La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/09/2005 | LUXEMBOURG | N°19543

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 septembre 2005, 19543


Tribunal administratif N° 19543 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2005 Audience publique du 26 septembre 2005 Recours formé par Monsieur Xxx, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

_____________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19543 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur Xxx, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Mon...

Tribunal administratif N° 19543 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2005 Audience publique du 26 septembre 2005 Recours formé par Monsieur Xxx, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

_____________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19543 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2005 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur Xxx, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L- … , tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 16 novembre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 21 février 2005, suite à un recours gracieux du 7 février 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 19 septembre 2005, Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER ainsi que Maître Nicky STOFFEL s’étant ralliés aux écrits de leurs parties respectives.

Le 9 septembre 2004, Monsieur Xxx introduisit oralement auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur XXX fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur XXX fut entendu le 28 septembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 16 novembre 2004, expédiée par courrier recommandé le 24 novembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur XXX de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 7 février 2005 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision de refus confirmative de sa décision initiale le 21 février 2005.

Le 23 mars 2005, Monsieur XXX a fait introduire un recours principalement en réformation et subsidiairement en annulation des décisions ministérielles précitées.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation au motif que seul un recours au fond est prévu par la loi en la matière.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait fait l’objet au Kosovo de persécutions par des Albanais du fait de son appartenance à la minorité goranaise. Il relate à ce sujet avoir été frappé en l’an 2000 avec une barre de fer, mais que, bien que sérieusement blessé, les soins adéquats lui auraient été refusés du fait se son appartenance ethnique précitée.

Il fait encore valoir qu’en dépit d’une plainte pénale, ses agresseurs n’auraient pas été inquiétés, « ce qui prouve que les autorités responsables tolèrent en fait de telles attaques en restant inactifs ».

Le demandeur fait encore état de diverses persécutions que lui-même et sa famille auraient subies et se réfère à la situation particulière du Kosovo.

En substance, il reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il relève que ni la situation générale d’un pays, ni la simple appartenance à une minorité ethnique ne justifierait à elle seule l’octroi du statut de réfugié. Il souligne que les auteurs de l’agression relatée, non autrement identifiés, ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Il estime encore que l’agression subie par le demandeur en l’an 2000 serait insuffisante pour justifier sa fuite en 2004.

Il expose par ailleurs que la situation des Goranais au Kosovo se serait améliorée, pour finalement relever que les véritables motifs ayant justifié la fuite du demandeur résideraient dans des considérations économiques.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il résulte en effet du rapport d’audition que si le demandeur a fait l’objet d’une agression en l’an 2000 par des personnes non autrement identifiées, et qu’il se serait vu refusé des soins adéquats suite à cette agression, il n’a en revanche plus fait depuis cette date l’objet d’agressions directes, même si lui-même et sa famille ont régulièrement été exposés aux propos insultants et menaçants d’Albanais.

Il y a lieu de relever de prime abord que les persécutions dont fait état le demandeur, émanant apparemment de certains éléments de la population albanaise, proviennent de tiers et non pas de l’Etat, de sorte qu’il appartient au demandeur de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Or les autorités, qui comprennent non seulement une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, mais encore une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, loin de se cantonner dans une attitude passive, ont mis en place des structures destinées à protéger la sécurité physique de la population. La notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Le demandeur n’a cependant pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. Bien au contraire, il ressort du rapport d’audition du demandeur que les patrouilles effectuées par les troupes de la KFOR et de l’UNMIK dissuadent efficacement les Albanais d’agresser les Goranais.

Il s’avère dès lors, au vu des moyens présentés dans le cadre de la procédure contentieuse, que la fuite du demandeur vers le Luxembourg n’a pas été motivée par la crainte de persécutions spécifiques au sens de la Convention de Genève, mais plutôt par un sentiment général d’insécurité, accentué par un contexte économique difficile.

Or, concernant cette crainte générale exprimée par le demandeur d’actes de persécution à son encontre en raison de son appartenance à la minorité goranaise de la part d’Albanais, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de juin 2004 sur la situation des minorités au Kosovo, et notamment celle des Goranais : « The overall security situation of the Gorani, who are predominantly concentrated in the isolated and underdeveloped southernmost municipality of Dragash/Dragas, remained stable.

With the exception of one stoning incident against a Gorani-operated bus in May 2003, no ethnically motivated incidents involving Gorani were reported. The local population, both Gorani and Albanian, continued to be exposed to insecurity arising from infiltration of criminal elements from Albania and were subjected to robberies and violence1».

1 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p.28.

Quant à leur situation après les incidents ayant eu lieu entre le 15 et le 19 mars 2004, incidents mentionnés par le demandeur, force est de constater que les Goranais n’étaient pas la cible directe des affrontements. En effet il est relaté dans la troisième partie du rapport précité intitulée « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in march 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-ethnic violence. … Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places2 et encore « The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities. Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events.3».

Dans un second rapport datant quant à lui d’août 2004, l’UNHCR souligne que « the security situation for Kosovo Bosniaks and Goranis has remained stable,with no serious incidents of violence reported » ainsi que « whereas the Bosniaks and Goranis were not directly targeted during the turmoil in March 2004, in some locations they felt insecure and opted for precautionary movements. Two families were evacuated by the police from the Bosniak Mahalla in Mitrovice/a North, while several others left on their own initiatives. Living in a Serb neighbourhood in Fushe Kosova/Kosovo Polje and seeing their Serb neighbours being attacked, several Gorani families left their homes as a precautionary measure. No other attacks or self-

imposed evacuations have been reported, although the two ethnic communities anxiously followed the unfolding developments. The events have inevitably left the communities with a heightened sense of insecurity and in a state of constant alert 4».

Enfin, dans son rapport intitulé « UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo » de mars 2005, l’UNHCR confirme encore cette évolution relativement positive, en soulignant le fait que la communauté goranaise, notamment, bénéficie d’une meilleure acceptation de la part de la population albanaise (« With regard to Ashkaelia, Egyptian as well as Bosniak and Gorani communities these groups appear to be better tolerated »5).

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont le demandeur fait état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, 2 op.cit., p. 31 et 32.

3 op.cit., p. 46.

4 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, August 2004, p.5.

5 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, March 2005, p.4.

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 septembre 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19543
Date de la décision : 26/09/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-09-26;19543 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award