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03/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19780

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 octobre 2005, 19780


Tribunal administratif N° 19780 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2005 Audience publique du 3 octobre 2005 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19780 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’O

rdre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Etat de Serbie et Monténégro),...

Tribunal administratif N° 19780 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2005 Audience publique du 3 octobre 2005 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19780 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …-…, née le … , agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 février 2005, confirmée sur recours gracieux par décision du 22 mars 2005, refusant de faire droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires pour le Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2005 ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2005 par Maître Nicky STOFFEL pour compte des consorts … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, en présence de Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH qui s’est rapporté au mémoire écrit de la partie publique à l’audience publique du 26 septembre 2005.

Les époux … et …, accompagnés de leurs enfants mineurs … , introduisirent en date du 3 novembre 1998 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, demande qui fut rejetée comme non fondée par décision du ministre de la Justice du 11 juin 2001.

Leur demande en obtention du statut de réfugié politique fut définitivement rejetée par jugement du tribunal administratif du 27 février 2002, n° 14015 du rôle, confirmé par arrêt de la Cour administrative du 11 juin 2002, inscrit sous le numéro du rôle 14746C.

Par courrier de leur mandataire datant du 7 février 2005, les consorts … se sont adressés au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration pour solliciter l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires en mettant en avant le fait que deux de leurs enfants fréquentaient respectivement la troisième et quatrième année de l’école primaire, que compte tenu de l’expérience professionnelle de Monsieur … en tant que serrurier et maçon il pourrait subvenir aux besoins de la famille, et qu’ayant appris à parler les langues officielles du pays, ils auraient réussi à s’intégrer au pays.

Par décision du 15 février 2005 le ministre refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :

« Je suis cependant amené à constater que vos mandants ne disposent pas de moyens d’existence personnels suffisants conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

Par ailleurs, je suis amené à constater que vos mandants ne font pas état de raisons humanitaires justifiant une autorisation de séjour au Luxembourg. » Le recours gracieux que les consorts … ont fait introduit par courrier datant du 14 mars 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle du 15 février 2005 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 22 mars 2005, ils ont fait introduire, par requête déposée en date du 6 mai 2005, un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision de refus ministérielle prévisée du 15 février 2005 telle que confirmée en date du 22 mars 2005.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande principale en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours les demandeurs se prévalent des dispositions de l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée pour faire valoir qu’ils ne pourraient être éloignés à destination de leur pays d’origine étant donné que la vie ou la liberté de Monsieur … y serait gravement menacée et qu’il y serait exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, voire encore à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture ou autres peines cruelles, inhumaines et dégradantes. Les craintes afférentes mises en avant par les demandeurs sont présentées comme étant en rapport avec le fait que Monsieur … aurait déserté de l’armée et que la peine encourue de ce fait s’analyserait en une persécution grave justifiant à leur sens l’application du principe de non-

refoulement, ceci d’autant plus qu’en dépit d’une amélioration sensible dans leur région d’origine sur le plan politique, cette évolution ne serait pas suffisante pour lancer, maintenir et achever la transition politique et économique dans le sens d’une stabilisation de l’ensemble de la région.

Concernant ensuite le reproche d’une absence de moyens d’existence personnels suffisants, les demandeurs font valoir que faute de disposer d’un permis de travail il serait logique qu’ils ne peuvent pas travailler pour le moment, mais que Monsieur … disposerait cependant d’ores et déjà d’un contrat de travail signé avec une entreprise de construction susceptible d’être exécuté dès la délivrance d’une autorisation de séjour et d’un permis de travail. Ils relèvent pour le surplus avoir réussi à s’intégrer parfaitement au pays et versent à cet égard différentes attestations testimoniales établies par des personnes avec lesquelles ils ont des contacts réguliers.

Le délégué du Gouvernement rétorque que dans leur demande initiale datant du 7 février 2005 les demandeurs n’ont pas fait état de raisons humanitaires pour justifier l’octroi d’une autorisation de séjour, mais qu’ils ont uniquement fait état de leur degré d’intégration et de l’expérience professionnelle de Monsieur … pour soutenir qu’il lui serait possible de subvenir aux besoins de sa famille. Quant aux raisons humanitaires invoquées dans le cadre du recours gracieux et réexposées à travers la requête introductive d’instance sous examen, le représentant étatique signale que la question du statut d’insoumis de Monsieur … était à l’origine de la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs laquelle fut définitivement toisée en instance contentieuse par un jugement et un arrêt ayant entre-temps acquis autorité de chose jugée. Estimant que les demandeurs ne font pas valoir d’éléments nouveaux par rapport à ceux qui ont été examinés tant par le tribunal que par la Cour administrative dans le cadre du recours en réformation dirigé contre la décision de refus du statut de réfugié, il estime dès lors que la requête actuelle serait également à rejeter comme étant non fondée.

Pour le surplus le délégué du Gouvernement fait valoir que le moyen en rapport avec les moyens d’existence personnels allégués des demandeurs serait à écarter à son tour, étant donné que les demandeurs seraient en aveu de ne pas disposer de moyens d’existence personnels requis par la loi.

Dans leur mémoire en réplique les demandeurs font valoir qu’il serait généralement admis qu’un argument qui éventuellement n’est pas « suffisant » pour constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié pourrait néanmoins être considéré comme étant un argument valable dans le cadre d’une demande d’autorisation de séjour pour des raisons humanitaires et que tel serait précisément le cas d’une personne invoquant son statut d’insoumis.

Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourrant être refusées à l’étranger :

- qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, - qui est susceptible compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. » La décision litigieuse est fondée sur l’absence de moyens d’existence personnels suffisants pour assurer les frais de séjour au pays et les demandeurs, au-delà de se prévaloir de leur degré d’intégration et d’une possibilité d’embauche dans le chef de Monsieur …, restent en défaut de soumettre des éléments concrets, documentant la réalité d’une disponibilité effective de moyens d’existence dans leur chef, la seule production d’un contrat de travail, en l’absence de toute garantie relativement à la délivrance d’un permis de travail afférent, étant insuffisante à cet égard.

L’exercice de la faculté de refuser l’autorisation de séjour à un étranger dans l’hypothèse, non utilement énervée en cause, d’étrangers ne disposant pas de moyens d’existence personnels suffisants, est susceptible d’être tenu en échec lorsqu’une décision de refus fondée sur ledit motif s’analyse en une violation des dispositions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose comme suit :

« Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

En effet, s’il est de principe, en droit international, que les Etat ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner si les consorts … peuvent se prévaloir en l’espèce des dispositions de l’article 3 précité de la Convention européenne des droits de l’homme pour conclure utilement à l’annulation de la décision litigieuse, en se prévalant de l’état d’insoumis de Monsieur ….

Si l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée prévoit certes qu’un étranger ne saurait être expulsé ou rapatrié dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient gravement menacées ou s’il y serait exposé à traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ou encore à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les motifs tels qu’avancés par les demandeurs, fondés en substance et d’une manière générale sur l’état d’insoumis de Monsieur …, ainsi que sur la situation générale dans le pays d’origine des demandeurs, ne sauraient cependant suffire pour justifier l’octroi d’une autorisation de séjour sur base des dispositions ainsi invoquées.

Pour le surplus, la situation alléguée d’insoumis avait déjà été examinée par le tribunal dans le cadre de son jugement du 27 février 2002 rejetant la demande en obtention du statut de réfugié des demandeurs, jugement à travers lequel le tribunal avait retenu le caractère non justifié des craintes invoquées et l’absence d’éléments quelconques de nature à étayer un risque concret afférent.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé et que les demandeurs sont à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître de la demande principale en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 octobre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19780
Date de la décision : 03/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-03;19780 ?

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