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22/09/2005 | LUXEMBOURG | N°19566

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 septembre 2005, 19566


Numéro 19566 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mars 2005 Audience publique du 22 septembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19566 du rôle, déposée le 29 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la C

our, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … ...

Numéro 19566 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mars 2005 Audience publique du 22 septembre 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19566 du rôle, déposée le 29 mars 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kucove (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…., tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 29 décembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 21 février 2005 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 26 novembre 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 15 décembre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa par décision du 29 décembre 2004, notifiée par courrier recommandé du 5 janvier suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 15 décembre 2004.

Vous auriez quitté l’Albanie le 22 novembre 2004. Vous auriez voyagé dans un camion. Vous vouliez aller en Angleterre, mais le passeur vous aurait déposé ici.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 26 novembre 2004.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire. Vous ne seriez membre d’aucun parti.

Vous dites avoir séjourné en Belgique en 1998 et y avoir déposé une demande d’asile. Après une réponse négative, vous seriez retourné en Albanie en 1999. Vous auriez travaillé comme gardien, mais au noir. Vous seriez homosexuel et le frère de votre ami vous aurait causé des problèmes. Vous auriez ainsi perdu votre emploi et votre famille aurait été mis au courant. Il vous aurait même frappé avec quelques de ses amis. Vous auriez porté plainte à la police, mais elle n’aurait rien fait pour vous. Vous ajoutez que votre famille n’aurait pas apprécié votre homosexualité et qu’il serait difficile de vivre votre sexualité au grand jour en Albanie.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je relève d’abord que vous n’apportez pas la preuve que vous seriez effectivement retourné en Albanie en 1999. Mais, ceci mis à part, le fait d’appartenir à une minorité, quelle qu’elle soit n’entraîne pas d’office l’obtention du statut de réfugié. Je constate que votre problème principal est dû au fait que le frère de votre ami a raconté partout que vous étiez homosexuel. Par contre, quand vous viviez vos relations de façon plus discrète, vous n’avez pas eu de problèmes. S’il est vrai que le fait d’être homosexuel peut entraîner une discrimination sur le marché de l’emploi, ainsi que des problèmes au niveau familial, ceci est insuffisant pour être considéré comme une persécution au sens de la Convention de Genève. Tout au plus peut-on analyser vos dires comme un sentiment d’insécurité, commun aux minorités, mais non comme une crainte fondée de persécution telle qu’elle est prévue par la Convention précitée. Les personnes qui vous entourent dans la vie privée et dans la vie professionnelle ne sauraient être assimilées à des agents de persécution au sens de cette Convention.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 31 janvier 2005 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 21 février 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 29 décembre 2004 et confirmative du 21 février 2005 par requête déposée le 29 mars 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il serait originaire de la ville de Kucove en Albanie et homosexuel, que le frère de son ami l’aurait menacé de mort et frappé, que sa propre famille n’apprécierait pas son homosexualité, qu’il aurait perdu son emploi en raison de cette relation et que la police locale ne le protégerait pas contre les agissements de la famille de son ami.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre compétent a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 15 décembre 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le tribunal est amené à constater que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur paraissent essentiellement émaner de personnes privées étrangères aux autorités publiques, à savoir plus particulièrement de la famille de son ami, de sorte qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

En outre, s’il est vrai que le demandeur met en cause la disposition des autorités policières à mener les investigations requises à l’encontre de l’auteur des coups portés à son encontre, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait être admise dès la commission d’un acte de persécution de la part d’une personne quelle soit ou non au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécution commis soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de telles personnes. Dans les deux hypothèses, il faut en plus que le demander d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est ce qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants).

Or, en l’espèce, les éléments du dossier ne permettent pas de retenir la preuve d’un défaut de volonté ou l’incapacité des autorités en place dans son pays d’origine pour lui assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de poursuite des actes de persécution commis à son encontre. Cette conclusion s’impose d’autant plus que les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à sa ville d’origine et qu’il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de l’Albanie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.

trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié du demandeur comme n’étant pas fondée.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 22 septembre 2005 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19566
Date de la décision : 22/09/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-09-22;19566 ?

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