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28/09/2005 | LUXEMBOURG | N°19779

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 septembre 2005, 19779


Tribunal administratif N° 19779 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2005 Audience publique du 28 septembre 2005

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Recours introduit par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19779 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 mai 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Warri (Nigeria), agissant tant en son nom...

Tribunal administratif N° 19779 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2005 Audience publique du 28 septembre 2005

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Recours introduit par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19779 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 mai 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Warri (Nigeria), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de sa fille mineure …, née le … à Luxembourg, toutes les deux de nationalité nigériane, demeurant actuellement ensemble à L-

…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 23 février 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre en date du 4 avril 2005 suite à un recours gracieux de la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2005 en nom et pour compte de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles litigieuses ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES entendue en sa plaidoirie.

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Le 16 mars 2004, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Elle fut encore entendue en date du 29 septembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, l’informa par décision du 23 février 2005, lui notifiée le 1er mars suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 16 mars 2004 que vous auriez quitté Warri par bateau en février 2005 (sic) grâce à l’aide de trois marins. Vous n’auriez rien payé pour votre voyage en bateau et vous ignorez dans quel pays le bateau aurait accosté. Par la suite, un des marins vous aurait emmenée en voiture au Luxembourg où vous seriez arrivée le 14 mars 2004. Le dépôt de votre demande d’asile date du lendemain.

Vous présentez un certificat de naissance établi le 10 mars 1982 à Warri selon lequel vous seriez née le 6 novembre 1980. Or, lors du dépôt de votre demande d’asile vous avez pourtant indiqué sur votre fiche de données personnelles être née le 19 juin 1980. Vous admettez vous être trompée et dites que vous seriez effectivement née le 6 novembre 1980. Vous expliquez cette erreur par votre nervosité et votre état de grossesse.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez Itsekiri née et habitant à Warri, Delta State. Depuis des années les deux ethnies itsekiri et ijaw s’affronteraient et s’entretueraient en revendiquant chacune les terres riches en pétrole du Delta State. Votre village aurait souvent été attaqué et fait objet de combats. Par ailleurs, votre mari serait leader d’un groupe de combattants itsekiris. Votre père, chef de votre village aurait voulu la paix entre les deux ethnies, mais les jeunes ne l’auraient pas voulu.

Le 29 décembre 2003 votre village aurait de nouveau été attaqué et votre maison aurait été brûlée. Lors de cette attaque vous auriez été séparée de votre mari, vous ignorez où il se trouverait actuellement. Vous vous seriez réfugiée dans une forêt où vous seriez restée pendant un jour. Vous auriez aperçu une voiture et vous vous seriez échappée pensant que les passagers seraient ijaws. Ne voyant pas d’issue vous vous seriez arrêtée et vous auriez remarqué que les passagers étaient blancs. Par la suite ces personnes, les marins dont vous faites état plus haut, vous auraient fait entrer sur le bateau qui vous aurait emmenée en Europe.

Vous ignorez si les autorités nigérianes seraient intervenues dans le conflit opposant itsekiris et ijaws. Vous dites qu’il n’y aurait pas de sécurité au Nigeria. Vous avez peur de vous faire tuer par un Ijaw tant que le problème entre les deux ethnies belligérantes ne seraient pas résolus. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a d’abord lieu de constater qu’il est peu probable que vous n’ayez rien payé pour votre voyage en Europe et que vous ne sachiez pas où vous auriez accosté avec le bateau alors que les marins qui vous auraient fait entrer dans le bateau se seraient occupés de vous lors du voyage et auraient organisé votre voyage pour venir au Luxembourg. Par ailleurs, le fait que vous vous êtes trompée sur votre date de naissance soulève des doutes quant à votre identité réelle.

Quoi qu’il en soit, et à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, les différentes attaques perpétuées par les ijaws ne sauraient être considérées comme actes de persécution au sens de la Convention de Genève étant donné que ces derniers ne sauraient être considérés comme agents de persécution. Votre peur de vous faire tuer par un ijaw ne saurait donc fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique. Il ne ressort également pas de votre dossier que les autorités nigérianes auraient refusé ou seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection quelconque. En outre, concernant la situation actuelle au Delta State, il convient de relever que les accords de paix ont été passés très récemment entre les différentes communautés ethniques afin de mettre fin au conflit en question. Vous ne faites pas état de problèmes avec le gouvernement nigérian en place.

Enfin, à la question d’une possibilité de fuite interne, vous n’apportez en l’espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine. En effet, vous dites vous même que les combats entre itsekiris et ijaws seraient limités au seul territoire de Warri et il n’est donc ainsi pas exclu que vous auriez pu trouver une protection dans une autre région du Nigeria.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par Madame … par lettre de son mandataire du 23 mars 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale le 4 avril 2005.

Par requête déposée le 6 mai 2005, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de sa fille mineure …, a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision initiale du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 23 février 2005 et de la décision ministérielle confirmative du 4 avril 2005.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, au motif que sa situation personnelle dans son pays d’origine aurait été telle qu’elle aurait dû craindre pour son intégrité physique. Elle fait plus particulièrement état de tensions interethniques quotidiennes et d’une situation générale d’insécurité.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les déclarations de la demanderesse dégagent essentiellement un sentiment général d’insécurité, mais non pas une crainte légitime de subir des persécutions personnelles.

Concernant plus particulièrement la crainte d’actes de persécution provenant de membres d’une autre ethnie, la demanderesse se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf.

Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, la demanderesse reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités en place encourageraient, voire toléreraient de tels actes.

S’y ajoute que les conflits entre Itsekiris et Ijaws se limitent au territoire de Warri et la demanderesse aurait pu trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine, étant donné que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 28 septembre 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19779
Date de la décision : 28/09/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-09-28;19779 ?

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