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03/10/2005 | LUXEMBOURG | N°20283

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 octobre 2005, 20283


Tribunal administratif N° 20283 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2005 Audience publique du 3 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, Schifflange, et par la société … Sàrl, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête introduite en date du 12 août 2005 sous le numéro 20283 du rôle par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, aux noms de Monsieur …, né le 28 mars 1966, de nationalité chinoise, demeurant act

uellement à L-… et de la société à responsabilité limitée … s.à r.l., établie et ayant s...

Tribunal administratif N° 20283 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2005 Audience publique du 3 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, Schifflange, et par la société … Sàrl, … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête introduite en date du 12 août 2005 sous le numéro 20283 du rôle par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, aux noms de Monsieur …, né le 28 mars 1966, de nationalité chinoise, demeurant actuellement à L-… et de la société à responsabilité limitée … s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l'annulation d'une décision implicite de rejet de délivrance d'un permis de travail au profit de Monsieur … suite à une demande présentée le 11 avril 2005 ;

Vu l’ordonnance du juge du tribunal administratif du 17 août 2005 accordant aux demandeurs une abréviation des délais d’instruction et fixant l’affaire pour plaidoiries péremptoirement à l’audience publique de vacation du 7 septembre 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 août 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 août 2005 par Maître Louis TINTI aux noms des demandeurs ;

Vu les pièces versées au dossier ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 septembre 2005.

Suivant déclaration d'arrivée enregistrée à Differdange du 18 juillet 2003 Monsieur … est arrivé au Luxembourg en date du 29 août 2002, où, suite à une demande en obtention d’un permis de travail en date du 7 octobre 2003, il a obtenu par décision du 17 mars 2004 un permis de travail, ainsi que, compte tenu de son mariage antérieur, à savoir en date du 16 janvier 2002, avec Madame …, séjournant légalement au pays, une autorisation de séjour à durée déterminée.

Le permis de travail lui accordé en date 17 mars 2004 fut limité à la durée de son autorisation de séjour, c’est-à-dire jusqu’au 31 mai 2004.

Le 14 juillet 2004, Monsieur … conclut avec le restaurant … un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 15 juillet 2004.

Il ressort des pièces versées en cause que Monsieur … bénéficia en date du 14 septembre 2004 d’une autorisation de séjour expirant le 31 août 2005.

En date du 20 septembre 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi refusa à Monsieur … la délivrance d’un nouveau permis de travail « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes :

-

des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 2416 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi -

priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen -

poste de travail non déclaré vacant par l’employeur -

occupation irrégulière depuis le 15.07.2004 ».

En date du 10 octobre 2004, Monsieur … signa un nouveau contrat de travail à durée indéterminée avec le restaurant … s.à r.l., contrat précisant cependant « date de commencement du travail dès réception du permis de travail ».

Par arrêté du 16 décembre 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi, rejeta à nouveau la demande en obtention d’un permis de travail « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes -

des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 85 cuisiniers et 2880 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi -

priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen -

poste de travail non déclaré vacant par l’employeur -

n’avait pas l’intention d’engager un demandeur d’emploi bénéficiant de la priorité à l’embauche ».

En date du 20 décembre 2004 Monsieur … fit déposer par l’intermédiaire de son mandataire un recours gracieux contre la décision ministérielle de refus du 20 septembre 2004.

En date du 9 mars 2005, Monsieur … fit encore introduire par l’intermédiaire de la fiduciaire comptable … s.à r.l. une demande en obtention d’un permis de travail, demande à laquelle était joint un nouveau contrat de travail à durée indéterminée signé avec le restaurant … s.à r.l., contrat précisant également ne prendre effets qu’à partir de la réception d’un permis de travail.

Par décision du 8 avril 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, entre-temps en charge du dossier, prit une décision confirmative de sa décision de refus, formulée comme suit :

« En réponse à votre recours gracieux du 20 décembre 2004 dans l'affaire reprise sous rubrique, je suis au regret de vous informer qu'il n'existe aucun élément nouveau me permettant de revenir sur ma décision du 20 septembre 2004 de refuser le permis de travail à Monsieur … (…) ».

Ayant cependant été assigné en date du 23 mars 2005 par l’administration de l’Emploi en vue d’un embauchage éventuel au restaurant … s.à r.l. en qualité de « cuisinier mongolien / chinois »,Monsieur … retourna en date du 11 avril 2005 sa carte d’assignation à l’administration de l’Emploi, carte sur laquelle figure la mention manuscrite que l’intéressé sera embauché « dès obtention du permis de travail ».

Par requête déposée en date du 12 août 2005, Monsieur … et le restaurant … s.à r.l.

ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision implicite de refus résultant du silence gardé par l’administration de l’Emploi pendant plus de trois mois suite à l’introduction de la demande en obtention d’un permis de travail, ainsi qualifiée, introduite le 11 avril 2005.

Par requête déposée le même jour, les demandeurs ont déposé une requête en abréviation du délai légal pour déposer les mémoires en réponse et en duplique, tendant à fixer « l'affaire pour plaidoiries dans les délais les plus brefs », aux motifs que, d'une part, Monsieur …, titulaire d'une autorisation de séjour, serait dans une situation extrêmement précaire « du fait que le Ministère de l'Emploi se refuse de lui délivrer un permis de travail », qu'il ne bénéficierait d'aucune allocation de chômage et qu'il aurait besoin d'un travail pour financer son séjour au Luxembourg et pourvoir à ses besoins alimentaires et que, d'autre part, le restaurant « … », qui se serait vu proposer en date du 23 mars 2005 par l'administration de l'Emploi « les services du sieur … », souffrirait d'un manque de personnel lui causant un grave et réel problème quant à son exploitation commerciale normale.

Par ordonnance du 17 août 2005, le juge du tribunal administratif, siégeant en remplacement des autres magistrats plus anciens en rang, légitimement empêchés, a accordé aux demandeurs l’abréviation des délais d’instruction sollicitée et a fixé l’affaire pour plaidoiries péremptoirement à l’audience publique de vacation du 7 septembre 2005.

La loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main d’œuvre étrangère ne prévoit pas de recours au fond en la matière, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation formulé à titre principal.

En ce qui concerne la question de la recevabilité du recours en annulation, les parties demanderesses se prévalent de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, qui précise que « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif ».

Force est en l’espèce au tribunal de constater de prime abord que le caractère de « demande » attribué par les demandeurs au retour à l’administration de l’Emploi d’une carte d’assignation sur laquelle figure la mention manuscrite que l’intéressé sera embauché « dès obtention du permis de travail », n’est pas contesté par la partie publique.

Il s’avère de surcroît que la partie publique a consenti, suite l’envoi de la « demande » précitée à l’administration de l’Emploi, a réouvrir l’instruction du dossier de Monsieur …, de sorte qu’il y a lieu de considérer que les parties sont d’accord à considérer l’envoi du document pré-mentionné avec l’apposition manuscrite de la mention « dès obtention du permis de travail » comme demande au sens du prédit article 4 (1).

L’Etat en revanche conteste dans le cadre de son mémoire en réponse l’existence d’une décision implicite de refus, en exposant que la demande présentée par les requérants se trouverait toujours en cours d’instruction, et qu’une décision y relative dépendrait du sort réservé à la question de l’octroi d’un permis de séjour à Monsieur ….

Or, en ce qui concerne cette dernière question, l’Etat attendrait le résultat, d’une part, d’une enquête sociale se rapportant à l’existence de violences conjugales au sein du couple …-… et, d’autre part, d’une enquête sur l’existence d’une communauté de vie effective, la première enquête ayant été demandée en date du 14 juin 2005, et la seconde enquête en date du 18 juillet 2005.

L’Etat insiste tout particulièrement sur le fait qu’à la date du dépôt de son mémoire en réponse les informations recueillies ne permettraient pas de décider de l’octroi ou du refus du permis de travail sollicité, et souligne que l’annulation de la décision implicite de refus telle que réclamée par les demandeurs ne présenterait aucune utilité pour les demandeurs, le dossier devant dans cette hypothèse être renvoyé à l’autorité compétente aux fins de prosécution, situation dans laquelle le dossier se trouverait de toute façon.

Il résulte encore des pièces versées en cause que si le résultat de l’enquête sociale a été communiqué au ministre en date du 30 août 2005, la seconde enquête n’aurait pas encoure abouti.

Il convient cependant de rappeler que dans le cadre du recours en annulation l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise – en l’espèce fictive – de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise ( voir trib. adm.

22 décembre 2004, n° 18038, www. ja.etat.lu).

Le tribunal est amené à retenir que si les explications fournies par la partie publique peuvent effectivement expliquer le délai d’instruction de la demande présentée par Monsieur … et le restaurant … s.à r.l., ces explications ne sauraient cependant faire échec aux dispositions de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 précitée, qui prévoient la faculté, pour l’administré, de considérer le silence perdurant de l’administration pendant plus de trois mois comme valant décision implicite de refus, et de déférer cette décision implicite au tribunal.

S’agissant d’une présomption légale contre laquelle aucune preuve n’est admise (voir article 1352 du Code civil) et dont l’invocation est laissée par le législateur à la discrétion de l’administré, le tribunal doit en tenir compte une fois que l’administré a manifesté son intention d’user de la faculté lui offerte par le législateur, même si, comme en l’espèce, les circonstances propres au dossier permettent de douter de l’opportunité du choix des demandeurs.

Or, force est de constater que non seulement la décision implicite de refus est – par essence – non motivée, mais encore que la partie publique reste en défaut d’avancer une quelconque motivation justifiant le refus implicite critiqué par les demandeurs, les seules explications fournies en cause par la partie publique se rapportant, comme relevé ci-avant, à l’absence de décision au jour de l’introduction du recours, mais non à la décision de refus implicite par application de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 précitée, de sorte que le tribunal est mis dans l’impossibilité de contrôler la légalité de l’acte lui déféré.

Il s’ensuit que la décision ministérielle déférée encourt l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, partant annule la décision implicite de rejet du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration se dégageant du silence observé par ce dernier par rapport à la demande introduite par les demandeurs en date du 11 avril 2005, et renvoie l’affaire en prosécution de cause devant le ministre ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 octobre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme. Lamesch, juge M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20283
Date de la décision : 03/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-03;20283 ?

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