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03/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19775

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 octobre 2005, 19775


Tribunal administratif N° 19775 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2005 Audience publique du 3 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19775 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Podgorica (Etat de Serbie-et-Mont

énégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réfo...

Tribunal administratif N° 19775 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2005 Audience publique du 3 octobre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19775 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2005 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Podgorica (Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 4 février 2005 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que de la décision confirmative prise par ledit ministre le 4 avril 2005, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

Le 5 octobre 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 3 décembre 2004, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 4 février 2005, notifiée par lettre recommandée expédiée le 21 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 6 octobre 2004 et le rapport d’audition de l’agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 3 décembre 2004.

Vous auriez quitté Podgorica le 3 octobre 2004. Vous seriez allé en voiture en Allemagne. Comme le passeur voulait vous laisser en Allemagne, vous auriez dû lui payer un supplément pour venir jusqu’à Luxembourg. Vous précisez que vous auriez eu un visa pour la Grèce il y a six mois et que vous en auriez profité pour visiter l’Autriche.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 5 octobre 2004.

Vous exposez que vous auriez été appelé au service militaire mais que vous auriez été réformé.

L’un de vos frères aurait été tué en Grèce par un certain GAROVIC. Il aurait été condamné à treize ans de prison et il se trouverait actuellement en prison au Monténégro, depuis sept ans. Vous précisez qu’une instance d’appel serait encore pendante dans ce dossier et que la famille GAROVIC vous persécuterait à cause de cela.

On vous téléphonerait, on vous suivrait dans la rue et un cousin de GAROVIC vous aurait agressé dans un café, il y a un an et demi. Vous dites que la police n’aurait rien fait.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » Je relève d’abord que rien dans votre dossier ne prouve que vous êtes retourné en Serbie-Monténégro après avoir obtenu votre visa grec et avoir visité la Crète et l’Autriche.

En ce qui concerne votre récit, je constate d’emblée que les problèmes que vous invoquez sont d’ordre purement privé et ne répondent à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève. En admettant que la famille GAROVIC veuille se venger, les membres de cette famille ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Quant à l’absence de protection de la part des autorités que vous invoquez, elle n’est pas établie. Contre des faits aussi peu précis que des coups de téléphone anonymes et des filatures, la police, faute de précisions, ne peut procéder à aucune interpellation.

Force est de constater qu’aucun des faits que vous alléguez, à les supposer établis, ne fondent une persécution au sens de la Convention précitée. Tout au plus traduisent-ils un sentiment général d’insécurité qui ne constitue pas non plus une persécution. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond de la Convention de Genève.

Une demande qui pourrait être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 22 mars 2005, Monsieur … introduisit par le biais de son mandataire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 février 2005.

Par décision du 4 avril 2005, notifiée par lettre recommandée envoyée le 5 avril 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus du 4 février 2005.

Par requête déposée le 6 mai 2005, Monsieur … a introduit un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées des 4 février et 4 avril 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il serait originaire de Podgorica au Monténégro et de confession musulmane. Il soutient que ce serait à tort que le ministre compétent aurait mis en doute son retour au Monténégro au motif que les pièces jointes à son recours gracieux confirmeraient sa présence au Monténégro. Il expose plus particulièrement qu’il aurait fait l’objet de menaces et d’agressions de la part des membres de la famille du meurtrier de son frère, un dénommé GAROVIC, dans le cadre de la procédure judiciaire lancée contre celui-ci et que les autorités policières seraient incapables de le protéger.

En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 3 décembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, indépendamment de la question de savoir si le demandeur est rentré au Monténégro après son séjour en Grèce, force est de constater que le demandeur fait exclusivement valoir sa crainte de subir des pressions et des représailles de la part des membres de la famille du meurtrier de son frère, lequel aurait été condamné à une peine de prison de 13 ans. Il ressort des propres déclarations du demandeur telles que figurant au compte-rendu d’audition que le motif dudit meurtre était « la jalousie à cause d’une fille ».

Or, les menaces et agressions subies par le demandeur, à les supposer établies, ne constituent pas un risque de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, mais relèvent exclusivement d’une criminalité de droit commun.

En outre, le demandeur n’établit pas que les autorités en place dans son pays d’origine toléreraient, voire favoriseraient la commission de tels actes à son égard.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 3 octobre 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19775
Date de la décision : 03/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-03;19775 ?

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