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03/10/2005 | LUXEMBOURG | N°19509

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 octobre 2005, 19509


Tribunal administratif N° 19509 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mars 2005 Audience publique du 3 octobre 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19509 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2005 par Maître Sylvie KREICHER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’O

rdre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tamatave (République de Madagascar), de nat...

Tribunal administratif N° 19509 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mars 2005 Audience publique du 3 octobre 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19509 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2005 par Maître Sylvie KREICHER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tamatave (République de Madagascar), de nationalité malgache, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 21 février 2005 par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Sylvie KREICHER en sa plaidoirie.

Par décision du 21 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministre », refusa d’accorder une autorisation de séjour à Monsieur … aux motifs énoncés comme suit :

« Monsieur, En réponse à vos courriers des 13 juillet et 10 août 2004 en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour conformément à la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, vous et votre partenaire Monsieur … ne remplissez pas les conditions de l’article 4 de la loi du 9 juillet 2004 d’après lequel les deux parties souhaitant faire une déclaration de partenariat ne doivent pas être liées par un mariage ou un autre partenariat. Il ressort de votre demande du 13 juillet 2004 que vous et votre partenaire avez contracté mariage à l’administration communale d’Aubange en date du 26 juin 2004.

Par ailleurs, l’autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée alors que vous ne disposez pas de moyens d’existence personnels conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui dispose que la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Par conséquent, comme vous vous trouvez en séjour irrégulier, vous êtes invité à quitter le pays sans délai. (…) » A l’encontre de la décision ministérielle précitée, Monsieur … a fait introduire, par requête déposée le 18 mars 2005, un recours contentieux en annulation.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière d’autorisation de séjour, le recours en annulation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il convient encore de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée et jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer que le 26 juin 2004, il se serait marié en Belgique avec un ressortissant belge, Monsieur …, lequel séjournerait et travaillerait au Luxembourg depuis une dizaine d’années et avec lequel il partagerait sa vie depuis la fin de l’année 2003.

Il soutient en premier lieu que ce serait à tort que le ministre n’aurait pas reconnu les effets de son mariage célébré en Belgique avec Monsieur … et lui aurait refusé l’autorisation de séjour au pays. Il estime en effet que même si le Grand-Duché de Luxembourg ne reconnaissait pas le mariage homosexuel, il ne devrait pas porter atteinte de façon discriminatoire et disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale et à la substance même de ce droit, à savoir le droit au mariage des homosexuels garanti par les articles 8, 12 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et qu’il devrait reconnaître les effets civils d’un tel mariage légalement contracté dans un pays de l’Union européenne et notamment les devoirs de secours, de cohabitation et d’assistance des conjoints.

Il soutient ensuite que la décision ministérielle de refus de l’autorisation de séjour constituerait une ingérence dans sa vie privée et familiale au regard des dispositions de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er de la loi du 11 août 1982 concernant la protection de la vie privée, estimant que le droit à la communauté de vie d’un couple homosexuel fait partie de la sphère privée. Il ajoute qu’une vie familiale effective existerait entre lui et son partenaire et qu’il leur serait impossible de s’établir ailleurs qu’au Luxembourg, au vu des attaches étroites de Monsieur … au Grand-Duché de Luxembourg, celui-ci y ayant son travail et ses amis.

Finalement, il est d’avis que les motifs de refus à la base de la décision ministérielle litigieuse, d’une part, l’impossibilité de conclure un partenariat au Luxembourg en raison du fait qu’il aurait déjà contracté mariage en Belgique et, d’autre part, l’absence de moyens d’existence personnels dans son chef, seraient contradictoires. Dans ce contexte, il soutient que ce serait à tort que le ministre aurait retenu qu’il n’aurait pas de moyens d’existence personnels, alors qu’il serait marié et que son conjoint ne saurait être considéré comme un tiers, et que d’ailleurs l’assistance judiciaire lui aurait été refusée au motif qu’il vivrait en communauté domestique avec son concubin. Il ajoute qu’il serait titulaire d’un diplôme de journalisme.

Il ressort de la décision litigieuse du 21 février 2005 que, suite à une demande d’autorisation de séjour en vue de faire une déclaration de partenariat au Luxembourg, pareille autorisation a été refusée à Monsieur … aux motifs, d’une part, qu’en vertu de l’article 4 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats, il ne pouvait pas faire une telle déclaration, étant déjà lié par un mariage et, d’autre part, qu’il n’était pas en possession de moyens d’existence personnels tel que prévu à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif peut vérifier les faits formant la base d’une décision administrative qui lui est soumise et examiner si ces faits sont de nature à justifier la décision. Cet examen amène le juge à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis et si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits établis (cf.

trib. adm. 7 décembre 1998, n° 10807, Pas. adm. 2004, V° Recours en annulation, n° 12).

Ceci étant, il convient encore de préciser que, bien que le demandeur ne se trouve pas confronté à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner les mérites des moyens et arguments par lui soulevés, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité des dispositions légales invoquées par respectivement le ministre et le demandeur aux circonstances apparentes de l’espèce, c’est-à-dire que le tribunal doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable.

En l’espèce, le demandeur soutient en substance que la décision de refus litigieuse encourrait l’annulation en ce qu’elle porterait atteinte de manière discriminatoire et disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, tel que consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Ainsi, sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, ledit article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Il y a dès lors lieu d’examiner si, en l’espèce, la vie privée et familiale dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection de sa vie privée et familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

Il ressort des éléments du dossier soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur s’est marié le 26 juin 2004 en Belgique devant l’officier de l’état civil de la Commune d’Aubange avec un ressortissant belge de même sexe, ainsi que cela est documenté par la production de l’acte de mariage et d’un extrait du registre aux actes de mariage de la Commune d’Aubange en Belgique, étant relevé que depuis l’entrée en vigueur de la loi belge du 13 février 2003 ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil, le mariage civil en Belgique n’est plus uniquement réservé aux couples hétérosexuels, et qu’il vit effectivement depuis son mariage en communauté de vie avec son conjoint, ainsi que cela est étayé par les nombreuses attestations testimoniales versées en cause.

Dans la mesure où le Grand-Duché de Luxembourg a, par la loi précitée du 9 juillet 2004, décidé de reconnaître et de protéger juridiquement les communautés de vie de personnes autres que le mariage en permettant à des couples de sexe différent ou de même sexe de faire une déclaration de partenariat, il ne saurait refuser le séjour au conjoint d’un ressortissant belge, établi au Luxembourg et ayant des attaches personnelles, professionnelles et sociales étroites au pays pour y séjourner et travailler depuis une dizaine d’années, fussent-

ils de même sexe, sous peine de se contredire soi-même et de porter atteinte de façon disproportionnée et injustifiée au droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 précité.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est fondé et que la décision de refuser l’autorisation de séjour en faveur de Monsieur … encourt l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation des faits, sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués en cause.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule la décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration déférée du 21 février 2005 et renvoie l’affaire devant ledit ministre en prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 3 octobre 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19509
Date de la décision : 03/10/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-10-03;19509 ?

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