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10/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19455

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 octobre 2005, 19455


Tribunal administratif N° 19455 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2005 Audience publique du 10 octobre 2005 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19455 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2005 par Maître Jean-Jacques SCHONCKERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité tchèque, ayant élu domicile pou...

Tribunal administratif N° 19455 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2005 Audience publique du 10 octobre 2005 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19455 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2005 par Maître Jean-Jacques SCHONCKERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité tchèque, ayant élu domicile pour les besoins de la procédure en l’étude de Maître Jean-Jacques SCHONCKERT, demeurant à L-2016 Luxembourg, 15, rue Philippe II, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 22 février 2005 lui refusant l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et lui enjoignant de quitter le pays dans un délai de 15 jours après notification de ladite décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2005;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Jean-Jacques SCHONCKERT et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 19 septembre et 3 octobre 2005.

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Par décision du 22 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », refusa à Madame …, de nationalité tchèque, l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et lui enjoigna de quitter le pays dans un délai de quinze jours après notification de cette décision sur base des considérations et motifs suivants :

« Vu l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le rapport no 65134/05 du 15 février 2005 établi par la police grand-ducale, SREC, section Mœurs ;

Attendu que l’intéressée s’adonne à une activité rémunérée sans être en possession d’un permis de travail et d’une autorisation de séjour ; ».

Par requête déposée le 7 mars 2005, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 22 février 2005.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation en faisant valoir qu’un tel recours ne serait pas prévu par la loi.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers, 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le tribunal n’est pas compétent pour connaître d’un recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Le recours en annulation, par ailleurs introduit à titre principal, est recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse conclut à l’annulation de l’arrêté ministériel litigieux en raison de l’incompétence ratione materiae de l’autorité ayant pris la décision litigieuse, ceci eu égard au fait que d’après l’article 11 de la loi précitée du 28 mars 1972, le ministre de la Justice aurait seul compétence pour prendre une décision de refus d’entrée et de séjour des étrangers au Grand-Duché de Luxembourg à l’exclusion du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration.

C’est à bon droit que le délégué du Gouvernement conclut au rejet dudit moyen, étant donné que l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des Ministères, publié au Mémorial A n° 147 en date du 11 août 2004, pris en exécution de l’article 76 de la Constitution et de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du gouvernement grand-ducal, attribue compétence au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’entrée et de séjour des étrangers.

En effet, l’article 76 de la Constitution autorise le Grand-Duc à régler l’organisation de son Gouvernement. Il résulte de ce texte que le Grand-Duc peut librement créer les ministères et faire la répartition des départements ou des affaires ministérielles entre les ministres (voir Pierre MAJERUS, L’Etat luxembourgeois, éd.

1983, page 162). En matière d’organisation du gouvernement cette disposition constitutionnelle confère au Grand-Duc un pouvoir réglementaire direct et autonome en disposant que le Grand-Duc règle l’organisation de son gouvernement. Ce pouvoir est donc indépendant de la cause d’ouverture fondamentale des règlements qui est l’exécution des lois. L’octroi de ce pouvoir autonome par la Constitution procède de l’idée de la séparation des pouvoirs : l’organe gouvernemental doit être indépendant à l’égard du Parlement; pour cette raison, il doit pouvoir déterminer en pleine indépendance son organisation intérieure. Dans le domaine circonscrit par la notion de l’ « organisation du Gouvernement », le Grand-Duc exerce un pouvoir discrétionnaire et originaire; les règlements fondés sur l’article 76 de la Constitution sont donc, dans leurs domaines, des actes équipollents aux lois (voir Pierre PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1978, n° 95, page 152).

Il s’ensuit que le prédit arrêté du 7 août 2004, ayant force de loi, a modifié la législation en matière d’« entrée et de séjour des étrangers » en ce sens que la compétence ministérielle revient au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, de sorte que le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité à la base de l’arrêté de refus d’entrée et de séjour est à rejeter (cf. trib. adm. 25 août 2004, n° 18582 du rôle).

A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir pour le surplus qu’elle ne remplirait aucun des critères de refus prévus par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, pour se voir refuser l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg.

Elle estime par voie de conséquence que cette disposition légale ne saurait être utilement retenue pour fonder la décision litigieuse.

Quant au motif de refus basé sur la considération qu’elle s’adonnerait à une activité rémunérée, elle estime encore qu’il manquerait de base légale, étant donné que la loi modifiée du 28 mars 1972 ne prévoirait pas d’interdiction pour les étrangers de s’adonner à une activité rémunérée. Concernant plus particulièrement l’exigence inscrite à l’article 26 de la même loi de 1972 pour les travailleurs étrangers d’être munis d’un permis de travail pour être occupé sur le territoire du Grand-Duché, la demanderesse fait valoir que cet article ne lui serait pas applicable, étant donné qu’elle n’aurait jamais travaillé pour le compte d’autrui et qu’elle serait indépendante.

Elle insiste en outre sur le fait qu’à défaut d’accès au rapport de police sur lequel se base le ministre, il lui serait difficile de se défendre contre des arguments qu’elle ignore et que face à ce manque de transparence, il lui serait également difficile de développer sa défense et de savoir quels sont les arguments qui font que la police des mœurs arrive à la conclusion qu’elle aurait besoin d’un permis de travail.

Elle relève de son côté que contrairement à ce qui a été retenu par le ministre, le contrat de prestations de service dont elle bénéficiait rendrait compte que :

- le contrat est conclu pour une durée de 15 jours - l’artiste fournit un spectacle de danse à caractère chorégraphique - les parties déclarent et reconnaissent qu’il n’existe entre elles aucun lien de subordination et que la loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail ne trouve pas à s’appliquer - l’artiste fournira ses propres costumes accessoires de scène ainsi que les enregistrements sonores nécessaires à l’exécution de son spectacle - les parties ne sont liées par aucune exclusivité donnant ainsi à chacun la facilité notamment à l’artiste de se produire simultanément dans d’autres établissement sous réserve bien entendu de remplir les conditions contractuelles - les deux parties ont la possibilité de résilier unilatéralement le contrat.

La demanderesse en déduit que tous les indices iraient dans le sens d’un contrat d’entreprise, étant entendu qu’elle serait payée à la tâche, soit par passage journalier sur scène avec un minimum garanti de trois passages, qu’elle serait payée pour ses passages et non pas en fonction de son temps de travail passé dans l’établissement et qu’elle serait libre d’organiser son spectacle.

En guise de conclusion la demanderesse expose ainsi que le travail par elle effectué rentrerait dans le cadre des prestations de service dont le libre exercice serait garanti par les traités européens. Elle souligne finalement que le ministre n’a ni allégué ni établi qu’au moment de son passage à la frontière elle n’aurait pas présenté de carte d’identité ou un passeport en cours de validité, tout en relevant par ailleurs que la durée de son séjour aurait été inférieure à trois mois.

Le délégué du Gouvernement relève qu’il ressort d’un rapport de la police grand-

ducal, section mœurs, daté du 15 février 2005 et référencé sous le numéro 65134/05 que la demanderesse était interpellée à cette même date par des agents de police, alors qu’elle était occupée dans un cabaret. Il signale que c’est sur base de ce rapport que l’arrêté ministériel a été pris au motif que l’intéressée s’était adonnée à une activité rémunérée sans être en possession d’un permis de travail et d’une autorisation de séjour.

Il rétorque ensuite que s’il est vrai que la demanderesse est ressortissante d’un pays de l’Union européenne, en l’occurrence la République Tchèque, il n’en demeure pas moins que durant la phase transitoire décidée pour les nouveaux Etats membres, elle aurait dû disposer d’un permis de travail pour s’adonner à une activité salariée, mais que ce permis de travail ferait défaut en l’espèce.

Dans la mesure où l’activité à laquelle se serait livrée la demanderesse serait non pas une activité d’indépendant mais bien, de par son lien de subordination au cocontractant, une activité relevant du statut de salarié, ce serait partant à juste titre que le ministre a exigé que Madame … soit en possession d’un permis de travail.

Il relève encore dans ce contexte que des dispositions similaires à celles du contrat de travail invoquées par la demanderesse avaient conduit la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, dans un jugement rendu en date du 19 février 2004, à retenir l’existence d’un contrat de louage de services au sens de l’article 1779 (1) du code civil et non pas, tel que soutenu en l’espèce, d’un contrat d’entreprise.

Concernant toujours le contrat intitulé « pour artiste indépendant », le représentant étatique fait valoir que tant les agents de police que l’autorité administrative compétente en matière d’entrée et de séjour des étrangers se seraient non seulement donnés la peine de lire le contrat, mais en auraient également tiré les conclusions qui s’imposent en ce sens qu’il ne suffirait point de qualifier un contrat de contrat d’entreprise et de l’exclure du champ d’application de la loi modifiée du 24 mai 1989 pour le soustraire au régime applicable à un contrat de travail, respectivement un contrat de louage de services au sens de l’article 1779 du code civil.

Le jugement invoqué rendu par la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg en date du 19 février 2004, versé au dossier par la partie demanderesse, énonçant, entre autres, à sa page 6 que « les artistes de cabaret sont en principe des employés conformément à l’article 3-g) de la loi coordonnée du 5 décembre 1989 comprenant les lois portant règlement légal du louage de services des employés privés », le tribunal avait prononcé la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de prendre position sur l’applicabilité en cause des dispositions dudit article, ainsi que sur les conséquences éventuelles en l’espèce compte tenu notamment de la présomption établie par les dispositions de l’alinéa 2 de la même disposition légale.

Les parties n’ayant pas autrement pris position par rapport à cette question, l’affaire fut reprise en délibéré.

La décision litigieuse reposant notamment sur le motif de refus amplement confirmé à travers le mémoire écrit de la partie publique, basé sur la nécessité alléguée pour la demanderesse de disposer d’un permis de travail pour exercer légalement ses activités d’artiste évoquées dans le rapport de la police grand-ducale, section mœurs, du 15 février 2005, il y a lieu, face aux contestations énergiques afférentes de la demanderesse qui se prévaut de son statut d’artiste indépendant se dégageant à son sens des dispositions de son contrat de travail, d’examiner d’abord les dispositions légales susceptibles d’éclaircir cette question.

Conformément aux dispositions de l’article 3 du texte coordonné du 5 décembre 1989 comprenant les lois portant règlement légal de louage de services des employés privés « sont à considérer comme employés privés pour l’application de la présente et de ses règlements d’exécution, toutes les personnes qui, sans distinction de sexe ou d’âge, exécutent sur la base d’un engagement durable ou d’une façon continue pour le compte d’autrui et contre rémunération soit en numéraire, soit en d’autres prestations ou valeurs, en tout ou en partie, un travail d’une nature, sinon exclusivement, du moins principalement intellectuelle (…). » Afin de déterminer ce qu’il y a lieu d’entendre par employé privé ledit article 3 énonce ainsi clairement dans son alinéa 1er une série de critères appelant chacun une vérification au cas par cas, dont notamment celui de l’exécution sur base d’un engagement durable ou d’une façon continue pour le compte d’autrui d’un certain travail.

Force est cependant de constater qu’au-delà de cette définition générale, le législateur, à travers l’alinéa 2 du même article 3, a également opté pour une simplification de mécanisme de vérification concernant toute une série de personnes y expressément visées, dans le sens que toute personne exerçant sous quelque dénomination que ce soit, une occupation de la nature de celles déterminées sub a) à i) dudit article, est à considérer comme employé privé au sens de la loi par application de la définition générale de l’alinéa 1er de la même disposition légale.

En disposant dans son alinéa 2 que « par application de la définition générale qui précède, sont à considérer notamment comme employé privé au sens de la loi (…) », ledit article 3 a en effet clairement entendu couper court, par rapport aux personnes énumérées, à toute discussion, souvent fastidieuse, en rapport avec le respect des différents critères énoncés en son alinéa 1er.

Encore qu’il se dégage clairement des travaux parlementaires ayant précédé l’adoption du texte légal en question que l’option retenue n’a pas connu un accueil unanimement favorable en ce sens que l’avis a été exprimé qu’il serait plus préférable de maintenir la définition de la notion d’employé privé en termes généraux, au lieu de le remplacer par l’énumération de différentes catégories d’employés, étant donné que pareille énumération risquerait toujours d’être incomplète et de donner lieu à controverse, il n’en demeure pas moins que c’est en définitive cette option consistant dans l’énumération de certaines professions dont l’exercice confère à l’intéressée la qualité d’employé sans qu’il y ait lieu d’examiner si la nature du travail exécutée répond aux critères généraux qui a finalement été retenue.

Ainsi, conformément aux dispositions sub g) de l’article 3 alinéa 2 prévisé, toute personne qui se livre, sous quelque dénomination que ce soit, a « l’exercice d’arts libéraux, sans égard à la valeur artistique des productions, - chanteurs, musiciens, personnel artistique des théâtres et des stations d’émission de radio télévision - » est à considérer comme employé privé.

L’activité litigieuse en l’état actuel des précisions apportées en cause, s’analysant clairement en l’exercice d’un art libéral sous forme notamment de danse, il y a dès lors lieu de retenir, par application du texte légal prérelaté, que la demanderesse revêt de par la nature de son occupation la qualité d’employée privée, excluant par essence un statut d’indépendant pour la même activité.

Dans ces conditions le ministre a partant valablement pu conclure à la nécessité pour la demanderesse de disposer d’un permis de travail pour l’exercice de son activité, sous peine de ne pas rapporter la preuve de moyens personnels suffisants légalement acquis, les revenus touchés par l’exercice d’une activité soumise à l’exigence d’un permis de travail au mépris de cette exigence conférant en effet un caractère essentiellement précaire aux revenus en question, justifiant leur non prise en considération par le ministre dans le cadre de l’application des dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 octobre 2005 par:

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19455
Date de la décision : 10/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-10;19455 ?

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