encontre. Ce climat de terreur imposé par les moudjahiddins aurait poussé la demanderesse à fuir à nouveau son pays en octobre 2004.

Sa demande d’asile fut rejetée par une décision ministérielle du 3 décembre 2004, confirmée sur recours gracieux par une décision du 13 janvier 2005, comme étant manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996.

Ces décisions furent annulées par un jugement du tribunal administratif du 9 mars 2005, suite à un recours en annulation introduit le 11 février 2005.

A la suite de cette annulation, le ministre prit une nouvelle décision datée du 22 mars 2005, confirmée sur recours gracieux le 2 mai 2005, déclarant la demande en obtention du statut de réfugié politique non fondée au sens de l’article 11 de la loi précitée du 3 avril 1996, décisions qui font l’objet du présent recours.

En droit, la demanderesse, après un exposé général sur les problèmes ethniques dans les Balkans, affirme qu’elle aurait fait l’objet en Bosnie-Herzégovine de persécutions et de menaces de la part de fondamentalistes musulmans et qu’elle aurait souffert d’un sentiment général d’insécurité et n’aurait pas trouvé de protection auprès des autorités de son pays. S’il était par ailleurs bien vrai que des difficultés économiques auraient également été sous-jacente à sa demande, néanmoins cette situation « ne peut en aucun cas s’opposer à la reconnaissance du statut dans le chef de la requérante, alors qu’elle ne fait bien évidemment pas disparaître les craintes fondées de persécutions que ressent Madame …, justifiant à elles seules la reconnaissance du statut ».

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte que celle-ci serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il résulte en effet des déclarations de la demanderesse, telles qu’actées au procès-verbal d’audition du 19 octobre 2004, que si elle affirme avoir fait l’objet de menaces de la part de fondamentalistes musulmans – les « moudjahidins » - installés dans son village d’origine, elle reste cependant fort vague quant aux circonstances de ces menaces et ne relate qu’un seul incident précis vécu personnellement qui se serait déroulé en 2002. Il y a à ce sujet lieu de relever que toutes les explications données par la demanderesse restent fort vagues et semblent davantage concerner la population locale globalement considérée plutôt que sa personne spécifiquement :

« chez nous les jeunes filles s’habillent avec des pantalons courts, avec des T-shirts. Or eux ils veulent qu’on se couvre comme leurs femmes, les moudjahiddins ». Elle relève que « nous sommes constamment menacés, ils exigent de nous qu’on change de religion » mais que les autres membres de sa famille n’auraient « pas vraiment » été menacés par les moudjahiddins, mais « qu’il y a beaucoup d’autres qui sont menacés. Par exemple ma copine, mon oncle maternel …. » Il appert que hormis les menaces proférées à l’occasion de l’incident qui se serait déroulé en 2002, la demanderesse ne fait état d’aucun incident sérieux qui se serait produit depuis son retour dans son village d’origine.

Il s’avère dès lors que les craintes exprimées se basent uniquement sur la situation d’insécurité locale, la demanderesse, à l’instar de toute la population, se sentant menacée par les islamistes installés dans leur village, ce qui ressort clairement de l’extrait du journal versé par la demanderesse, ainsi que sur la situation générale en Bosnie-Herzégovine et non sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérée individuellement et concrètement, la demanderesse risque de subir des persécutions.

Force est encore de retenir que les menaces de la part des moudjahiddins n’ont été suivies d’effets concrets et, dans la mesure où la demanderesse vit dans une région à prédominance slave et orthodoxe, les musulmans y constituant la minorité, elle éprouve tout au plus un sentiment général d’insécurité à l’encontre d’un groupe de la population, pour le surplus minoritaire, mais en tout état de cause elle ne saurait soutenir qu’elle ferait l’objet de persécutions de fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ainsi que l’exige l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 octobre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19907
Date de la décision : 10/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-10;19907 ?

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