La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/07/2005 | LUXEMBOURG | N°20081

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juillet 2005, 20081


Tribunal administratif Numéros 20081 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2005 Audience publique du 13 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20081 du rôle et déposée le 8 juillet 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité sierra-



léonaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situ...

Tribunal administratif Numéros 20081 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2005 Audience publique du 13 juillet 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20081 du rôle et déposée le 8 juillet 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité sierra-

léonaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 juin 2005 prorogeant pour une nouvelle durée d’un mois une mesure de placement audit Centre de séjour provisoire instituée à son égard suivant décision du même ministre du 26 mai 2005 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Arnaud RANZENBERGER et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 13 juillet 2005.

Par décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 26 mai 2005, Monsieur … fut placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d'un mois à partir de la notification de ladite décision dans l'attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

Ladite décision repose sur les considérations suivantes:

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 26 mai 2005 ;

Considérant que l’intéressé est démuni d’un titre de voyage valable ;

-

qu’il ne dispose pas de moyens d'existence personnels légalement acquis ;

-

qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

-

qu’il constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement dans l’attente de l’établissement d’un document de voyage par les autorités sierra-léonaises ».

Par décision du 27 juin 2005, le ministre prorogea ce placement pour une nouvelle durée d’un mois au motif notamment « qu’un laissez-passer a été demandé aux autorités sierra-

léonaises ;

-

qu’en attendant ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement dans l’attente de l’établissement d’un document de voyage par les autorités sierra-léonaises ».

Par requête déposée le 8 juillet 2005 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de prorogation prévisée du 27 juin 2005.

Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur sollicite la réformation de la décision déférée et demande au tribunal d’ordonner sa mise en liberté immédiate, aux motifs suivants :

-

le placement audit Centre devrait rester une mesure d’exception, indiquée uniquement au cas où l’étranger est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, susceptibilité qui devrait ressortir d’éléments actuels dans le chef de l’étranger concerné ;

-

le simple fait d’être prétendument susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement du territoire luxembourgeois ne saurait constituer à lui seul un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics dans son chef, de sorte à justifier son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

-

la privation de liberté par incarcération dans un centre pénitentiaire devrait constituer une mesure d’exception, à appliquer seulement en cas d’absolue nécessité ;

-

la durée maximale de placement prévue par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée étant de trois mois, cette limite serait dépassée en l’espèce du fait qu’il avait déjà subi une peine de deux mois d’emprisonnement dans le cadre de son transfert vers le Grand-Duché de Luxembourg ;

-

la décision litigieuse constituerait en tout état de cause une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’elle traduirait un traitement inhumain et dégradant, non justifié par un impératif d’ordre public quelconque ;

-

la décision entreprise ne serait pas motivée à suffisance au regard des exigences de la loi en ce sens que la nécessité absolue rendant nécessaire la prorogation de la mesure de placement initiale ne ressortirait pas des éléments du dossier.

Dans son mémoire en réponse le délégué du Gouvernement relève d’abord que Monsieur …, après s’être vu refuser définitivement le statut de réfugié au Grand-Duché de Luxembourg, s’est rendu au Royaume Uni pour y solliciter une itérative fois l’asile en indiquant un prénom et une date de naissance différents de ceux indiqués au Luxembourg. Ensuite, après avoir été transféré à nouveau au Grand-Duché de Luxembourg le 27 mai 2005, l’intéressé fut placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière alors qu’il se trouvait en situation irrégulière au Grand-Duché de Luxembourg, qu’il n’avait pas de pièces d’identité et qu’il n’avait pas de moyens d’existence personnels. Il signale en outre qu’en date du 13 juin 2005, l’ambassade de la République de Sierra Léone à Bruxelles a été contactée afin de délivrer un laissez-passer au requérant et qu’il résulterait par ailleurs du dossier versé en cause qu’en date des 28 juin, 1er juillet et 4 juillet 2005, des contacts téléphoniques ont eu lieu avec l’ambassade afin d’obtenir la délivrance de ce document, indispensable pour pouvoir procéder au rapatriement du requérant dans son pays d’origine.

Quant à l’absence alléguée d’un risque de compromettre l’ordre, la sécurité et la tranquillité publics, ainsi que d’un risque de fuite dans le chef de Monsieur …, le représentant étatique se réfère à la jurisprudence du tribunal administratif pour soutenir que la rétention dans un centre de séjour spécial se justifierait du seul fait de l’irrégularité du séjour de la personne concernée et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans son chef.

Concernant ensuite les contestations avancées en cause relativement à la condition d’une nécessité absolue pour procéder à la prorogation d’une décision de placement, il se réfère aux démarches ci-avant visées entreprises qui actuellement sont encore en cours en vue de préparer l’exécution de la mesure d’éloignement à la base de l’arrêté ministériel litigieux, tout en faisant valoir pour le surplus que les conditions d’application de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée seraient remplies et que, concernant la durée maximale de placement, il n’y aurait par lieu de prendre en compte une éventuelle rétention subie par le demandeur au Royaume-Uni.

Quant à la violation alléguée de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, le représentant étatique fait valoir que le placement d’un étranger dans un centre de séjour dans l’attente de son rapatriement ne revêtirait pas un caractère inhumain, mais serait dicté par la situation de fait dont la responsabilité incomberait à l’étranger concerné.

L’article 15, paragraphe 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

S’agissant d’une disposition légale purement nationale, le ministre, lors de l’application dudit article 15, paragraphe 2, ne saurait être tenu par le fait qu’en dehors de sa sphère de compétence territoriale, l’étranger concerné a déjà fait l’objet d’une mesure de rétention par décision des autorités d’un autre Etat, cette circonstance restant en effet tout à fait étrangère aux conditions légales de prorogation de placement telles que prévues au Grand-Duché de Luxembourg.

Au vu du libellé dudit article 15, paragraphe 2 prérelaté, il appartient dès lors au tribunal de vérifier si l’autorité compétente a veillé à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée, étant donné que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire (cf. trib. adm. 6 novembre 2002, n° 15509, confirmé par Cour Adm. du 21 novembre 2002, n° 15593C, ibidem).

En l’espèce, il est constant à partir des éléments fournis au dossier par le délégué du Gouvernement et non utilement contestés en cause que des démarches concrètes en vue de l’éloignement du demandeur ont été entreprises par les autorités compétentes et sont encore actuellement en cours, de sorte que face à l’imminence de l’éloignement de Monsieur …, ainsi que de l’impossibilité d’y procéder dans l’immédiat, la condition d’une nécessité absolue de reconduire la décision de placement initiale est remplie à suffisance.

Cette conclusion ne saurait être énervée par l’argumentation avancée en cause tendant à établir que l’intéressé ne présenterait ni un risque de fuite, ni un risque vérifié de compromettre l’ordre ou la sécurité publics, étant donné qu’il est constant que l’intéressé rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus », telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et modifiant le règlement grand-ducal du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne de l’établissement pénitentiaire, et que la mise en place d’un centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime (cf. Cour adm. 7 juillet 2005, n° 20030C du rôle).

En effet, le caractère approprié du nouveau Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière se dégage du texte du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 et ne saurait dès lors plus être sujet à discussion (cf. trib. adm. 20 novembre 2002, n° 15592 du rôle, Pas. adm 2004, V° Etrangers, n° 328 et autres références y citées, p. 273) Il se dégage également des considérations qui précèdent qu’au regard du caractère approprié ci-avant dégagé du lieu de rétention de Monsieur …, le fait de cette rétention ne saurait pas être considéré en soi comme un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Au vu de l’ensemble des développements qui précèdent, le recours en réformation laisse dès lors d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 juillet 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 20081
Date de la décision : 13/07/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-07-13;20081 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award