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05/10/2005 | LUXEMBOURG | N°20409

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 octobre 2005, 20409


Tribunal administratif N° 20409 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 septembre 2005 Audience publique du 5 octobre 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20409 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2005 par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalit

é sierra léonaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en...

Tribunal administratif N° 20409 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 septembre 2005 Audience publique du 5 octobre 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20409 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2005 par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité sierra léonaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 septembre 2005 ordonnant son placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Arnaud RANZENBERGER et Monsieur le délégué du Guvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 octobre 2005.

Le 8 septembre 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit à l’encontre de Monsieur … une mesure de rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est libellée comme suit :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Considérant que l’intéressé s’est présenté à la réception de mon ministère, démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis - qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays 1- qu’il constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ;

Considérant qu’un laissez-passer a été demandé aux autorités sierra-léonaises ;

- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement dans l’attente de l’établissement d’un document de voyage par les autorités sierra-léonaises ; » Par requête déposée le 26 septembre 2005 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision prévisée du 8 septembre 2005.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond le demandeur invoque en premier lieu l’absence des conditions pour prononcer une mesure de rétention administrative en faisant valoir qu’un placement au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg devrait rester une mesure d’exception, indiquée uniquement au cas où l’étranger concerné serait susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. Il estime plus particulièrement qu’une prétendue susceptibilité de se soustraire à une mesure d’éloignement serait insuffisante pour caractériser à elle seule un danger de ce type et que par ailleurs dans son cas particulier le risque de fuite allégué par le ministre ne serait pas vérifié, étant donné qu’il se serait toujours présenté volontairement aux autorités, ceci afin d’obtenir un logement, dans l’attente de sa reconduite à la frontière.

L’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi du 28 mars 1972 dispose : « Lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 [de la loi du 28 mars 1972] est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ».

L’article en question pose deux conditions légales cumulatives pour la prise d’une décision de placement :

1. une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la loi du 28 mars 1972, 2. l’impossibilité de l’éloignement de l’étranger en raison de circonstances de fait.

Force est de constater que l’existence d’un risque de fuite dans le chef de la personne concernée n’est pas exigée par l’article 15 de la loi du 28 mars 1972 en tant que condition nécessaire à la prise d’une décision de placement.

Quant aux considérations du demandeur avancées ayant trait à l’absence de dangerosité pour l’ordre public dans son chef, force est encore de constater que la dangerosité dans le chef de la personne faisant l’objet d’une décision de placement n’est pas exigée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 en tant que condition nécessaire à la prise d’une décision de placement et à son placement dans un établissement approprié.

2 En effet, au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, justifiant leur rétention administrative.1 Il s’ensuit que les moyens afférents du demandeur sont à écarter comme étant non fondés.

Le demandeur reproche encore à la décision litigieuse de ne pas mentionner l’existence des circonstances de fait qui rendraient impossible l’exécution d’une mesure d’éloignement dans son chef.

Force est de constater qu’il se dégage néanmoins sans ambiguïté des explications fournies en cause par le délégué du Gouvernement, ensemble les pièces versées au dossier, que des démarches ont été entreprises afin de permettre l’éloignement de l’intéressé, mais qu’en raison de difficultés avérées rencontrées dans ce contexte, ayant consisté dans le fait que suite à un entretien ayant eu lieu avec l’intéressé à l’ambassade du Sierra Leone à Bruxelles, cette ambassade a confirmé qu’il ne s’agissait pas d’un ressortissant du Sierra Leone, il est devenu impossible de procéder dans l’immédiat à l’éloignement projeté. Il se dégage encore des pièces versées au dossier que suite à cet élément nouveau, ayant directement affecté les démarches jusque-là entreprises afin de voir établir un laissez-passer en vue de l’éloignement de l’intéressé, une nouvelle enquête est actuellement un cours afin de déterminer l’identité et la nationalité du demandeur.

Dans ces circonstances, le ministre a valablement pu se baser sur des circonstances de fait justifiant une impossibilité de procéder à l’éloignement immédiat de l’intéressé.

Le demandeur critique ensuite la décision litigieuse en faisant valoir qu’elle s’analyserait en une prorogation illégale d’une mesure de placement initiale, étant donné qu’il aurait déjà subi une série de rétentions administratives au mois de mai 2005.

Il est constant à partir des informations non contestées fournies en cause que le demandeur a subi une première détention en Grande Bretagne entre le 24 mars et 26 mai 2005 et qu’après son transfert au Grand-Duché de Luxembourg il a fait l’objet d’une mesure de rétention administrative en date du 26 mai 2005, laquelle fut prorogée à deux reprises pour la durée d’un mois, de sorte qu’il fut remis en liberté le 27 août 2005. Il est encore constant qu’en date du 8 septembre 2005 le ministre prit une nouvelle décision de placement à son encontre, cette décision étant celle actuellement litigieuse.

S’il est certes vrai que le législateur, en limitant expressément la possibilité pour le ministre de reconduire une décision de placement à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois, a entendu créer un juste équilibre entre les impératifs tenant à l’organisation de l’éloignement d’un étranger et le souci d’éviter une privation de liberté trop étendue en attendant l’éloignement projeté, il n’en demeure pas moins que le ministre ne saurait se voir reprocher en l’espèce d’avoir abusé de son pouvoir de procéder, après la remise en liberté de Monsieur …, à un nouveau placement de l’intéressé, étant donné que suite à l’information lui 1 Cf Cour adm. 7 juillet 2005, n° 2003C du rôle 3adressée par l’ambassade du Sierra Léoné que l’intéressé ne revêt pas la nationalité de ce pays, le ministre, ayant ainsi dû constater l’inutilité des démarches jusque lors suivies en vue de l’éloignement de l’intéressé, était contraint de prendre une nouvelle mesure de placement à son égard. Le résultat de l’entretien ayant eu lieu avec le demandeur à l’ambassade du Sierra Léoné constitue en effet un élément nouveau ayant emporté la contrainte dans son chef de redéployer dès le début les démarches administratives en vue de l’éloignement de l’intéressé.

Aucun manque de diligence au niveau du déroulement de la procédure d’éloignement n’étant décelable dans le chef des autorités administratives et le demandeur n’ayant par ailleurs pas autrement collaboré dans le but d’écourter au maximum la durée de sa rétention, le moyen afférent présenté par le demandeur laisse partant de persuader.

Le demandeur se prévaut encore d’une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce que sa rétention serait constitutive d’un traitement inhumain et dégradant, non justifié par un impératif d’ordre public quelconque.

Tel que relevé ci-avant la rétention administrative du demandeur s’inscrit dans les prévisions légales. Le demandeur reste pour le surplus en défaut de démontrer que la prise d’une nouvelle mesure de rétention à son égard avait pour but de l’humilier et de le rabaisser ou que, même en l’absence d’un tel but, aurait porté atteinte à sa personnalité d’une manière incompatible avec l’article 3 invoqué2.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 octobre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 2 cf. CEDH Marincola c. Italie, n° 42662/98, 25 novembre 1999 et Raninen c. Finland, arrêt du 16 décembre 1997, v. receuil des arrêts et décisions 1997-VIII p. 2821-22, § 55 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20409
Date de la décision : 05/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-05;20409 ?

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