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26/09/2005 | LUXEMBOURG | N°19550

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 septembre 2005, 19550


Tribunal administratif N° 19550 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2005 Audience publique du 26 septembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19550 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2005 par Maître Sandra VION, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …

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Tribunal administratif N° 19550 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mars 2005 Audience publique du 26 septembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19550 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 mars 2005 par Maître Sandra VION, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 janvier 2005, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 21 février 2005, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2005 pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Sandra VION et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER s’étant rapportés aux écrits de leurs parties respectives à l’audience publique du 19 septembre 2005.

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Le 25 août 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut entendu en date du 16 septembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 12 janvier 2005, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 14 janvier 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande avait été rejetée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l’Iran en juillet 2004. vous seriez allé à Istanbul, puis à Mitilene/Turquie. Vous seriez monté à bord d’un bateau en partance pour la Grèce. De là, vous auriez pris un avion pour Bruxelles. Finalement, vous auriez fait le trajet Bruxelles/Luxembourg en train.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 25 août 2004.

Vous exposez que vous auriez fait trente-cinq mois de service militaire. Vous auriez participé à la guerre Iran / Iraq. Vous auriez été blessé par la déflagration d’une bombe.

Pendant quelques années, vous auriez pris des médicaments. Vous auriez arrêté ce traitement car le médecin vous aurait dit que des séquelles graves pourraient s’en suivre. Il vous aurait conseillé de remplacer les neuroleptiques par de la morphine. Vous auriez donc commencé à consommer de l’opium et de l’héroïne. Vous ajoutez que la drogue est très facile à trouver en Iran, qu’elle serait à peine plus chère qu’une boisson. A cause de cela, vous auriez fait des séjours réguliers en prison et vous n’auriez pas trouvé de travail fixe. Vous auriez donc vécu d’expédients. Vous dites n’avoir pas de vrais problèmes avec les autorités car, avec un backchich, on peut diminuer une peine ou un temps de bannissement. Vous ajoutez que, malgré tout, la vie serait dure en Iran car on ne pourrait pas boire d’alcool, ni mettre de déodorant et que l’on devrait se justifier pour tout.

Vous n’étiez membre d’aucun parti politique et vous n’auriez participé à aucune manifestation.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A.2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos d’opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un certain groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord que vos problèmes avec les autorités iraniennes n’ont rien de politique puisque vos séjours en prison n’étaient dus qu’à la consommation de drogues. Vous reconnaissez n’avoir peur de personne mais que vous craignez de retomber dans le trafic de drogue si vous retournez en Iran. Quant aux faits que vous ne puissez ni boire d’alcool ni soigner votre apparence physique, ils sont insuffisants pour constituer une persécution au sens de la Convention de Genève. Votre demande ne répond à aucun des critères de fonds définis par la Convention de Genève.

Par conséquent, vous n’invoquez aucune persécution entrant dans le cadre de la Convention de Genève.

En conséquence, votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 16 février 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision confirmative le 21 février 2005, notifiée par courrier recommandé du 23 février 2005.

Le 24 mars 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles prévisées des 12 janvier et 21 février 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur réexpose en substance ses déclarations relatées dans les procès-verbaux d’audition figurant au dossier en faisant valoir notamment qu’il a subi des blessures suite à la déflagration d’une bombe, qu’il a été amené à prendre des médicaments, puis à consommer des drogues et de l’alcool en de grandes quantités et qu’actuellement il est à qualifier « d’alcoolique car sa dépendance à l’alcool est incontrôlable ». Il fait valoir que le régime actuel en Iran punit lourdement tout comportement contraire aux pratiques islamiques et que de ce fait, il aurait fait l’objet de plusieurs emprisonnements. Il estime dès lors que les problèmes invoqués seraient suffisants pour être assimilés à des persécutions au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le fait d’être un drogué et un alcoolique serait condamnable à des degrés divers dans tous les pays. Ce serait partant à juste titre que le ministre a relevé qu’enfreindre une loi quelle qu’elle soit et a fortiori la loi sur les stupéfiants n’entrait pas dans le cadre de la Convention de Genève. Le fait d’avoir été placé en détention pour abus d’alcool et consommation de drogues ne saurait être constitutif d’une persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur le fait que sa dépendance serait à assimiler à une maladie et qu’il aurait besoin d’une assistance médicale qui ferait défaut en Iran.

Il serait par ailleurs persécuté pour son comportement anti-religieux consistant en l’utilisation de déodorant et de son apparence physique soignée.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 28 novembre 2001, n° 10482C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 43).

En l’espèce, le demandeur affirme avoir été emprisonné à plusieurs reprises en raison de sa consommation de drogues et d’alcools, ce qui est contraire aux pratiques islamistes. Il aurait également été mis en prison en raison du fait qu’il se rasait, qu’il se mettait de l’eau de cologne et parce qu’il avait une « grande gueule ». Il affirme que cela lui avait valu des emprisonnements courts, sans torture. Il affirme avoir pris la décision de quitter l’Iran il y a 20 ans environs, mais qu’il n’avait pas l’occasion de le faire. Il affirme qu’en Iran « on vit pour survivre et pas pour être libre. Pour moi, être libre, c’est boire de l’alcool. Pour un autre, c’est sortir avec sa petite amie. Mais c’est interdit en Iran. C’est invivable. ».

Force est de constater que le demandeur n’a versé aucune pièce à l’appui de son récit, de sorte que ni son identité, ni la réalité notamment de ses condamnations alléguées du chef de sa consommation de drogues ne peuvent être vérifiées. Il ne donne par ailleurs pas d’explications cohérentes pour justifier pourquoi il n’aurait pas été en mesure d’amener ces documents, dans la mesure où il résulte du récit du demandeur qu’il n’a pas quitté l’Iran en urgence.

Concernant ensuite les prétendues condamnations encourues par le demandeur en raison de sa consommation de drogues, si condamnations il y a eu, force est de constater, comme l’a relevé à juste titre le délégué du Gouvernement que le fait pour le demandeur d’avoir été emprisonné pour avoir commis des infractions de droit commun punissables selon le droit islamique, ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique. Par ailleurs, son refus de respecter les valeurs islamiques et les prétendues craintes de faire à nouveau l’objet d’un emprisonnement, ne sauraient être analysées en une crainte de persécution correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève et pour le surplus, les faits n’apparaissent pas d’une gravité telle qu’il s’en dégagerait la preuve de ce que la vie lui aurait été ou serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. En effet, tel qu’il résulte du rapport d’audition, le demandeur a pris la décision de quitter son pays il y a 20 ans déjà et interrogé sur la question s’il avait peur de quelque chose, il a répondu qu’il n’avait peur de personne, mais qu’il avait peur de retomber dans la drogue, ce qui serait dangereux, même si on peut « acheter » les autorités iraniennes sinon les « amadouer ».

Il s’y ajoute que même si la consommation d’alcool et de drogues est interdite en Iran, la situation générale ne saurait pas pour autant être considérée comme étant périlleuse au point de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans le chef d’une personne du seul fait de sa dépendance aux drogues, et ceci déjà depuis une bonne douzaine d’années.

Le tribunal arrive à la conclusion que le demandeur reste en défaut d’établir de manière cohérente et crédible des raisons particulières tenant à sa situation spécifique qui laisseraient supposer l’existence d’un danger sérieux pour sa personne justifiant une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

En ce qui consiste le fait qu’il ne pourrait pas faire l’objet d’un traitement adéquat en Iran, force est de relever que ce moyen ne tombe pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Il suit de l’ensemble des constatations qui précèdent que le recours en réformation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le dit non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 septembre 2005 par:

Mme Lenert, premier juge Mme Lamesch, juge M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26.9.2005 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19550
Date de la décision : 26/09/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-09-26;19550 ?

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