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10/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19039

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 octobre 2005, 19039


Tribunal administratif Ns° 19039 et 19664 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits respectivement les 17 décembre 2004 et 15 avril 2005 Audience publique du 10 octobre 2005 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …-…, … contre un bulletin d’impôt émis par le bureau d'imposition Luxembourg Y en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

I.) Vu la requête inscrite sous le numéro 19039 du rôle et déposée le 17 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître

Marc KLEYR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif Ns° 19039 et 19664 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits respectivement les 17 décembre 2004 et 15 avril 2005 Audience publique du 10 octobre 2005 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …-…, … contre un bulletin d’impôt émis par le bureau d'imposition Luxembourg Y en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

I.) Vu la requête inscrite sous le numéro 19039 du rôle et déposée le 17 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc KLEYR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, et de son épouse, Madame …-…, … , demeurant ensemble à D-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2002 émis le 29 janvier 2004 par le bureau d’imposition Luxembourg Y, section des personnes physiques ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 avril 2005 par Maître Marc KLEYR au nom des époux … ;

II.) Vu la requête inscrite sous le numéro 19664 du rôle et déposée le 15 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc KLEYR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, et son de épouse, Madame …-…, …, demeurant ensemble à D-…, tendant à la réformation d’un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2002 émis le 29 janvier 2004 par le bureau d’imposition Luxembourg Y, section des personnes physiques ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 septembre 2005 par Maître Marc KLEYR au nom des époux … ;

I. + II. Vu les pièces versées au dossier et notamment les bulletins critiqués ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Michel SCHWARZ, en remplacement de Maître Marc KLEYR, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-

Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 septembre 2005.

Monsieur … et son épouse, Madame …-…, dénommés ci-après « les époux … », sont résidents allemands et exercent tous les deux une activité salariale au Grand-Duché de Luxembourg.

Dans la mesure où les époux … ont réalisé, pour l’année 2002, plus de 90% de leurs revenus au Grand-Duché de Luxembourg, ils ont sollicité leur imposition collective au Luxembourg au sens des dispositions de l’article 157ter de la loi modifiée du 4 décembre 1967 relative à l’impôt sur le revenu, dénommée ci-après « LIR », afin que leur situation personnelle et familiale soit prise en compte au même titre que pour les résidents luxembourgeois.

Dans leur déclaration fiscale concernant l’impôt sur le revenu de l’année 2002, les époux … ont fait état d’un revenu locatif négatif d’un montant de 26.080.- EUR relatif à deux immeubles dont ils sont propriétaires en Allemagne et ils sollicitent au point 62 de leur déclaration la prise en compte de cette « perte locative » par le bureau d’imposition Luxembourg Y pour la détermination du taux d’imposition applicable aux revenus luxembourgeois par application du « système du taux effectif ou de la réserve de progressivité ». Cette perte locative a été dûment reprise dans un bulletin d’imposition dressé par le Finanzamt Trier le 20 juillet 2003 et intitulé « Bescheid 2002 über Einkommensteuer und Solidaritätszuschlag ». Suivant ce bulletin d’imposition, les époux … n’ont pas d’autres revenus imposables en Allemagne.

Le bureau d'imposition Luxembourg Y émit le 29 janvier 2004, à l’attention de chacun des époux …, un bulletin d’impôt sur le revenu au titre de l’année d’imposition 2002 confirmant que conformément à leur demande, l’imposition a été effectuée suivant les dispositions de l’article 157ter LIR, mais que l’imposition différa de ce que « Laut Doppelbesteuerungsabkommen sind Mieteinkünfte in Deutschland zu versteuern. Die negativen Mieteinkünfte können also nicht geltend gemacht werden ».

Par lettre du 23 février 2004, les époux … introduisirent une réclamation à l’encontre de ces bulletins de l’impôt sur le revenu du 29 janvier 2004.

Suivant lettre du 25 février 2004, l’inspecteur principal M.L., responsable du bureau d’imposition Luxembourg Y, justifia la position de son bureau d’imposition dans les termes suivants :

« Sie haben Einspruch gegen Ihren Bescheid 2002 eingelegt. (…). Eine Veranlagung unter den Bedingungen des Artikels 157ter (absetzen der Sonderausgaben) sieht vor, dass die ausländischen „revenus professionnels“ zur Besteuerung hinzugezogen werden. Ausländische Mieteinkünfte gehören nicht zu diesen Tätigkeitseinkünften.

Anhand ihres Schreibens ist herauszulesen, dass Sie diesen Einspruch aufrecht erhalten wollen.

Ich leite Ihren Einspruch an die Steuerdirektion weiter ».

A défaut de réaction leur parvenue de la part du directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le directeur », les époux … firent successivement introduire le 17 décembre 2004, respectivement le 15 avril 2005, deux recours inscrits sous les numéros 19039 et 19664 du rôle, tendant à la réformation sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu émis le 29 janvier 2004 par le bureau d’imposition Luxembourg Y.

Quant à la jonction Les deux recours déférés au tribunal sont de l’aveu même des demandeurs « identiques » dans la mesure où ils ont pour objet les mêmes bulletins d’impôt, émis par le même bureau d’imposition à l’égard des mêmes contribuables, se basant tous sur le même problème juridique et contenant des faits et des moyens en droit identiques, de sorte que les recours, ayant un fondement commun, sont à joindre afin d’y statuer par un seul jugement.

Quant à la compétence Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en l’absence d’une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre ce même bulletin. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est dès lors irrecevable.

Quant à la recevabilité du recours portant le n° 19039 du rôle Le délégué du Gouvernement soulève l’irrecevabilité de la requête introductive d’instance portant le n° 19039 du rôle pour défaut d’intérêt à agir de Madame …-…, dans la mesure où le bulletin d’impôt annexé au recours est destiné et adressé uniquement à Monsieur …, de sorte qu’il ne serait donc pas susceptible d’avoir un effet juridique « pour ou contre la dame … ».

Force est de constater que suite au dépôt du mémoire en réponse du délégué du Gouvernement, les demandeurs ont fait déposer le bulletin d’impôt également litigieux adressé à Madame …-…. Il y a encore lieu de relever que les époux … ont introduit collectivement une réclamation contre les mêmes bulletins auprès du directeur et que le recours contentieux a été introduit en leurs noms. Il est dès lors constant qu’il y a une manifestation expresse de volonté de Madame …-…, qui est soumise à l’imposition collective avec son époux au Luxembourg, de participer au présent recours. A ce sujet, il est irrelevant qu’au moment de l’introduction du recours, le bulletin lui notifié n’a pas été déposé, mais seulement en cours de procédure, dans la mesure où aucune lésion des droits de défense d’une des parties n’en découle.

En effet, au titre de l’article 2 de loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, « la décision critiquée doit figurer en copie parmi les pièces versées, si le demandeur en dispose ; si tel n’est pas le cas, elle est à verser en cours de procédure par celui qui en est le détenteur ». Force est de constater que l’article 2 ne contient pas de sanction expresse au cas où la décision litigieuse n’est pas annexée à la requête introductive d’instance. Ainsi, du moment que la décision critiquée a été versée au cours de la procédure contentieuse et qu’elle a pu être librement discutée à l’audience, de sorte qu’il n’y a eu aucune lésion des droits de la défense, la décision, d’une part, n’est pas à écarter des débats, et, d’autre part, ne saurait entraîner une quelconque irrecevabilité de la requête pour faute d’intérêt à agir (cf. trib.adm. 17 novembre 2003, Pas.adm. 2004, V° Procédure contentieuse, n° 331, p.622).

Le recours est dès lors recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant à la recevabilité du recours portant le n° 19664 du rôle Au vu des considérations qui précèdent, le recours portant le n°19664 du rôle est irrecevable pour cause d’identité d’objet, de cause et de parties avec le recours portant le n°19039 du rôle.

Quant au fond A l’appui de leur recours, les époux … font valoir que ce serait à tort que l’administration des Contributions directes n’a pas pris en compte leurs pertes locatives en invoquant la convention du 23 août 1958 entre le Grand-Duché de Luxembourg et l’Allemagne tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, dénommée ci-après la « convention germano-luxembourgeoise », étant donné qu’ils n’auraient pas demandé la déduction de leurs pertes locatives allemandes de leurs revenus luxembourgeois, mais qu’ils auraient demandé la prise en compte de ces pertes locatives dans la fixation du taux d’imposition à appliquer à leurs revenus imposables au Luxembourg. Ils soutiennent qu’ils devraient bénéficier du principe du « taux effectif » au même titre que les résidents luxembourgeois et belges.

A ce titre, ils estiment que même si l’article 157ter LIR dispose que seuls les revenus professionnels indigènes et étrangers sont pris en compte pour le calcul du taux effectif du revenu imposable d’un contribuable non-résident demandant son imposition au Luxembourg au motif qu’il y perçoit au moins 90% de ses revenus professionnels, cette distinction entre revenus professionnels et autres créerait une discrimination intolérable par rapport au régime d’imposition dont bénéficient les résidents luxembourgeois et les résidents belges placés dans la même situation.

En ce qui concerne la discrimination par rapport aux résidents luxembourgeois, les époux … relèvent qu’en vertu de l’article 134 LIR l’ensemble des revenus est pris en considération pour déterminer le taux d’imposition, à savoir tous les revenus indigènes ainsi que tous les revenus étrangers exonérés par la convention, quelle que soit par ailleurs la nature de ces revenus, partant y compris les revenus étrangers négatifs. Ils se réfèrent à un jugement du tribunal administratif qui reconnaît aux résidents luxembourgeois le droit de prendre en compte les pertes locatives étrangères pour le calcul du taux d’imposition pour conclure à une discrimination injustifiée « du résident allemand qui tire pourtant la totalité de ses revenus du Grand-Duché de Luxembourg ».

En ce qui concerne la discrimination par rapport aux résidents belges, les époux … font état de ce que la convention belgo-luxembourgeoise du 17 septembre 1970 en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, dénommée ci-après « la convention belgo-

luxembourgeoise », prévoit en son article 24§4 la possibilité d’accorder au résident belge, qui en fait la demande aux autorités luxembourgeoises, d’être imposé sur base d’un taux moyen d’impôt qui, compte tenu de sa situation et de ses charges de famille et du total de ses revenus généralement quelconques, lui serait applicable s’il était un résident luxembourgeois. Cette option serait ouverte aux résidents belges dès lors qu’ils seraient imposables au Luxembourg du chef de plus de 50% de leurs revenus professionnels. Sur base de cette disposition, le tribunal administratif aurait admis que le « solde, même négatif, provenant de la déduction des intérêts débiteurs d’un emprunt, des revenus provenant de biens immobiliers situés en Belgique, est à prendre en considération ensemble avec les autres revenus généralement quelconques du contribuable, afin de déterminer le taux moyen applicable ».

Il s’agirait en l’espèce d’une discrimination flagrante, dans la mesure où les époux …, bien que résidents allemands, seraient pourtant imposables au Luxembourg pour la totalité de leurs revenus professionnels mais ne bénéficieraient pas d’un tel droit d’option.

Les époux … concluent partant à la violation de l’article 48 du traité CEE, devenu article 48 du traité instituant la Communauté Européenne, dénommé ci-après « le traité CE », lui-même devenu après modification, article 39 CE, en se référant à l’arrêt Schumacker (11 août 1995, C-279/93) de la Cour de Justice des Communautés Européennes qui a dit pour droit que « l’article 48 du Traité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une réglementation d’un Etat membre imposant un travailleurs ressortissant d’un autre Etat membre, qui réside dans ce dernier Etat et exerce une activité salariée sur le territoire du premier Etat, plus lourdement qu’un travailleur résidant sur le territoire du premier Etat et y occupant le même emploi, lorsque le ressortissant du second Etat tire son revenu totalement ou presque exclusivement de l’activité exercée dans le premier Etat et ne perçoit pas dans le second Etat des revenus suffisants pour y être soumis à une imposition permettant de prendre en compte sa situation personnelle et familiale ».

Les époux … sont d’avis que l’article 157ter LIR, introduit par le législateur luxembourgeois pour se mettre en conformité avec la prédite jurisprudence communautaire, ne permet pas d’éviter complètement la discrimination dans le traitement fiscal subi par eux, dans la mesure où le prédit article limite son champ d’application à la prise en compte des revenus professionnels étrangers, à l’exclusion des autres revenus étrangers du contribuable non-résident. Ils concluent que le texte laisse subsister une discrimination entre résidents et non-résidents placés dans une situation identique, de sorte que le juge national serait tenu d’écarter la disposition nationale qui est contraire à une règle de droit communautaire, d’essence supérieure.

Ils soutiennent finalement que la convention germano-luxembourgeoise contiendrait dans son article 25§1 une clause interdisant toute discrimination entre les nationaux des deux Etats contractants.

Ils concluent de ce qui précède, que le tribunal, par réformation du bulletin d’imposition de l’année 2002, devrait dire que « les revenus locatifs négatifs étrangers des parties requérantes doivent être pris en compte pour le calcul du taux d’imposition applicable à leurs revenus imposables luxembourgeois ».

Ils sollicitent finalement l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500 euro.

Le délégué du Gouvernement énonce que le droit communautaire interdit seulement de ne pas tenir compte de la situation personnelle et familiale des non-

résidents remplissant certaines conditions. Il n’abolirait nullement la distinction entre l’obligation fiscale illimitée des contribuables résidents et l’obligation limitée des contribuables non-résidents. Il n’abolirait pas non plus la répartition du pouvoir d’imposition entre les Etats parties à une convention préventive de la double imposition et de l’évasion fiscale.

En ce qui concerne la convention belgo-luxembourgeoise, il soutient que l’option ouverte aux résidents belges est le fait de cette convention. La convention germano-

luxembourgeoise ne prévoyant rien de semblable, les résidents allemands ne pourraient y prétendre.

Finalement en ce qui concerne l’article 157ter LIR, les époux … ne montraient pas en quoi cet article porterait une discrimination selon la nationalité, de sorte que le recours serait à déclarer non fondé.

Dans leur mémoire en réplique, les époux … prennent amplement position par rapport aux moyens développés par le délégué du Gouvernement.

Quant à la conformité à la convention germano-luxembourgeoise Il convient en premier lieu de relever que si l’élimination de la double imposition à l’intérieur de la Communauté Européenne figure parmi les objectifs du traité, il y a lieu néanmoins de constater qu’à ce jour, aucune mesure globale d’unification ou d’harmonisation visant à éliminer les doubles impositions n’a été adoptée dans le cadre communautaire et que les Etats membres n’ont conclu, au titre de l’article 220 CE devenu article 293 CE, aucune convention multilatérale à cet effet.

Compétents pour déterminer les critères d’imposition des revenus et de la fortune en vue d’éliminer, le cas échéant par la voie conventionnelle, les doubles impositions, les Etats membres ont conclu de nombreuses conventions bilatérales en s’inspirant notamment des modèles de convention fiscale concernant le revenu et la fortune, élaborés par l’Organisation de coopération et de développement économiques, ci-après dénommée « la convention OCDE ».

C’est dans ce contexte que la convention germano-luxembourgeoise retient les facteurs de rattachement pour répartir entre les deux Etats la compétence en matière d’impôts et notamment en ce qui concerne les revenus de location de biens immeubles.

En vertu de l’article 4 de la convention germano-luxembourgeoise, le droit d’imposition de ces revenus appartient à l’Etat de la situation de l’immeuble. C’est donc le pays de la source qui est en droit d’imposer les revenus de location. Si par ailleurs on peut retenir que l’Etat de résidence possède, en vertu de l’article 20 de la prédite convention, le droit de prendre en considération le revenu mondial pour fixer le taux d’impôt correspondant à ce revenu, une telle disposition n’existe cependant pas en l’état actuel de la législation dans l’Etat où se situe la résidence fictive d’un contribuable pour la prise en compte de ses revenus professionnels.

C’est dès lors à bon droit que le Finanzamt Trier a établi en date du 30 juillet 2003 un bulletin d’imposition dans lequel il procède à la fixation des revenus, notamment de location, des époux …. En effet, comme le droit d’imposition appartient à l’Etat de situation de l’immeuble et comme la prise en considération des revenus de location dans l’Etat de résidence tend à déterminer le taux d’impôt correspondant au revenu mondial du contribuable, c’est en conformité avec les dispositions de la convention que le bureau d’imposition Luxembourg Y n’a tenu compte de ces revenus locatifs, soient-ils positifs ou négatifs, ni aux fins de la détermination de leur revenu imposable au Luxembourg ni pour la fixation du taux d’imposition.

Quant à la conformité au droit communautaire Il est de jurisprudence constante que, si la matière des impôts directs ne relève pas en tant que telle de la compétence de la Communauté Européenne, il n’en demeure pas moins que les Etats membres doivent exercer leurs compétences retenues en cette matière dans le respect du droit communautaire.

En effet, le droit communautaire n’empêche pas les Etats membres de se répartir le pouvoir d’imposer, mais le droit communautaire leur interdit de pouvoir opposer toute disposition de convention qui s’avérerait contraire à l’exercice effectif des droits garantis par l’ordre communautaire.

Quant à la question de la conformité de l’article 157ter LIR par rapport à l’article 39 CE, qui pose d’une manière générale les règles d’égalité de traitement qui prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore toute forme dissimulée de discriminations qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat. En effet, l’article 39 CE appréhende toute discrimination en fonction de la résidence qui nuirait à l’exercice de la liberté de se déplacer. La Cour de Justice a jugé qu’une réglementation d’un Etat membre, qui réserve des avantages fiscaux aux seuls résidents sur le territoire national, risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres Etats membres, puisque les non-

résidents sont le plus souvent des non-nationaux, de sorte qu’une telle réglementation est susceptible de constituer une discrimination indirecte en raison de la nationalité (arrêts Schumacker, 14 février 1995, C-279/93, Recueil p. I-225, Asscher, 27 juin 1996, C-

107/94, Recueil p. P-3089, et Zurstrassen 16 mai 2000, C-87/99, Recueil p. I-3337).

Toutefois, une discrimination consiste dans l’application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l’application de la même règle à des situations différentes.

La Cour a itérativement rappelé « qu’en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents dans un Etat ne sont, en règle générale, pas comparables dans la mesure où le revenu perçu sur le territoire d’un Etat par un non-

résident ne constitue le plus souvent qu’une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence, et que la capacité contributive personnelle du non-résident, résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s’apprécier plus aisément à l’endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, ce qui correspond en général à sa résidence habituelle » (arrêts Schumacker, précité, points 31 et 32 ; Geschwind, 14 septembre 1999, C-391/97, Recueil p. I-5451, point 22 ; Zurstrassen, précité, point 21 ; Gerritse, C-

234/01, Recueil p. I-5933, point 43, Wallentin, 1er juillet 2004, C-169/03, non encore publié au Recueil, point 15).

Aussi le fait pour un Etat membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu’il accorde au résident n’est-il, en règle générale, pas discriminatoire, compte tenu des différences objectives entre la situation des résidents et celle des non-résidents tant du point de vue de la source des revenus que de la capacité contributive personnelle ou de la situation personnelle et familiale (arrêts précités Schumacker, Geschwind, Geritse, Wallentin).

La Cour de Justice a toutefois jugé qu’il en va différemment dans le cas où le non-résident ne perçoit pas de revenu significatif dans l’Etat de sa résidence et tire l’essentiel de ses ressources imposables d’une activité exercée dans l’Etat d’emploi, de sorte que l’Etat de résidence n’est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale (voir arrêts Schumacker, précité, point 36 ; Groot, 12 décembre 2002, C-385/00, Recueil p. I-11819, point 89). En effet, s’agissant d’un non-résident qui perçoit, dans un Etat membre autre que celui de sa résidence, l’essentiel de ses revenus, la discrimination consiste en ce que la situation personnelle et familiale de ce non-résident n’est prise en compte ni dans l’Etat de résidence ni dans l’Etat d’emploi ( arrêt Schumacker, précité).

Bien que l’article 157ter LIR, qui a été introduit en droit luxembourgeois pour tenir compte de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes, vise à éliminer la discrimination des non-résidents par rapport aux résidents, dans la mesure où les contribuables non résidents sont, sur demande, assimilés aux contribuables résidents, s’ils sont imposables au Grand-Duché du Luxembourg d’au moins 90 % de leurs revenus professionnels indigènes et étrangers, cette assimilation n’est néanmoins pas totale, en ce que l’article 157ter LIR ne prend en compte pour le calcul du taux effectif du revenu imposable du non-résident que les revenus indigènes ainsi que les revenus professionnels étrangers et ne permet pas d’y inclure les revenus de location de biens immobiliers situés dans l’Etat de résidence.

En effet, au titre de l’article 157ter LIR « (1) …les contribuables non résidents imposables au Grand-Duché du chef d’au moins 90 pour cent du total de leurs revenus professionnels indigènes et étrangers sont, sur demande, imposés au Grand-Duché, en ce qui concerne leurs revenus y imposables, aux taux d’impôt qui leur serait applicable s’ils étaient résidents du Grand-Duché et y étaient imposables en raison de leurs revenus indigènes et de leurs revenus professionnels étrangers. Pour l’application de la disposition qui précède, les contribuables mariés ne vivant pas en fait séparés sont imposables collectivement au titre des revenus indigènes. Dans ce contexte, les revenus professionnels étrangers des deux époux sont pris en compte en vue de la fixation du taux d’impôt applicable ».

En l’espèce, les époux …, qui sont domiciliés en Allemagne, ont demandé et obtenu une imposition collective de leurs revenus indigènes au Luxembourg conformément aux dispositions de l’article 157ter et bénéficient à ce titre, tout comme les résidents, en ce qui concerne la catégorie des revenus professionnels, des déductions des dépenses spéciales, de l’abattement pour charges extraordinaires et de l’abattement à l’investissement mobilier. En vue du calcul de l’impôt, ils sont rangés dans les mêmes classes d’impôt que les contribuables résidents qui se trouvent dans la même situation de famille.

Toutefois, par dérogation au régime d’imposition des contribuables résidents où la règle de progressivité pour le calcul du taux d’impôt s’applique à l’ensemble des revenus dont le droit d’imposition est attribué à d’autres Etats, le législateur a uniquement retenu que la clause de progressivité s’applique, outre les revenus indigènes, aux seuls revenus professionnels étrangers des contribuables non résidents. Il a retenu le choix des revenus professionnels comme critère d’assimilation en fonction de la considération que le principe communautaire d’égalité de traitement en matière de libre circulation des travailleurs et de la libre établissement s’applique précisément aux activités économiques engendrant ces revenus. (trav. parl. n°4361 p.36).

Suivant l’article 157ter LIR, en ce qui concerne les autres revenus des non-

résidents, ils ne sont pris en compte ni aux fins de la détermination de leur revenu imposable au Luxembourg ni pour déterminer le taux d’impôt applicable au revenu des non-résidents.

Force est dès lors de constater que, globalement considéré, le système instauré par l’article 157ter LIR ne saurait être qualifié de discriminatoire, en ce qu’il accorde, en principe, un avantage aux non-résidents. D’abord, l’imposition dans le pays d’emploi est optionnelle pour les non-résidents, ensuite, les non-résidents bénéficient, en ce qui concerne leurs revenus professionnels, de tous les avantages inhérents à la législation fiscale luxembourgeoise, sans que les autres revenus étrangers, imposables en principe dans le pays de résidence suivant l’article 20 de la convention germano-

luxembourgeoise, ne soient pris en considération.

Néanmoins, une cohérence plus poussée du système fiscal luxembourgeois aurait exigé que l’application de l’article 157ter LIR soit assortie de la condition que la quasi totalité des revenus mondiaux des contribuables soit incluse dans l’assiette luxembourgeoise, ceci conformément à la recommandation de la Commission 94/79/CE relative à l’imposition de certains revenus obtenus par des non-résidents dans un Etat membre autre que celui de leur résidence, étant précisé que cette dernière prévoit un seuil de 75% du revenu total imposable au cours de l’année fiscale.

Ainsi, le caractère favorable ou défavorable du traitement fiscal des contribuables non-résidents ne découle pas à proprement parler du choix du facteur de rattachement ou de la répartition de la compétence fiscale, mais de la non prise en compte pour le calcul du taux effectif du revenu mondial des non-résidents.

Dans cette mesure, le système, tel que prévu par l’article 157ter LIR, est susceptible d’entraver la libre circulation des travailleurs et d’aboutir, le cas échéant, à une discrimination envers les non-résidents, dans l’hypothèse précise de l’espèce où il ne permet pas de prendre en compte les revenus de location négatifs des non-résidents, alors que les résidents bénéficient d’un tel droit.

Concrètement, cela signifie que les résidents allemands qui perçoivent la totalité de leurs revenus au Luxembourg, mais qui sont propriétaires d’un immeuble en Allemagne et y sont également assujettis à l’impôt sur le revenu, ne peuvent se prévaloir des revenus négatifs de location pour le calcul du taux de l’impôt sur le revenu, alors que les résidents luxembourgeois, qui sont propriétaires d’un immeuble en Allemagne, peuvent et doivent prendre ces revenus en considération pour la détermination du taux d’impôt.

Dans pareille situation, la législation fiscale luxembourgeoise aboutit à exclure des non-résidents du bénéfice d’un « avantage » fiscal, engendrant ainsi une différence de traitement désavantageuse pour ces derniers.

Cependant, une telle différence de traitement ne constitue a priori pas une discrimination contraire au Traité dès lors que les résidents et les non-résidents se trouvent, en principe, dans une situation objectivement différente.

Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce, étant donné que les époux … perçoivent la totalité ou la quasi-totalité de leur revenu mondial au Luxembourg. Ils doivent dès lors être considérés, au regard des règles applicables pour le calcul du taux d’impôt sur le revenu, comme étant dans une situation comparable à celle de personnes qui résident et travaillent dans cet Etat membre.

Ainsi, lorsque le contribuable ne dispose pas dans son Etat de résidence de revenus imposables suffisants pour permettre une prise en compte de la situation personnelle et familiale du contribuable résident, il reviendra nécessairement à l’Etat d’emploi de le faire.

En effet, l’imposition d’un contribuable dans son Etat d’emploi ou dans son Etat de résidence ne doit pas avoir pour résultat que sa situation personnelle et familiale ne soit prise en compte nulle part, ou bien seulement de façon partielle.

Cette approche n’est cependant valable que lorsque le contribuable non-résident obtient la totalité ou la quasi-totalité de ses revenus dans l’Etat d’imposition. Seul ce constat est en effet de nature à transformer un traitement différencié entre résidents et non-résidents en un traitement discriminatoire prohibé par les règles du traité relatives à la libre circulation des personnes.

En conclusion, il y a lieu de retenir que le traitement différent entre les contribuables travaillant dans un Etat membre mais n’y résidant pas et les contribuables qui travaillent et résident dans ce dernier Etat, traitement qui consiste dans le refus au bénéfice des premiers d’une possibilité de prise en compte de revenus immobiliers négatifs, constitue donc bien, dans cette mesure, une discrimination indirecte fondée sur le critère de la résidence, interdite par l’article 39 CE du traité.

Il devient dès lors superflu de statuer quant à une prétendue discrimination alléguée par rapport aux non-résidents belges, discrimination qui résulterait de l’application de la convention belgo-luxembourgeoise, question qui a par ailleurs été résolue par un arrêt de la Cour de Justice du 5 juillet 2005 (C-376/03, non encore publié au Recueil).

Etant donné cependant qu’il était dans l’intention du législateur de ne pas faire du tribunal un « taxateur » et de ne pas l’amener à « s’immiscer dans le domaine de l’administration » sous peine de « compromettre son statut judiciaire » (cf. doc. parl.

3940A2, p. 11, ad (3) 8. et doc. parl. 3940A4, avis complémentaire du Conseil d’Etat, p. 7, ad amendement 5)), son rôle consiste à dégager les règles de droit et à opérer les qualifications nécessaires à l’application utile de la législation fiscale, sans pour autant porter sur l’intégralité de l’imposition, ni aboutir à fixer nécessairement une nouvelle cote d’impôt (voir trib.adm. 29 mars 1999, n° 10428, confirmé par Cour adm. 11 janvier 2000, n° 11285C, Pas. adm. 2004, V° Impôts, n° 427, p.460).

En application des développements qui précèdent, il y a en conséquence lieu de renvoyer l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes aux fins de transmission au bureau d'imposition compétent pour procéder à l’imposition conformément au dispositif du présent jugement ensemble les motifs à sa base.

Quant à la demande formulée dans la requête introductive tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de l’ordre 1.500,- € par application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999, précitée, qu’il serait inéquitable de laisser les frais non compris dans les dépens, dont les frais et honoraires d’avocat, à la charge des époux …, force est de constater que les demandeurs ont omis de préciser en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non répétibles à leur charge, la simple référence à l’article de loi applicable n’étant pas suffisante à cet égard, de sorte que la demande afférente est à rejeter (cf. Cour adm. 1 juillet 1997, n° 9891C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Procédure contentieuse, n° 458 et autres références y citées, page 645).

En ce qui concerne la demande en vue de prononcer une astreinte en cas de non émission d’un bulletin d’impôt dans le délai de 2 mois, il y a lieu de relever que l’astreinte constitue une mesure tenant à des droits civils que le tribunal n’est pas compétent à ordonner.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

joint les recours introduits sous les numéros 19039 et 19664 du rôle ;

déclare le recours introduit sous le numéro 19664 irrecevable ;

déclare le recours en réformation inscrite sous le numéro 19039 du rôle recevable, au fond, le dit justifié, partant, par réformation des bulletins d’impôt déférés du 29 janvier 2004, dit que les revenus de location étrangers, tels que dégagés par le bulletin d’imposition du 20 juillet 2003 du Finanzamt Trier, sont à prendre en considération pour le calcul du taux d’imposition applicable aux demandeurs ;

renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes en vue de sa transmission au bureau d’imposition compétent pour exécution, déclare le recours en annulation irrecevable ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

se déclare incompétent pour connaître de la demande en condamnation à une astreinte ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 octobre 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président , Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 13


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19039
Date de la décision : 10/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-10;19039 ?

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