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03/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19709

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 octobre 2005, 19709


Tribunal administratif N° 19709 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2005 Audience publique du 3 octobre 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19709 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à L

uxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Relizane (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuel...

Tribunal administratif N° 19709 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2005 Audience publique du 3 octobre 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19709 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2005 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Relizane (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 décembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 21 mars 2005 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Radu DUTA, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 9 septembre 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu le 10 novembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 27 décembre 2004, notifiée le 10 février 2005 à l’intéressé en mains propres, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour [9 septembre 2004] et le rapport de l’agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 novembre 2004.

Vous exposez que vous auriez quitté l’Algérie en juillet 2004 en prenant un bateau en partance pour Marseille. Vous seriez resté quinze jours à Marseille, puis vous seriez allé à Nancy, à Metz et finalement à Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 9 septembre 2004.

Vous exposez d’abord que vous auriez mal aux dents et au dos et que vous voudriez être soigné au Luxembourg. Ensuite, vous dites que, en 1999 et en 2000, vous auriez été racketté, tant par les membres du gouvernement que par des terroristes. En 2001, vous seriez venu une première fois en Europe et vous auriez déposé une demande d’asile en Belgique.

Votre demande d’asile aurait été rejetée et vous seriez reparti en Algérie. Vous auriez été emprisonné à votre retour parce qu’on vous aurait accusé d’aider les terroristes. Quant aux terroristes, ils auraient cru que vous aviez fait votre service militaire en 2001, alors que vous étiez en Belgique et ils vous auraient accusé de travailler pour l’Etat. La police serait venue vous arrêter chez vous, sans jugement et vous seriez resté en prison pendant dix-huit mois.

Vous auriez été torturé par le gouvernement avant d’être emprisonné.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord que votre histoire est difficilement crédible. D’abord, vous dites venir au Luxembourg pour vous faire soigner, ce qui n’entre pas du tout dans le cadre de la Convention de Genève. Ensuite, vous ajoutez pêle mêle avoir été menacé par l’Etat, et par les terroristes. Vous affirmez avoir été emprisonné sans jugement pendant dix-huit mois et avoir été torturé. Finalement, vous vous plaignez des conditions de séjour au Luxembourg et vous proposez de renoncer à votre demande d’asile pour rentrer en Algérie, à condition de pouvoir passer par l’Espagne. Or, si vous désirez rentrer chez vous, c’est bien que vous n’avez rien à craindre, malgré vos allégations et ceci me conforte dans l’idée que votre récit n’est pas crédible.

En supposant même que vous éprouviez une certaine inquiétude en Algérie, il s’agirait tout au plus d’un sentiment d’insécurité, mais en aucun cas d’une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention précitée.

Il résulte de ce qui précède que votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux, formé par courrier de son mandataire du 7 mars 2005, ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 21 mars 2005, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles initiale du 27 décembre 2004 et confirmative du 21 mars 2005 par requête déposée le 22 avril 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la ville de Relizane en Algérie et de confession musulmane et qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison de la « situation chaotique » qui y régnerait, les autorités algériennes étant incapables d’affronter la « sévère crise économique, politique et sociale » affectant le pays. Il fait valoir plus particulièrement qu’il aurait exploité en Algérie une entreprise de construction et un commerce de confection en gros, mais que de 1999 à 2000, il aurait été soumis au moins à huit reprises au racket tant des autorités algériennes que de groupes terroristes, et ne pouvant demander, utilement et sans crainte, la protection des autorités publiques algériennes, souvent corrompues et de connivence avec les groupes terroristes, il aurait décidé de quitter une première fois l’Algérie en 2001. A son retour en Algérie au début de 2002, soupçonné d’être complice des terroristes, il aurait été arrêté et torturé durant 6 jours par les autorités. Il précise encore qu’il aurait été emprisonné de manière arbitraire durant 18 mois et qu’il risquerait à nouveau d’être injustement emprisonné en cas de retour dans son pays d’origine.

En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur (cf. trib. adm.

13 novembre 1997, n° 9407 et 9806 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 43).

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 10 novembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il convient de relever en premier lieu que c’est à bon droit que le ministre a relevé que le récit du demandeur était sujet à caution, étant donné que le demandeur, lors de son audition, interrogé sur ce qu’il attendait des autorités luxembourgeoises, a déclaré qu’il voulait faire soigner ses maux de dents et de dos. Il ressort également du compte rendu d’audition qu’en 2001, il avait déjà déposé une demande d’asile en Belgique, et que suite au rejet de sa demande, il avait préféré rentrer en Algérie. De même, mécontent des conditions de logement au Grand-Duché de Luxembourg, le demandeur a proposé de retourner en Algérie, autant de déclarations faisant dégager que le demandeur ne fait pas valoir une crainte légitime de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève en cas de retour dans son pays d’origine susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

S’y ajoute que le racket de groupes terroristes et des autorités publiques, dont le demandeur prétend avoir été victime, outre de remonter aux années 1999-2000 avant son départ pour la Belgique et le dépôt subséquent de sa première demande d’asile, s’inscrit plutôt dans le cadre d’une criminalité de droit commun et que les auteurs - fussent-ils des agents de l’autorité publique – ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, leur action n’étant pas empreinte d’une connotation politique ou religieuse.

Quant à l’emprisonnement arbitraire et les mauvais traitements dont le demandeur aurait été victime à son retour de Belgique, il appert des éléments d’appréciation soumis au tribunal que les allégations afférentes du demandeur ne sont nullement circonstanciées et qu’elles ne sont pas confortées par un quelconque élément de preuve tangible, malgré le fait que le demandeur avait promis lors de son audition de fournir des pièces à l’appui de ses dires, de sorte que le récit du demandeur se révèle insuffisant pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Enfin, en ce qui concerne sa crainte exprimée à l’encontre des autorités algériennes en raison du sort éventuel qui lui serait réservé en cas de retour en Algérie, force est de constater que ce faisant le demandeur exprime des craintes essentiellement vagues, non circonstanciées et purement hypothétiques qui à elles seules sont insuffisantes pour s’analyser en une persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Lors des plaidoiries à l’audience, le mandataire du demandeur a encore déclaré renoncer à sa demande formulée au dispositif du recours, consistant à solliciter, par application de l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « l’effet suspensif du recours contre un jugement confirmatif pendant le délai et l’instance d’appel, le tout au regard du préjudice grave et définitif que créerait l’exécution de la décision attaquée », ce dont acte lui est donné.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur qu’il renonce à sa demande tendant à voir ordonner un effet suspensif pendant le délai et l’instance d’appel ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 3 octobre 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19709
Date de la décision : 03/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-03;19709 ?

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