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10/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19778

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 octobre 2005, 19778


Tribunal administratif N° 19778 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2005 Audience publique du 10 octobre 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19778 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Turquie), de nationalité serbo-monténégrine...

Tribunal administratif N° 19778 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2005 Audience publique du 10 octobre 2005 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19778 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Turquie), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-… , tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 février 2005 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 5 avril 2005, suite à un recours gracieux du 29 mars 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21juin 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 3 octobre 2005, Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER s’étant rallié aux écrits de la partie publique, Maître Nicky STOFFEL n’ayant été pour sa part ni présente ni représentée.

Le 20 décembre 2004, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue le 14 février 2005 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 28 février 2005, expédiée par courrier recommandé le 2 mars 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Madame … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’elle n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 29 mars 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision de refus confirmative de sa décision initiale le 4 avril 2005.

Le 6 mai 2005, Madame … a fait introduire un recours principalement en réformation et subsidiairement en annulation des décisions ministérielles précitées.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation au motif que seul un recours au fond est prévu par la loi en la matière.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, la demanderesse expose en termes généraux la situation dans la région de Novi Pazar, région que de nombreux serbes quitteraient, de sorte que cette région serait à nouveau exposée à un risque de crise.

La demanderesse affirme encore avoir été victime d’un viol commis par un Serbe, et que « aucune autorité, ni police, ni tribunal, n’est intervenue pour que la requérante puisse déposer une plainte et réclamer des dommages et intérêts ».

Enfin, elle affirme avoir précisé avoir subi quotidiennement des insultes « à côté de cette très grave atteinte à l’intégrité physique », pour en déduire de façon péremptoire qu’elle « estime en conséquence qu’il y a lieu de réformer les décisions entreprises, et de lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ».

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte que celle-ci serait à débouter de son recours.

Il convient de prime abord de rappeler que le tribunal est saisi d’un recours contentieux portant contre un acte déterminé, de sorte que l’examen auquel il doit se livrer ne peut s’effectuer que dans le cadre des moyens invoqués par la partie demanderesse pour contrer les motifs de refus spécifiques à l’acte déféré, mais que son rôle ne consiste en revanche pas à procéder indépendamment des motifs de refus ministériels à un réexamen général et global de la situation de la partie demanderesse. Il ne suffit dès lors pas de contester la conclusion d’une décision administrative donnée, en renvoyant en substance le juge administratif au contenu du dossier administratif, mais il appartient à la partie demanderesse d’établir que la décision critiquée est non fondée ou illégale pour l’un des motifs énumérés à l’article 2, alinéa 1er de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, tant en ce qui concerne sa conclusion que sa motivation.

Il convient plus particulièrement de souligner qu’en l’absence de l’invocation de moyens susceptibles d’entraîner l’annulation ou la réformation de la décision en question, il n’appartient pas au tribunal administratif de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base des conclusions de la demanderesse.

En l’espèce, il ressort du dossier administratif soumis au tribunal, et en particulier du rapport documentant l’audition de Madame … en date du 14 février 2005, que la demanderesse, qui habitait à Novi Pazar, est de confession musulmane, et qu’elle estime avoir été de ce fait persécutée par les Serbes.

L’ « argument » contenu dans la requête introductive d’instance et basé sur le départ des Serbes de cette région au profit des Bosniaques est dès lors incompréhensible, le tribunal ne décelant pas de relation de cause à effet entre le départ des Serbes – accusés de persécuter la demanderesse – et la demande en obtention du statut de réfugié de la demanderesse. Le mandataire de la demanderesse, bien que dûment convoqué, ne s'étant pas présenté à l'audience à laquelle l'affaire fut fixée pour plaidoiries, la carence ainsi constatée au niveau de la requête introductive d'instance n'a pas non plus pu être utilement comblée par des explications supplémentaires orales, de sorte que ce moyen est purement et simplement à écarter.

En ce qui concerne les autres moyens sommairement esquissés dans la requête introductive d’instance, à savoir le fait que la demanderesse ait été violée par un Serbe qui serait resté, du fait de l’inaction des autorités, impuni, et l’affirmation selon laquelle la demanderesse aurait été quotidiennement injuriée par les Serbes, il y a lieu de constater que le viol subi par la demanderesse remonte à l’an 2000, et que la demanderesse a pu après cette agression se réfugier pendant deux années en Turquie, de sorte qu’elle ne saurait actuellement se prévaloir de cette agression pour justifier sa demande en obtention du statut de réfugié.

Force est par ailleurs encore de constater que contrairement à ce qui est allégué dans la requête introductive d’instance, la demanderesse n’a pas porté plainte contre le Serbe en question, étant donné qu’elle craignait que les membres de sa famille ne s’en prennent au violeur. Elle ne saurait dès lors reprocher aux autorités de ne pas poursuivre un délit qu’elle n’a elle-même pas voulu porter à leur connaissance.

Enfin, en ce qui concerne les insultes subies quotidiennement, s’il résulte du rapport d’audition de la demanderesse que le voisinage serbe l’importunait (« (…) ils ne me laissaient pas tranquille. Ils me faisaient des remarques. »), il ne résulte cependant pas des déclarations de la demanderesse qu’elle était exposée à un danger sérieux pour sa personne, de sorte qu’il s’avère à l’examen des déclarations faites par la demanderesse que sa fuite vers le Luxembourg a été motivée par un sentiment général d’insécurité, formulé d’ailleurs dans le cadre du recours en termes extrêmement vagues et généraux, mais non par des actes concrets laissant supposer un danger sérieux pour sa personne.

Or l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner », de sorte que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 octobre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19778
Date de la décision : 10/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-10;19778 ?

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