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14/07/2005 | LUXEMBOURG | N°19607

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2005, 19607


Numéro 19607 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 avril 2005 Audience publique du 14 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19607 du rôle, déposée le 5 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Fara CHORFI, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, n...

Numéro 19607 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 avril 2005 Audience publique du 14 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19607 du rôle, déposée le 5 avril 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Fara CHORFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Beni-Ménir (Algérie), de nationalité belge, alors détenu au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration du 24 décembre 2004, notifié le 3 février 2005, lui refusant l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et précisant qu’il devra quitter le pays dans un délai de 15 jours de la notification de la décision, et en cas de détention, immédiatement après la mise en liberté;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2005;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Régis SANTINI, en remplacement de Maître Fara CHORFI, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 mai 2005.

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Par arrêté du 24 décembre 2004, notifié le 3 février 2005, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration, refusa l’entrée et le séjour à Monsieur …, préqualifié, sur base des motifs suivants :

« Vu l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu les antécédents judiciaires ;

Attendu que l’intéressé est susceptible de compromettre l’ordre et la sécurité publics ;

Vu qu’il y a urgence ».

Par requête déposée le 5 avril 2005, Monsieur … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de cette décision ministérielle du 24 décembre 2004. Une demande de sursis à exécution de la décision critiquée, sinon de mesure de sauvegarde en attendant la solution du recours au fond introduite par requête déposée devant la juridiction du président du tribunal administratif le même jour fut rejetée par ordonnance du 8 avril 2005.

Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le mandataire du demandeur ayant déclaré à l’audience des plaidoiries renoncer à son moyen tiré de l’incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration pour prendre la décision critiquée, il n’y a pas lieu d’y statuer.

Le demandeur soutient d’abord que, s’il est certes exact que l’article 1er du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers permet de ne pas demander l’avis de ladite commission en cas d’urgence et que la décision critiquée fait mention de l’urgence, il n’en resterait pas moins qu’il ne serait pas explicité en quoi l’urgence serait constituée en l’occurrence. Il ajoute que l’urgence ferait manifestement défaut au motif qu’il est incarcéré depuis le 3 septembre 2003 et que les « autorités compétentes avaient tout le loisir de se rendre compte du fait que sa libération prévue pour le 6 avril 2005 constituerait un risque de trouble à l’ordre public ».

L’article 1er du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972 dispose comme suit :

« Art. 1er. L’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers sera, sauf urgence, obligatoirement pris avant toute décision portant 1° refus de renouvellement de la carte d’identité d’étranger 2° retrait de la carte d’identité ;

3° expulsion du titulaire d’une carte d’identité valable ;

4° révocation de l’autorisation temporaire de séjour ;

5° éloignement d’un réfugié reconnu au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ou d’un apatride au sens de la Convention de New York du 28 septembre 1954 se trouvant régulièrement au pays ».

Or, force est de constater que l’arrêté critiqué du 24 décembre 2004 porte refus d’entrée et de séjour dans le chef du demandeur et ne tombe partant dans aucune des cinq hypothèses visées de façon limitative par l’article 1er dudit règlement grand-ducal du 28 mars 1972. Dans la mesure encore où, d’après les éléments du dossier, la carte de séjour du demandeur a perdu sa validité en 1989, aucune décision visée par ledit article 1er n’a été prise en l’espèce, de sorte que la prise de l’avis de la commission consultative n’était pas requise et que le moyen afférent du demandeur est à rejeter.

Ensuite, le demandeur critique la motivation de l’arrêté litigieux en ce qu’il s’appuie exclusivement sur ses antécédents judiciaires, sans préciser en quoi son comportement dégagerait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public. Il s’empare à cet égard notamment des dispositions de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, dont l’article 30 imposerait la communication des motifs précis et complets à la base d’une mesure de police des étrangers.

Il échet de relever d’abord que le demandeur se fonde à tort sur la directive 2004/38/CE, précitée, étant donné que le délai fixé aux Etats membres pour transposer ses dispositions en droit interne n’expirera que le 30 avril 2006. Pour le surplus, le moyen du demandeur tiré du défaut d’une motivation suffisante de l’arrêté litigieux du 24 décembre 2004 laisse d’être fondé, étant donné que celui-ci énonce clairement deux motifs comme étant à sa base, qu’au vœu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 concernant la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, la motivation expresse d’une décision administrative peut se limiter à un énoncé sommaire de son contenu et qu’il suffit, pour qu’un acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise de décision, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours de la procédure contentieuse (trib. adm. 17 mars 2003, n° 15365, Pas. adm. 2004, v° Procédure contentieuse, n° 45), ce que le délégué du gouvernement a fait en l’espèce à travers son mémoire en réponse.

Le demandeur critique enfin que l’arrêté critiqué du 24 décembre 2004 serait basé exclusivement sur ses antécédents judiciaires sans préciser en quoi son comportement dégagerait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public, telle qu’exigée par la jurisprudence européenne, et cela d’autant plus qu’aux termes de l’article 9 du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales « … la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures ». Par ailleurs, il souligne que, quels que furent ses antécédents judiciaires, il aurait affiché une volonté d’amendement qui contredirait l’affirmation selon laquelle il présenterait un danger pour l’ordre public. Il explique que ses déboires judiciaires auraient régulièrement pris leur source dans des dénonciations calomnieuses, dont les auteurs, à l’instar de la dernière de ses accusatrices, auraient été poursuivis pour faux témoignages. Il termine qu’il serait actuellement âgé de 59 ans et qu’il aspirerait à une vie paisible auprès de sa compagne, laquelle lui aurait également rendu régulièrement visite au Centre pénitentiaire, démontrant qu’elle ne craindrait pas sa sortie imminente.

Dans la mesure où le demandeur est un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, en l’espèce la Belgique, et où, en exécution de l’article 37 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, « le gouvernement est autorisé à prendre par voie de règlement grand-ducal les mesures nécessaires à l’exécution des obligations assumées en vertu de conventions internationales dans le domaine régi par la (…) loi (…) » et que ces « règlements pourront déroger aux dispositions de la présente loi dans la mesure requise par l’exécution de l’obligation internationale », le règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, faisant entrer dans son champ d’application les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des Etats ayant adhéré à l’Accord sur l’Espace Economique Européen occupant un emploi salarié au Luxembourg ou qui exercent le droit de demeurer conformément aux règlements et directives CEE, doit trouver application en l’espèce, étant donné qu’il a transposé en droit interne la directive 64/221/CEE du Conseil du 25 février 1964 pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique.

Au vœu de l’article 3 alinéa 1er dudit règlement grand-ducal du 28 mars 1972, « les personnes mentionnées à l’article 1er sub 1 à 10, âgées de plus de quinze ans, qui se proposent de résider au Luxembourg plus de trois mois, obtiennent une carte de séjour ».

Conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal précité « la carte de séjour ne peut être refusée (…) que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, sans préjudice de la disposition de l’article 4, alinéa 3. La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. Le refus d’entrée ou de délivrance du 1er titre de séjour ne peut intervenir pour raison de santé publique qu’en cas de constatation d’une des maladies ou infirmités suivantes: (…). Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques. Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet ».

Concernant en l’espèce le comportement personnel du demandeur, il ressort des éléments du dossier soumis au tribunal que le demandeur a été condamné le 27 juin 1990 une première fois du chef de viol à l’aide de violences et de viol avec la circonstance que le coupable avait autorité sur la personne violée à une peine d’emprisonnement de cinq ans.

Dans la suite, il a subi des condamnations du chef de conduite avec un taux d’alcool de 2,28 mg par litre, de violation de domicile qualifiée exécutée la nuit et de délit de fuite, tout comme il a été condamné deux fois du chef de coups et blessures volontaires et de conduite d’un véhicule sur la voie publique malgré une interdiction judiciaire de conduire. En outre, le demandeur a été condamné le 3 juillet 2000 du chef de trois viols à l’aide de violences et de menaces graves à une peine d’emprisonnement de trois ans. Il se dégage encore des éléments du dossier que le demandeur a été condamné en Allemagne le 30 janvier 2004 à huit mois d’emprisonnement du chef de coups et blessures volontaires et qu’une libération conditionnelle accordée le 20 décembre 2001 par les autorités allemandes a été révoquée le 3 septembre 2003 alors que le demandeur se trouvait en ce moment en détention préventive à Trèves suite à une tentative de viol.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments et en particulier à la continuité de l’activité délictuelle très grave déployée par le demandeur après une première condamnation pénale et à la gravité des faits à la base de ces condamnations, le ministre pouvait valablement estimer, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, que le comportement personnel du demandeur, tel que se dégageant de tous ces faits suffisamment récents, justifiait le refus d’entrée et de séjour dans son chef pour des raisons d’ordre public.

Cette conclusion n’est pas affectée par l’argument soulevé par le demandeur relativement à sa volonté d’amendement laquelle contredirait l’affirmation selon laquelle il représenterait un danger pour l’ordre public, étant donné que cette simple déclaration se trouve contredite par le nombre accablant de condamnations pénales pour des faits graves accumulé sur une période de quinze ans. La même conclusion s’impose quant à l’affirmation du demandeur selon laquelle ses déboires avec la justice auraient pris la source dans des dénonciations calomnieuses de ses ex-épouses, laquelle se heurte aux condamnations définitives prononcées à son encontre.

Il s’ensuit que le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et qu’il est à rejeter pour manquer de fondement.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, Mme GILLARDIN, juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19607
Date de la décision : 14/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-14;19607 ?

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